Les Rencontres d’Arles 2012 ont débuté le 2 juillet proposant aux visiteurs, comme chaque année une soixantaine d’expositions dont une bonne partie fait honneur aux anciens élèves de l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles qui fête ses trente ans. Le Market Photo Workshop de Johannesburg est mis en avant dans l’exposition dédiée au Prix Découverte. Une autre exposition, celle-ci dans le Off, présente le travail d’un jeune photographe prometteur Omar Victor Diop. La semaine professionnelle aura été également ponctuée de plusieurs événements mettant en valeur la photographie issue du continent africain.
Prix Découverte 2012
À l’entrée de l’atelier de mécanique, aux anciens ateliers SNCF, se trouve un pupitre où un agent d’accueil donne aux visiteurs une feuille pour voter. Car cette salle regroupe l’ensemble des nominés pour le Prix Découverte 2012. Ils ont été sélectionnés cette année par des responsables d’écoles de photographie étrangères : Philip S. Block pour l’International Center of Photography de New-York, John Fleetwood pour le Market Photo Workshop de Johannesbourg, Tadashi Ono pour la Kyoto University of Art and Design, Jyrki Parantainen, pour l’école d’Art, de design et d’architecture d’Helsinki et Olivier Richon, pour le Royal College of Art de Londres.
Le lauréat de ce fameux Prix Découverte dont la dotation est de 25 000 euros a été annoncé ce samedi 7 juillet au théâtre antique. Il a été décerné au photojournaliste israélien vivant en Afrique du Sud, Jonathan Torgovnik, présenté par Tadashi Ono pour son travail intitulé Intended consequences (1). Cette série de portraits prise au moyen format a été réalisée lors de plusieurs séjours au Rwanda. Durant trois ans, Jonathan a rencontré des femmes ayant subi des violences sexuelles pendant le génocide et leurs enfants nés de ces violences. Il leur a donné la parole que l’on retrouve sous forme de témoignage à côté de chaque image.
« Toutes les rencontres présentées dans cette exposition ont eu lieu dans le secret des maisons de ces femmes. Il m’était impossible de me préparer à ce que j’allais entendre. Pour la plupart d’entre elles, c’était la première fois qu’elles exprimaient ce qu’elles avaient ressenti. Pourtant avec chaque interview, elles partageaient avec moi des détails intimes liés à leur souffrance, leur isolement et les challenges de la vie quotidienne auxquels elles continuaient de faire face comme autant de conséquences directes de la violence qu’elles ont subie. »
Toute l’horreur vécue par ces femmes et la honte d’en parler encore aujourd’hui contraste avec ces images posées. Plusieurs témoignages relatent les difficultés, pour certaines, d’accepter l’enfant né de ce viol et de l’aimer. « Je n’ai jamais aimé ces enfants. Je n’ai jamais aimé personne. Je préfère ma première fille car elle est née d’un acte d’amour. » La douleur peut se lire sur le visage de ces femmes et de ces enfants. Ainsi, le photographe nous livre un témoignage poignant, dix-huit après le génocide.
Dans le même atelier, nous pouvons découvrir les travaux des autres nominés pour ce Prix Découverte et notamment les quatre artistes sélectionnés par John Fleetwood (2) directeur de l’école de photo de Johannesburg, le Photo Market Workshop.
Kolwesi, une immersion dans l’extraction minière artisanale au Congo
Le travail de Sammy Baloji présenté dans la première salle retient particulièrement l’attention. La scénographie permet aux visiteurs d’appréhender le sujet dans toute sa complexité. Des diptyques mettent en parallèle le réel, l’extraction minière artisanale et un rêve supposé, un idéal, à travers des affiches chinoises rephotographiées montrant un beau paysage coloré, à mille lieux du quotidien. Ces diptyques sont entrecoupés de portraits des personnes vivant à proximité des sites d’extraction minière. Sammy les a fait poser devant une bâche orange qui est celle des tentes des campements. Il a souhaité ainsi détourner le dispositif du studio photo.
