Avec ce nouveau texte, Chamoiseau nous invite à suivre un conte magnifique aux symboliques très fortes sur la résistance de l’esclave à son maître. Avec le langage travaillé, magnifiquement fleuri et vivifiant qui le caractérise et fait de ses romans, contes ou nouvelles, des textes poétiques de haute volée. Il était une fois…un vieil esclave, dans une Habitation se situant dans le nord du pays, aux attitudes qui suintaient la résignation, l’abandon et l’absence, dont l’âge était si grand que même les plus ridés n’avaient souvenance de son jour de naissance et qui n’utilisait aucune des astuces dont usaient les autres esclaves pour survivre à la mort comme danser, chanter, « fourrer le bois-de-vie dans l’ombrage des négresses soûles de danse-calenda… » Chez lui, le fil de la vie paraissait avoir été égaré depuis longtemps. Jusqu’à l’arrivée du molosse. La bête, achetée « sans discuter du prix » par le Maître-Béké, avait fait le voyage sur le même bateau que les nouveaux nègres ramenés d’Afrique. Elle avait vécu le même calvaire et les mêmes souffrances : » Le regard du chien ressemblait à celui des marins. Et pire : les loques qui montaient de la cale (…) avaient le même regard « . Mais le Vieil Homme vit tout de suite que le Molosse était d’une autre trempe que les esclaves, il avait tout suite repris du poil de la bête et retrouvé sa nature combattante. Le Vieil Homme sans âge » retrouve dans le molosse la catastrophe qui l’habite…Mais dans l’impressionnante férocité de l’animal, cette catastrophe a pris convergence : elle s’est transformée en une foi aveugle capable de maîtriser ce trouble né du bateau... » La leçon est puissante. L’esclave décide de prendre en main son destin et de mettre entre lui, L’habitation-Prison et le molosse, un océan de liberté. Au point de désarmer et de déstabiliser la bête féroce et son maître. Ce n’était pas une fuite, mais un voyage vers la dignité et la station qui convient le mieux à l’être humain : la station debout. En fait, dans le regard du molosse qu’il avait souvent croisé, le Vieil homme avait puisé les forces d’une renaissance. Tout comme Rac, le personnage central de Boudjedra (voir notule ci-dessus), l’esclave avait fini par vaincre sa peur : » La décision de me battre réintroduisait certitudes et espoirs. Elle aiguisait mon désir de survivre jusqu’au fil d’une folie… Pas une haine, pas un ressentiment, seul un vouloir-détruire ce qui me menaçait. » La peur avait changé de camp. Elle n’était plus en tous les cas dans celle du vieil esclave. Elle ne sera sans doute plus dans celui de sa descendance : » En lui, maintenant, s’ébrouaient d’autres espaces qu’il n’emprunterait peut-être jamais, mais que ses enfants, dans quelques générations, un jour sans doute, au plein éclat de leur pureté et leur force légitime -c’est à espérer- entreprendraient comme on aborde le premier doute. »
L’esclave vieil homme et le molosse, de Patrick Chamoiseau, Ed. Gallimard, 134 p., 80 FF.///Article N° : 224