Depuis quand les NEAS publient-elles des livres scolaires ?
Les NEAS ont été créées en 1972 par Léopold Sedar Senghor, avec des capitaux majoritairement sénégalais, dont l’État à hauteur de 20 %. Elles n’éditaient pas de scolaire à leurs débuts : elles ont été initialement créées, conjointement au Sénégal, au Togo et en Côte d’Ivoire, pour promouvoir la littérature africaine. Avec l’entrée de Nathan et d’Edicef dans le capital, des livres scolaires ont été publiés, mais il n’y avait pas alors de véritable stratégie dans ce domaine.
Quelle est la production actuelle en matière de scolaire ?
Nous avons effectué depuis un an un gros travail de remise en route de la maison. Nous avons maintenant deux cent cinquante titres de littérature générale, cent vingt titres de jeunesse, vingt-cinq titres de scolaire en préparation, pour le primaire et le secondaire, et des titres pour la petite enfance. En parascolaire, nous avons quinze titres en préparation, et nous avons sorti une série actualisée de cartes murales du Sénégal. Le parascolaire touche aussi aux langues nationales : nous développons des dictionnaires et des syllabaires dans les principales langues du Sénégal, wolof, poular, sérère, avec l’objectif à terme de traiter toutes les langues du pays. Un premier dictionnaire en arabe devrait sortir en coédition avec Nathan au milieu de l’année prochaine, à destination des écoles coraniques et des écoles bilingues franco-arabes.
Comment travaillez-vous avec le ministère de l’Éducation ?
De nouveaux programmes scolaires sont en cours d’élaboration au ministère, qui sollicitent l’observation et l’intervention des élèves. Il va donc falloir repenser les manuels scolaires. Il y a deux volets dans la stratégie éditoriale des NEAS. Un volet local, avec le développement d’une politique d’édition scolaire qui réponde de façon transversale aux besoins de l’enfant, du début à la fin de sa scolarité. Et un volet plus global, avec la pratique de coéditions avec les éditeurs qu’on appelle du Nord, notamment Nathan, sur les grandes matières. Ces coéditions doivent être basées sur un véritable partage, sur un échange équitable qui créée des richesses, des emplois et des compétences locales. L’idée est de s’associer avec un partenaire extérieur pour pouvoir répondre à l’harmonisation des programmes scolaires dans la sous-région. Pour les matières comme les mathématiques, le français, les sciences de la vie et de la terre, il est possible de bâtir des programmes communs. Ces programmes sont en cours de discussion depuis plusieurs années. Notre objectif est de devenir un éditeur régional africain pour les Africains. Nous devons donc développer des compétences éditoriales, avec des enseignants et des pédagogues, pour publier des manuels scolaires 100 % sénégalais. Il faut aussi développer des compétences techniques autour de la création matérielle des manuels : maquettistes, photographes. Pour illustrer un livre de géographie, nous avons envoyé quelqu’un faire le tour du Sénégal, parce que nous n’avions pas les moyens de payer les droits d’une agence. Pour les cartes murales, il a fallu dessiner, numériser, vectoriser une centaine de cartes dans tous les domaines. C’est vraiment du travail artisanal ! Mais il est très important pour un éditeur scolaire d’avoir rapidement un catalogue complet.
Comment les manuels arrivent-ils ensuite dans les écoles ?
Il y a un élément à ne pas sous-estimer : la promotion dans les écoles. Nous avons une équipe de délégués pédagogiques et de commerciaux qui couvre le Sénégal et la sous-région. Elle organise des conférences pédagogiques et des démonstrations auprès des professeurs pour que les manuels soient mieux connus et mieux utilisés. Il faut aussi rencontrer les collectivités territoriales pour déclencher des actes d’achat, et organiser des points de diffusion dans les provinces du Sénégal pour faciliter l’accès aux livres. Un des projets est de réactiver la revue Le Pédagogue, que les NEAS publiaient. Elle s’adressera à tous les enseignants sénégalais. Elle devra devenir une référence au niveau des programmes et des politiques du ministère de l’Éducation, et un lieu d’expression pour les enseignants. De même, une partie du site Internet des NEAS sera destinée à l’éducation, avec des forums de discussion. Nous intervenons également dans le projet » Case des tout-petits « , en partenariat avec Nathan, pour mettre à disposition le matériel pédagogique. Un millier de cases sont déjà implantées sur tout le Sénégal pour accueillir les enfants en bas âge avec leurs mères. Ce concept se développe dans d’autres pays d’Afrique.
