Le théâtre de ceux qui vont venir demain (1)

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L’idée même d’un théâtre africain, si elle n’est pas en permanence interrogée, continuera d’entretenir un malaise, fruit de l’amalgame entre la question légitime de l’authenticité d’une œuvre et celle, suspecte, de l’authenticité culturelle.
Sur le deuxième point, notre position est irréductible : l’authenticité culturelle est un intégrisme. Et comme telle, elle est totalitaire. Elle consiste à isoler et à définir des éléments d’une culture constituée dans un superbe refus de leur historicité, et à les décréter dépositaires de valeurs intrinsèques. C’est un projet de phagocytose de la culture en tant qu’entreprise de création, donc produit-en même temps que production- de l’individu créateur.
Or, l’intégrisme culturel de ceux qui savent ce qu’est le théâtre africain, et qui en ont cerné l’identité close, vise uniquement à exiger du créateur qu’il endosse des normes esthétiques collectives d’une identité totalisante.
Une quête du typique qui autorise à dire que tel spectacle n’est pas africain, ou que tel auteur gagnerait à être moins occidentalisé. On est tenté de répondre : »à partir de combien de plumes au cul la chose est-elle crédible ? ». À moins que ce ne soit pas à partir d’une degré supposé de régression au stade oral. Un instant peut-être pour réentendre le hurlement de Fanon : »Ma couleur n’est pas dépositaire des valeurs essentielles ».
Ceci nous amène à poser la nécessité d’une critique qui prendrait en compte une œuvre au regard des paramètres d’authenticité qui ne seraient par ceux d’une idéologie culturaliste. Certes, la lecture d’une œuvre ne peut faire abstraction des présupposés culturels, religieux, politiques, et tant d’autres qui la traversent. Elle n’y est en aucun cas réductible. Car, quelle que soit la considération accordée aux phénomènes anthropologiques qui constituent le réseau d’interprétation d’une œuvre, il va sans dire que le théâtre ne se découvre pas, il s’invente. Le critique n’est pas un « explorateur », et le théâtre africain, comme tout autre théâtre, n’a pas besoin de voyeurs, mais de spectateurs.
Faut-il le répéter, l’œuvre tire son caractère décisif de la tentative désespérée du créateur de répondre. Cette réponse porte nécessairement la marque de son enracinement et de son parcours culturels. Cependant, ces données ne sont pas nécessairement porteuses des questions du théâtre. On l’a compris : nous ne faisons pas l’apologie d’une quelconque création ex nihilo. Nous disons l’urgence pour le créateur d’une réelle démarche intellectuelle, nous partageons l’avis d’Alain Ricard lorsqu’il écrit dans L’intervention du théâtre (Lausanne, L’âge d’Homme) : « Le théâtre n’est pas un donné culturel, mais bien une construction qui prend en compte l’héritage culturel ; le théâtre demande une poétique. Il revient en somme à ceux qui connaissent l’histoire et les techniques du théâtre, à ceux qui savent analyser une situation et bâtir un texte théâtral, aux intellectuels –n’ayons pas peur de les appeler par leur nom !- de proposer de nouvelles formes d’expression et d’expérience. »
Qu’est-ce à dire, sinon qu’il faut en finir avec cette tendance d’une certaine critique à légiférer, lorsqu’elle aborde le théâtre africain, plutôt qu’à interpréter et à juger une œuvre. À titre d’exemple, ces pétitions de service qu’on est surpris de lire sous la plume de Françoise Gründ dans La parole lourde des théâtres en Afrique Noire (Notre librairie, n° 102, Juillet-août 1990 : « La voie royale des théâtres africains ne se situe pas dans le processus littéraire ». Ou encore : « Le théâtre africain charge, alors que le théâtre européen lave, évacue, épure ».C’est pourquoi, chaque fois qu’il s’inspire d’une « œuvre occidentale, l’homme de théâtre africain fait fausse route, parce qu’il se piège dans un jeu qui n’est pas le sien ». Faut-il le dire ? Cet homme de théâtre africain paradigmatique ne peut pas faire fausse route, pour la simple raison qu’il n’existe pas. Et puisque nous le disons, la tentation est forte de s’amuser à le prouver en allumant une lanterne en plein midi tropical, et en partant à sa recherche, tel un Diogène le Cynique, masturbateur public, individualité inventrice. S’amuser. Jouer. Jouer chacun à sa façon notre part commune d’infortune.
Non pas légiférer, avons-nous dit, mais juger. Ce qui implique que la critique prenne le risque de participer par une écoute plus pertinente à l’ébullition créatrice d’où émergeront peut-être les échelles de valeur de notre contemporanéité problématique. Cela signifie également, dans un premier temps, des propositions de modèles critiques qui mettent en relief les questions qui servent de ressort aux diverses démarches créatrices, dans le contexte global de l’aventure théâtrale. Ce n’est plus le temps des formules-hamac du style : en Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. Formule séduisante, s’il en est, mais qui sert de reposoir à ceux qui canonisent les têtes blanchies, dépositaires de sagesse éternelle, parce qu’ils se refusent à voir que certaines bibliothèques peuvent aussi ne contenir que des livres en carton-pâte. Dans lequel cas, il s’agit de craquer une allumette, histoire de jouer avec le feu comme de mauvais garnements.

1. Le texte est la préface de sa pièce L’entre-deux rêves de Pitagaba, Paris, Editions Akora, 2000, pp 7-10
2. Kossi Efoui est togolais. Romancier et dramaturge, il a reçu en 1989 le grand prix Tchikaya U Tam’si du concours théâtral interafricain pour sa pièce le Carrefour.
///Article N° : 4212

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