Depuis plusieurs années, Sammy s’intéresse à l’héritage culturel, industriel et architectural de sa région, le Katanga. La série Kolwesi se situe dans la lignée de Mémoire,son précédent travail réalisé sur la Gécamines entre 2004 et 2006 et qui utilisait des images d’archives et des images actuelles en les superposant. « Les difficultés économiques de la Gécamines (société étatique) ont entraîné de nombreux travailleurs au chômage, le secteur minier a été privatisé et différentes sociétés privées, étrangères pour la plupart, se sont partagé les zones d’extraction. Les Congolais se sont donc tournés également vers ces zones pour continuer à travailler mais sans avoir les mêmes avantages liés à la protection des personnes et à leur prise en charge en cas d’accident. C’est ce déséquilibre, cette inégalité qui m’intéressait dans ce travail. »
Dans la salle suivante, Zanele Muholi, artiste sud-africaine dont le travail est très engagé auprès de la communauté LGBTI (3) nous montre plusieurs séries dont une très belle galerie de portraits en noir et blanc. Dans cette série Faces & Phases très esthétisante, elle souhaite valoriser l’image des lesbiennes. Les personnes photographiées ont toutes été victimes d’attaque homophobe. « L’une des expériences les plus douloureuses auxquelles notre communauté fait face est la perte de certains de nos amis ou de nos connaissances, victimes de la haine et de la discrimination de certains, aujourd’hui malades ou décédés. »
Sur le quatrième mur, des motifs rouge sang sont peints. Zanele a voulu avec cette série Isilumo Siyalum insister sur la recrudescence des crimes en Afrique du Sud perpétrés à l’encontre de nombreux noirs lesbiennes, gays ou transgenre vivant dans les townships.
le Off réserve également de belles surprises
Dans le Off du festival, une autre exposition nous attend à l’initiative d’[Afrique In Visu] et de l’association arlésienne [Afrique en vie]. En arrivant dans le quartier populaire de la Roquette, les images d’Omar Victor Diop nous attirent. Quatre photographies sont accrochées sur la façade et nous invitent à voir la suite de l’exposition Fashion 2112 le futur du beau à l’intérieur. Jeune photographe originaire du Sénégal dont le travail a été présenté lors de la précédente biennale de Bamako en 2011, Omar joue avec des codes visuels liés à la mode et crée son propre univers esthétique. Son propos touche à un questionnement actuel lié à l’environnement, à sa dégradation et au moyen de lutter contre ce fléau très prégnant à Dakar. Ces personnages sont affublés de vêtements faits de bouteilles en plastique, de papier kraft, etc. Il nous montre ainsi, d’une certaine manière, que tout est recyclable.
Durant cette première semaine des Rencontres, deux événements étaient organisés pour la promotion de la création contemporaine africaine : une rencontre autour de la création et de la diffusion de la photographie en Afrique, organisée par trois anciennes étudiantes de l’École d’Arles, aujourd’hui reconnues dans leur pratique, Érika Nimis, historienne de la photographie ainsi qu’Aliette Cosset et Isabel Forner, photographes et vidéastes. Érika a présenté la dernière parution de la revue Africultures (4) dédiée entièrement à la photographie sur le continent africain. Aliette et Isabel ont présenté le DVD qu’elles ont réalisé pour l’Institut français sur dix ans de biennale à Bamako. Le public attentif installé dans l’auditorium de l’ENSP (5) a posé quelques questions avant d’échanger de manière plus informelle autour d’un verre.
La deuxième initiative de cette semaine a été menée par [la Fondation Blachère] et [FotoFestivals] en projetant le temps d’une soirée les travaux de six photographes en résidence à Arles : Fatoumata Diabaté, Mario Macilau, Nyaba Léon Ouedraogo, Kiripi Katembo, Arturo Bibang et Khaled Hafez. Cette résidence un peu particulière a permis à ces photographes d’être présents durant cette semaine et de montrer leurs travaux à des professionnels lors du Photo Folio Review (6). L’idée étant pour eux d’élargir leur réseau à l’international. Une très belle initiative saluée par les photographes eux-mêmes et dont nous retrouverons sûrement les travaux sur les scènes artistiques à l’avenir.
Les Rencontres d’Arles se sont donc ouvertes cette année à l’Afrique par l’invitation de John Fleetwood du Market Photo Workshop et des quatre photographes qu’il présentait. Cependant, cette ouverture reste timide, car au-delà du Prix Découverte, les structures qui ont mis la « photographie africaine » en avant sont celles qui la promeuvent déjà tout au long de l’année
1. En français Conséquences attendues
2. Voir l’entretien réalisé avec John Fleetwood sur le Market Photo Workshop
3. LGBTI : lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, intersexes
4. Sous le direction d’Érika Nimis et Marian Nur Goni, Perspectives africaines en photographie, Africultures n° 88, L’Harmattan, mai 2012.
5. ENSP : École Nationale Supérieure de la Photographie
6. Photo Folio Review propose aux photographes des lectures de portfolios pendant la semaine d’ouverture du festival effectuées par des experts internationaux du monde de la photographie : éditeurs, commissaires d’expositions, directeurs d’institutions, directeurs d’agences, galeristes, collectionneurs, critiques, directeurs artistiques de presse.///Article N° : 10889