Legs & littérature

Port au Prince en revue

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Legs & littérature fête la parution de son 3e numéro, ce 8 mars 2014. Il porte sur la dictature, la révolte et les écritures féminines. Legs & littérature est une revue fondée en terre haïtienne, avec l’ambition de redonner ses lettres de noblesse à la critique.

L’exigence et la liberté de ton des deux premiers numéros (1) en font un espace de partage ouvert aux universitaires, bien que la revue se réclame d’un public autrement plus large. D’ailleurs, tout le monde la lirait, si l’on en croit ses fondateurs. « Les professeurs, les écrivains, les créateurs, et même les écoliers » selon Dieulermesson Petit Frère. La revue ne s’adresserait pas qu’aux seuls initiés, un avantage, abordant la production des auteurs vivants dans toute sa complexité, s’intéressant aux arts voisins de la littérature, avec des pages dédiées à la peinture, à la photographie, à l’actualité culturelle. La revue trouverait surtout sa nécessité dans l’époque. « Nous vivons ce qu’on pourrait appeler « l’âge d’or de la littérature haïtienne ». Avec l’émergence de grandes figures de la création littéraire, des livres de très bonne qualité, des écrivains raflant des prix ça et là, qui exposant la culture, qui exposant le pays, sur le plan international. Avec la littérature, Haïti est sur tous les fronts. On en parle partout… »
Dany Laferrière, bien qu’on l’annonce désormais québécois, est passé immortel, il y a peu, avec son élection à l’Académie française. Jean René Lemoine a lui aussi été honoré par la même maison, avec le prix Émile Augier, obtenu en décembre pour ses pièces, Iphigénie et In memoriam. Lyonel Trouillot a remporté, quant à lui, le Prix Carbet de la Caraïbe et du Tout-Monde 2013 pour sa Parabole du failli. À sa suite, Yannick Lahens a raflé le Carbet des lycéens 2014, avec Guillaume et Nathalie, ainsi que le 25e prix Caraïbes de l’Association des écrivains de langue française. De fait, la littérature est ce phare d’illuminations qui trône sur Haïti en reine. « C’est notre carte de visite » affirme Dieulermesson. Raison pour laquelle, ses camarades et lui se sont mis en tête d’offrir un espace critique, qui fasse écho à cette richesse littéraire. Envie aussi de remédier à ce qu’ils assimilent à une sorte de « déficit » des discours faits autour des belles-lettres. Beaucoup de production, peu de recul ou d’analyse, les amènent à vouloir renouveler le propos, à « proposer une autre lecture… ».
Non pas qu’ils soient les premiers à sévir dans le coin, d’autres revues les ont précédées, mais elles n’ont pas passées l’épreuve du long terme, pour la plupart. Boutures (2), initiée dans les années 1990 par des écrivains dits de la génération « mémoire » fait ainsi partie de leurs références. « Une génération qui a donné Lyonel Trouillot, Rodney Saint-Eloi, Gary Victor, Georges Castera, et tant d’autres ». Trouillot lui-même avait fondé sa propre revue, Lire Haïti, avec Jean-Euphèle Milcé. Il y a également eu la parution de Conjonctions. Une revue franco-haïtienne, plus irrégulière, dans le temps. Et puis, il y a IntranQu’îllités de James Noël, maintenant. Ces publications, si elles se multiplient, n’entretiennent, cependant, que le feu de la création, laissant très peu de place à la critique, d’après Dieulermesson.
D’où le projet de Legs et littérature, qui ambitionne par ailleurs d’entretenir le lien avec d’autres voix insulaires, inscrites dans un ailleurs situé au-delà de l’île. Ainsi convoquent-ils, pour chaque numéro, des signatures mauriciennes, états-uniennes, canadienne, africaine, pour ouvrir large la frontière. Ainsi évoquent-ils, pour les mêmes raisons, la Réunion, les Comores, la Nouvelle-Calédonie ou l’île de France. « Nous voulons donner un autre discours sur la littérature des îles » résume Mirline Pierre, cofondatrice de la revue. De partout, leur arrivent des textes. Une manière d’ouverture sur l’alentour, en continuant à porter haut ce verbe dit d’insularité…
Autre leçon d’intelligence en matière de production culturelle sous ces tropiques, la revue ne se connaît point de stock. Ses promoteurs ont adopté une méthode qu’ils qualifient de « verte ». Avec un premier tirage à 200 exemplaires, tenant compte de leurs premiers lecteurs, en Haïti et à Maurice, aussitôt renouvelé, en fonction, notamment, des commandes engrangées sur le net. Et ce n’est pas tout ! La revue profite des réseaux sociaux pour élargir son panel. L’équipe se fonde sur les acquis d’une époque, celle des nouvelles technologies. Elle fait feu de tout bois et ne se connaît pas de deadline de fin. « Il n’y a pas d’échéance » affirment les trois principaux complices engagés dans cette aventure, au quotidien. « Nous luttons, nous nous préparons, nous avons un plan » dira Mirline Pierre, prête à ferrailler contre l’adversité.
La revue profite également du soutien accordé par les aînés. Dany Laferrière, himself, a contribué au numéro 2 consacré au géant Franketienne. Yannick Lahens leur offre ses conseils. « Nous ne travaillons pas de manière isolée. Il n’existe pas de génération spontanée. Les aînés contribuent… » confirme Wébert Charles, autre pilier du projet. Il arrive, bien sûr, que les détracteurs comptabilisent le temps qui leur reste à vivre, pour sacrifier au principe de défiance. Mais la question les fait plutôt sourire. Car eux sont optimistes et voient leur revue plutôt comme un « héritage » à construire, et à transmettre.
Cette revue est une façon pour eux de signifier au monde que cette littérature dont les initiés parlent tant ailleurs, honorant et consacrant les plus valeureux des auteurs haïtiens par de nombreux prix, n’émerge pas du néant, ni du chaos. Elle n’est surtout pas le seul fruit d’une diaspora, certes inspirée, mais se faisant souvent désirer sur sa terre d’origine. Legs et littérature est un petit joyau d’interrogations, qui se fabrique depuis Port-au-Prince même. Ils impriment, il est vrai, aux États-Unis, faute de mieux (« le marché de l’impression n’est pas un grand marché à Haïti. C’est un marché qui se construit. Il n’y a pas vraiment de concurrence »), mais ils restent cette « main tendue » au reste de la planète depuis le cœur de l’ancienne Perle des Antilles.

(1)Insularité(s) – Janvier / juin 2013
Erotisme et tabou – Juillet 2013 Semestriel N°2
Dictature, révolte et écritures féminines – Janvier 2014 N°3
(2)Boutures était la revue d’une maison tenue à Port au Prince par Rodney Saint-Eloi dans les années 1990. Un espace donnant la parole aux créateurs, ouvrant à la production d’un discours sur la littérature haïtienne, hors des sentiers battus. Cette revue a cessé d’exister au début des années 2000, Rodney Saint-Eloi étant parti s’installer au Québec, où il a initié, depuis, une nouvelle dynamique avec une autre maison d’édition, Mémoire d’encrier, sonnant le prolongement d’une histoire d’écritures au pluriel…
Plus d’infos : http://www.legsetlitterature.fr.ht
https://www.facebook.com/LegsEtLitterature///Article N° : 12105

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Les images de l'article
© DR
Mirline Pierre © Soeuf Elbadawi





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