Les Initiés (The Wound), de John Trengove

La blessure est sans fin

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Tandis que Moonlight est oscarisé aux Etats-Unis (cf. critique n°14015), un autre film sur l’homosexualité nous vient d’Afrique du Sud, présenté à la Berlinale et à Sundance, en sortie le 19 avril 2017 sur les écrans français.

Les titres anglais et français du film se complètent et s’enrichissent : Les Initiés et La Blessure. Ceux qui savent peuvent faire mal. Manœuvre dans un entrepôt de Queenstown, Xolani (Nakhane Touré) revient chaque année au village comme instructeur pour l’initiation des jeunes Xhosa. Dans ce rite de passage, devenir homme se situe au niveau de la sexualité : circoncision, isolement et encadrement viril doivent conduire de jeunes adultes à se sentir des hommes prêts à fonder une famille. De Johannesburg, amené de force par son père qui s’inquiète de ses fréquentations, vient le jeune Kwanda (Niza Jay Ncoyini), qui a du mal à quitter ses baskets bleues et se fait chambrer pour ses façons de bourgeois. Il est confié à Xolani, réputé savoir endurcir un homme. Mais Xolani n’est pas indifférent au jeune homme…

Le film ne sera pourtant pas l’histoire d’une complicité qui se révélerait une irrésistible attirance comme l’était Le Secret de Brokeback Mountain d’Ang Lee, Lion d’or à Venise en 2005. Il ne cultive ni le classicisme hollywoodien, ni même des respirations oniriques au fond des montagnes : tout est âpre dans The Wound, et la blessure est profonde. Elle est celle du renoncement, de la solitude dans un monde hostile où il faut fermer sa gueule et faire semblant. Elle est surtout pour Xolani celle d’une déstabilisation aux conséquences incontrôlables, lui qui ne revenait là chaque année que pour retrouver un autre homme (Bongile Mantsai). Amené à défendre Kwanda pour ce qu’il est, un jeune gay révolté qui refuse de jouer le jeu, Xolani est lui-même initié à sa bien contradictoire vérité.

Bongile Mantsai et Nakhane Touré – Pyramide Distribution

Ce qui à l’extérieur du secret n’est qu’affirmation virile déteint sur ce qui à l’intérieur se voudrait refuge et ne se révèle que piège. La blessure est sans fin. « Ce récit est par bien des aspects une réponse à l’homophobie qui gangrène la culture africaine de nos jours : des lois draconiennes ont été adoptées en Ouganda et au Nigeria », indique John Trengove (cf. article n°12310). Kwanda presse Xolani de s’affirmer : la loi n’est-elle pas de leur côté ? Mais en Afrique du Sud comme ailleurs, la loi ne fait pas tout. Le film ne se résoudra pas à un plaidoyer : la toile se referme lorsqu’on transgresse les interdits traditionnels. Le bois est l’espace de la solitude et du retrait, traversé par un cours d’eau où se jouent les jalousies et les conflits. Le soir enveloppe les secrets. La caméra se veut intime, proche, résonnant à cet environnement. Le récit est au rythme des corps, des regards, des déplacements. Il ne s’emballe que rarement, lorsque les nœuds sont atteints. Les chants xhosa régulent le récit tandis que sur le générique de fin, la musique de João Orecchia vire du traditionnel à l’électro. C’est cette touche que porte Kwanda, celle d’une Afrique du Sud partagée entre des lois progressistes et la résistance de ceux qui ne voient dans l’homosexualité qu’une importation des Blancs (qui furent pourtant historiquement les premiers à vouloir la réprimer).

Pyramide Distribution

Au-delà, interprété avec une grande intensité et tourné d’une main de maître, Les Initiés porte la blessure de l’intégration impossible quand il faut renier son intimité, la blessure du mépris pour la différence, et une fois le drame accompli et le retour impensable, le seul choix qui reste : partir pour l’inconnu.

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© Pyramide distribution
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