Les tristes tourments politiques de ces derniers temps nous encouragent à mettre en valeur le dynamisme visuel qui anime la capitale de la Côte d’Ivoire. C’est aussi pourquoi nous avons tenu à lancer la toute nouvelle photothèque d’Africultures sur internet avec les photographies des émeutes d’octobre que nous a transmises Hien Macliné (cf. africultures.com).
L’année 2000 a été marquée par la première édition des Rencontres du Sud à Abidjan au mois de février dernier. On connaissait déjà le regard très graphique d’Ananias Leki Dago, mais le « réalisme abstrait » de James Famoux, les mises en cadre anecdotiques de Luc Gnabo, la recherche émotionnelle de Hien Macliné ou encore, les « nus sculptés » de Bruno de Médeiros, restaient pour la plupart des démarches et des travaux inconnus du grand public. Agée d’une trentaine d’années, cette petite dizaine de photographes bénéficie de l’impulsion d’Ananias Dago, et s’inscrit dans les tendances que lui et d’autres photographes d’origine sénégalaise, sud-africaine ou malgache exposent à travers le monde depuis le milieu des années 90 et notamment depuis les premières Rencontres de Bamako. Révélatrice d’un besoin d’expression photographique, cette manifestation révèle aussi un désir de reconnaissance, de fortification de statut et de corporation organisée. Ananias Dago considère quant à lui, qu’il s’agit du début d’une histoire de la photographie en Côte d’Ivoire.
Comment sont nées les Rencontres du Sud ?
Je trouvais dangereux que la photographie en Côte d’Ivoire se résume à une ou deux personnes. J’ai réfléchi à la façon de faire la promotion de la photographie dite créative où le photographe adopte une démarche esthétique, un regard personnel sur des scènes de la vie quotidienne. A Abidjan j’en connais quelques-uns qui, malgré les difficultés qu’ils rencontrent, ont des choses à présenter. Seulement, ils n’ont pas l’habitude d’être exposés. Et comme ils n’appartiennent à aucun réseau de relations, ils ne sont pas sélectionnés pour des événements comme les Rencontres de Bamako et n’ont pas, non plus, les moyens de s’y rendre. Je les ai approchés. Après, cela s’est fait de bouche à oreille. J’ai fait une première prospection pour justifier la matière à présenter. En général, chacun avait deux ou trois choses. Et je me suis dit que tout cela réuni pouvait donner lieu à une collection. A l’occasion d’une exposition en France, j’ai contacté des personnes pour monter le projet. Et avec Catherine Aflalo comme directrice artistique, nous avons recherché tout ce qu’il y avait de personnel. Cela a donné 115 photos. 100 pour les Ivoiriens et 15 pour les étrangers.
Il semble que cela n’a pas toujours été simple et que cette initiative a suscité quelques malentendus au niveau des instances culturelles françaises.
C’est vrai que l’on m’a demandé de m’expliquer. Surtout au niveau de l’appellation. Pour moi, un mois de la photo en justifiait une. Au départ, j’avais pensé à Images d’Abidjan ou Rencontres d’Abidjan. Et puis, je me suis dit que c’est une rencontre et pas un marché. Donc le premier terme s’imposait. Et comme Abidjan est au Sud de la Côte d’Ivoire et que je voulais me détacher des Rencontres de Bamako ou des Rencontres d’Arles, j’ai opté pour Rencontres du Sud, tout simplement. Maintenant, si le Sud doit désigner l’Afrique, tant mieux. On m’a reproché de vouloir créer un ghetto entre Africains et de créer des Rencontres de Bamako bis. Je n’ai jamais réfléchi dans ce sens là. Mais je pense que c’est bien choisi puisque ça a posé problème.
De l’avis général, les travaux ont étonné par leur audace et leur originalité. Qu’est-ce qui vous a le plus surpris ?
C’est qu’il y a du jus et de la vie. L’ensemble les démarches sont très personnelles. Comme j’y participais, je me suis mis en retrait mais je m’imaginais le résultat. Tant du point de vue de la recherche esthétique qu’au niveau de l’immersion dans un contexte. Je suis certain que d’ici deux ou trois ans il y aura de grandes choses à voir. Mais c’est trop nouveau pour que l’on se prenne au sérieux. Cela ne représente qu’une collection. Une contribution générale et le début d’une histoire. C’est pourquoi l’on a titré « Naissance d’une collection. » Après le rejet d’une certaine photographie, ces Rencontres se situent dans la continuité de ce que Doris avait organisé en 1994. Pour la première édition, on n’a pas osé proposer un thème précis, par peur d’avoir une production trop restreinte. Et il fallait d’abord voir ce que les photographes avaient envie de montrer. Maintenant, pour les prochaines Rencontres, nous allons laisser les regards s’exprimer autour d’un thème.
Mais pour l’instant, pensez-vous qu’il existe en Côte d’Ivoire un marché qui puisse permettre aux photographes de s’exprimer ?
Mais c’est à nous de créer un marché de la photographie ! Je pense aux agences de pub ou aux maisons d’édition, qui ne sont pas assez nombreuses. Actuellement, nous dépendons du marché européen. On ne connaît pas de photographes en Afrique alors on se dit qu’il n’y en a pas ou que s’il y en a, le niveau doit être très bas
Des initiatives comme les Rencontres sont aussi destinées à créer une demande. Car le marché est latent. Il faut juste mettre le révélateur pour qu’il apparaisse. D’ailleurs, cela a déjà porté ses fruits. Depuis, certains photographes ont été approchés par une agence sur place. Avant de venir en résidence, j’ai moi-même travaillé pour l’une d’elle. Il est clair que rien n’est organisé ni homologué dans le milieu de la photo à Abidjan. C’est de l’informel total. Mais c’est maintenant que les choses commencent. Des photographes vont se révéler et on va organiser les choses ensemble.
Comment vivez-vous le fait que la plupart des images du Sud proviennent de photographes du Nord ?
Je crois qu’il ne faut pas tout rejeter en bloc. Il y a des très bons travaux qui ont été fait sur l’Afrique par des Européens. Mais pour moi et pour plusieurs photographes de la tendance de 1994, cela a été un catalyseur. Et il arrive un moment où il s’agit d’imposer le regard de l’Afrique par elle-même.
Les événements récents de Côte d’ivoire risquent-ils de ralentir cette dynamique de l’image née avec les Rencontres du Sud ?
Si cette dynamique de l’image veut dire révélation de talents, je ne pense pas. La preuve, malgré les événements, le Goethe Institut à Abidjan poursuit toujours son grand programme autour de la photographie qui a démarré avec les Rencontres du Sud. Des expos et des tables rondes ont été organisées et on prépare un Workshop international avec toujours le soutien de l’Institut. Les photographes sont motivés. Et j’en profite pour remercier la Directrice du Goethe, Madame Ute Grauerholz, pour sa contribution à cette dynamique. Nous écrivons l’histoire avec elle.
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