Les Afriques en ondes musicales

Entretien de Caroline Trouillet avec Soro Solo

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Après avoir animé pendant 10 ans, avec Vladimir Cagnolari, l’émission L’Afrique Enchantée sur France Inter, le journaliste Soro Solo continue l’aventure seul depuis un an. L’Afrique en solo, diffusé chaque samedi à 22h, raconte les actualités de l’Afrique et ses diasporas, la musique comme support.

L’Afrique en solo est aujourd’hui le seul créneau dédié à l’Afrique sur France Inter. Quel visage musical du continent donnez-vous à écouter ?
L’Afrique en solo est effectivement la seule émission diffusée sur une radio généraliste française entièrement dédiée à l’Afrique. Depuis son origine, lorsque nous avons créé L’Afrique enchantée, l’objectif de l’émission est de raconter l’Afrique autrement que par le prisme dramatique à travers lequel la plupart des médias l’évoque. Et nous constatons que si la France a près de 17 ex-colonies en Afrique, les Français ont en général, pourtant, une faible connaissance du continent. Encore aujourd’hui, nombre de personnes me disent « tu parles africain », comme si l’Afrique était un pays. Donc nous avons décidé de raconter les Afriques dans leur diversité, dans leurs diasporas et nous le vivons presque comme une mission.

Et chaque thématique est reliée à une actualité musicale. Par exemple, le groupe des Amazones d’Afrique vous a permis de parler de la condition de la femme.
En effet, l’Afrique en solo est un magazine qui s’appuie sur des musiques pour raconter l’Afrique. La musique est un document qui vient compléter nos interviews, nos reportages et nos micros écrits. Elle ne remplit par seulement son rôle ludique. Par exemple si je veux parler des politiques menées en Afrique pour lutter contre le Sida, je vais diffuser une chanson de Franco, du tout puissant OK Jazz. C’est une tradition artistique en Afrique, la musique raconte le passé, le présent et le futur. Parfois, il y a une actualité urgente, comme le décès de Papa Wemba en mai dernier. Alors je bouleverse le programme. Et en dehors de l’actualité, j’aborde des thématiques comme la pratique des nouvelles technologies aujourd’hui en Afrique. Cette saison aussi, une émission « L’Afrique c’est chic » abordera tout l’aspect contemporain du continent, de cette Afrique « qui vient ».

La plage horaire de l’émission, 22-23h, suppose maintenant une programmation musicale.
La ligne éditoriale de France Inter suppose en effet davantage de musique sur cette tranche horaire. Dans l’Afrique enchantée, qui était diffusée de 17h à 18h, le plus grand volume de programmation musicale a été 6 disques. Aujourd’hui avec l’Afrique en solo, je peux aller jusqu’à 10 ou 12 disques. Donc j’ai réduit le volume de mes micros, de mes reportages, des archives pour laisser plus de place à la musique. Mais ça n’enlève rien à la substance du propos.

Le ton engagé, du non politiquement correct, a toujours été la signature de vos émissions.
Oui, nous estimons que c’est notre devoir de mettre le doigt sur ce qui nous apparaît de la désinformation. Je me sens totalement libre d’avoir ce ton et de toucher à des points très sensibles, de haute portée politique. Par exemple nous avions fait une émission en partant du discours de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007. Cette phrase avait heurté beaucoup de gens : « l’Afrique n’est pas assez rentrée dans l’histoire ». Nous avons fait des recherches pour constater que toute la civilisation moderne européenne est posée sur le socle des savants grecs, eux-mêmes formés par des savants noirs du bassin du Nil en Egypte. Ces faits sont consignés dans les recherches d’un universitaire américain d’origine éthiopienne, Yosef ben-Jochannan, « The Black Man of the Nile ». Notre liberté de ton s’appuie sur un dogme éthique, journalistique. Tout ce qui nous affirmons doit être vérifié et vérifiable. Les faits sont sacrés, les commentaires sont libres. Dans ce sens, des émissions seront consacrés cette saison aux élections présidentielles en Afrique notamment, et à l’enjeu du réchauffement climatique.

Cette année vous-avez couvert beaucoup de festivals sur le continent. Cela vous permet d’être mobile et de ne pas limiter les reportages au territoire de la métropole ?
Notre principal terrain de prédilection reste le continent africain. Les festivals qui connaissent l’émission m’invitent, ce qui me permet d’aller régulièrement en Afrique, huit fois cette dernière saison. Mais je ne fais jamais de publi-reportage, je viens traiter de sujets de société d’ordre politique et social. Je profite de l’évènement pour raconter un pays et sa culture musicale.

Quelle connaissance avez-vous du public qui écoute l’Afrique en solo ?
Globalement, France Inter n’est pas particulièrement écouté par les Africains, y compris les français d’ascendance africaine. Pour ces derniers, la chaine est très franco-française, ils vont écouter plutôt RFI ou Africa n°1. Donc c’est important d’être imaginatif et d’aller chercher ces personnes là où elles sont. Leur faire comprendre que certains sujets peuvent être un lien vers l’histoire du continent d’origine de leurs parents. Si je programme quelqu’un comme MHD par exemple, un jeune né en France, qui s’appuie sur ses racines africaines pour faire de l’afrotrap, la génération des 20 ans peut-être sensible à l’émission. Je vais beaucoup dans les foyers de travailleurs migrants aussi, pour trouver des sujets. C’est une politique de petits pas.

Quelle urgence aujourd’hui voyez-vous à parler des musiques contemporaines africaines ?
Justement de s’intéresser à cette génération dite « afro trap » ou « afro jazz ». Ces artistes en développement, arrivent avec un genre contemporain. Ils représentent un mouvement social que je ne peux pas occulter, même si ce n’est pas de ma génération. De ce point de vue, je dois garder mes antennes allumées comme une sentinelle. Au fil du temps ce genre va se développer, l’artistique va s’affiner. Et de tout temps les mutations des musiques ont posé problème entre les anciens et les nouvelles générations. Qu’il s’agisse du passage au blues rural au blues de type urbain, ou encore du coupé décalé en Côte d’Ivoire. C’est une question de temps.

<small »>Entretien à retrouver dans le numéro 47 du magazine AFRISCOPE///Article N° : 13735

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