Anthony Chen, qui a reçu le prix de la Caméra d’or à Cannes en 2013 pour Ilo Ilo, propose avec L’Echappée un film d’une grande sensibilité. Il sort dans les salles françaises le 24 avril 2024.
Peut-on échapper à sa condition ? Surtout quand on est une femme et qu’on a la peau noire, et qu’en plus on vient d’immigrer après avoir échappé à la mort ? Jacqueline a dû quitter le Liberia et se retrouve sans moyens sur une île grecque touristique. Elle a pu s’échapper mais sa fuite continue, obsédée par la violence qu’elle a vécue.
Sur cette trame, Alexander Maksik a écrit un roman traduit chez Belfond en 2014, La Mesure de la dérive (A Marker to Measure Drift). Avec la scénariste Susie Farrell, Anthony Chen en tire un récit fidèle, épuré, intime, touchant parce que délicat, en lumière naturelle, dépouillé de tout pathos.
Jacqueline est sans cesse à l’écran. Il fallait pour l’incarner la présence d’une actrice rompue à la scène et au cinéma. La chanteuse Cynthia Erivo est plus habituée au cinéma aux rôles musclés dans les thrillers (comme Les Veuves de Steve McQueen) ou d’héroïne comme dans le biopic Harriet de Kasi Lemmons, mais elle conserve toujours une force intérieure qu’expriment sa gestuelle, son regard et paradoxalement sa voix, bien qu’elle ne parle pas durant les dix premières minutes du film.
Au départ, Jacqueline est en ruines. Elle survit, tentant de préserver sa dignité. C’est justement dans des ruines antiques que Callie (Alia Shawkat), une guide touristique américaine, va vers elle. Entre non-dits et mensonges, à la faveur d’éléments très féminins, elle-même réceptive aux dérives de la vie autant qu’à celles du monde, Callie cerne peu à peu le drame de Jacqueline. C’est à cette sensibilité que nous appelle ce récit : accueillir. Cela demande l’hospitalité, en rupture avec les craintes sur lesquelles surfent les replis haineux et phobiques actuels. Callie va peu à peu dépasser la retenue que devraient occasionner les dérives et la méfiance de Jacqueline. Dans cette adoption mutuelle, l’une et l’autre vont s’ouvrir et s’enrichir mutuellement. Elles sont une chance l’une pour l’autre.
Cette rencontre est le sujet d’un film qui reste sans cesse sur la crête, suggérant sans trop en dire, rendant toujours compte de la fragilité de la relation. Les maîtres mots restent l’incertitude et l’écoute, le respect de la distance aussi, de cet écart qui évite l’intrusion, la dépendance, tout en restant ouvert au rapport, à la recherche de ce qui fonderait la liaison. Rien de plus : c’est dans cette simplicité, cette sincérité, que ce passage d’un roman au cinéma fonctionne et que Jacqueline s’inscrit dans nos mémoires.
Un commentaire
Le commentaire est aussi sobre que le film le serait…et pousse à voir celui-ci.