Quel est le rôle des bailleurs de fonds et des appels d’offres dans l’édition de livres scolaires ?
Il y a plusieurs modalités. Par exemple, les acquisitions directes par les bailleurs, Banque mondiale, Banque africaine de développement, fonds japonais ou taiwanais, coopération française
sur des projets bien ciblés. Ils peuvent vouloir acquérir des livres sur une matière précise, couvrant toute la scolarité, ou alors des manuels de toutes les matières couvrant tout le secondaire. Ces acquisitions directes par appels d’offres peuvent aussi prendre la forme de lignes de crédit ouvertes pour des ouvrages exclusifs, qui n’existent que chez un seul éditeur. À ce moment-là, il n’est pas nécessaire de faire un appel d’offre, les bailleurs s’adressent directement à l’éditeur. Des lignes de crédit des bailleurs de fonds sont aussi mises à la disposition des États, pour doter des bibliothèques primaires, secondaires et universitaires. Les programmes et les appels d’offres sont définis en fonction des besoins. Le problème, c’est que les bailleurs de fonds ont un double langage : ils souhaitent privilégier les éditeurs africains, mais les conditions de leurs appels d’offres sont tellement élevées qu’aucun éditeur africain ne peut y répondre !
Quelles sont ces conditions ?
Par exemple, il faut avoir répondu à tant d’appels d’offres depuis tant d’années, bénéficier de cautions bancaires très élevées, présenter des bilans fiscaux positifs
Comme l’édition est sinistrée, les appels d’offres ne peuvent être remportés par des Africains. La Banque mondiale est consciente du malaise. Grâce à des fonds nordiques, elle tente de doter les éditeurs sénégalais de savoir-faire en matière de scolaire, en encourageant la production de titres de parascolaire qui devraient ensuite permettre de faire du scolaire. Il faudrait plus de souplesse dans les appels d’offres. Évidemment, la Banque mondiale veut se prémunir contre les carences de livraison, mais en fonctionnant ainsi, elle tue le système éditorial. Le problème, c’est que le marché du scolaire n’est pas protégé au Sénégal. Les manuels sont faits au Nord, ce qui empêche tout développement local. Aucune maison d’édition africaine ne peut exister si elle n’a pas accès au marché du scolaire.
Il faut dire aux éditeurs du Nord que leur type de développement est mort à long terme. Il faut mettre en place un partenariat équitable en construisant des relations durables, plutôt que de faire des » coups « , qui sont condamnés dans le temps. Il faut faire comprendre que le développement de l’édition scolaire peut permettre de créer un secteur industriel important, une chaîne industrielle. S’il manque un maillon, ça ne colle pas ! Cela implique un secteur créatif (auteurs, illustrateurs, maquettistes), des imprimeurs, des réseaux commerciaux (diffusion, distribution, librairie), un système économique global. Il faut aussi avoir la maîtrise du prix du livre scolaire, le mettre à la portée des bourses. Actuellement, ce n’est pas l’État sénégalais qui fixe les prix des livres publiés par les éditeurs du Nord. Le gouvernement est en train de repenser tout le système de l’éducation sénégalaise, dans le cadre de la lutte contre la pauvreté préconisée par le président Wade. Ce qui est important dans l’édition scolaire, c’est cette volonté politique, cette vision de l’édition comme un secteur créateur d’emplois et de richesses, qui permet de sauvegarder les particularités des cultures, aussi diversifiées qu’elles soient, en Afrique, dans le cadre de la mondialisation.
Les grands groupes manquent à la fois de vision, d’envie et de stratégie. Ils ont toutes les raisons de ne pas investir en Afrique, à cause des risques politiques, de la faiblesse du pouvoir d’achat, de l’absence de diffusion. Or il n’y finalement pas plus de risques qu’ailleurs, parce qu’il y a là un besoin qui doit être satisfait. Ces gens ne veulent prendre aucun risque, alors qu’il y a des poches de développement extraordinaires. Ma conviction personnelle, c’est qu’il y a au Sénégal un potentiel parfois largement supérieur à celui des pays développés, avec des photographes, des artistes, des PAOistes
Ce n’est pas un Blanc qui devrait être à la tête des NEAS [un nouveau directeur, sénégalais, devrait être nommé dans les mois à venir]. En attendant, j’ai un rôle double : je suis ambassadeur français en Afrique, et ambassadeur des besoins africains en France.
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