» L’humour est l’expression la plus proche de la liberté « 

Entretien de L.M. Arnal avec Dieudonné

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A l’occasion du Festival Juste Pour Rire de Montréal, où il a fait salle comble, Dieudonné s’est livré au jeu d’un questionnaire intimiste qui dresse le portrait aux facettes multiples d’un humoriste emprunt d’une philosophie motivant son implication politique.

Quelles sont les expériences familiales qui vous ont le plus marquées ?
Mes parents ont divorcé très tôt comme beaucoup de couples mixtes de l’époque, dans les années soixante. Mon père a été amené à vivre le racisme au quotidien. A l’époque, quand il était jeune, il était un homme plein d’ambitions, très fier. Il ne comptait pas s’installer en France et savait qu’il rentrerait au Cameroun. Ma mère est restée en France et je faisais le va-et-vient.
Donc, vous connaissez bien la culture camerounaise ?
En fait, à partir du moment où mes parents ont divorcé, je n’ai pas vu mon père pendant un certain temps. Quand je l’ai revu, je devais avoir 12 ou 13 ans. C’est à ce moment-là que j’ai vraiment découvert l’Afrique et la culture africaine, et notamment l’Ewundo dans la région Centre-sud du Cameroun. Je suis de Balmayo, du groupe ethnique Beti. Je passais mes vacances au village avec mon vieil oncle, pour apprendre mes origines.
Quel est le credo qui vous a permis de survivre au fil du temps ?
Je pense que c’est une énergie dont on n’est pas finalement – ou pas réellement – consciemment responsable. J’ai eu la chance d’être le fruit d’un long processus, d’une longue chaîne, d’une histoire qui a les pieds enracinés en terre camerounaise, dans la forêt. Et je pense qu’on m’a transmis l’énergie nécessaire pour accomplir une vie tout entière, car je crois que justice sera rendue. Mon credo c’est ça : une quête de justice internationale, d’égalité.
Quelles ont été les grandes idoles de votre jeunesse ?
Je suis Afro-Européen. Nos héros ont été bâillonnés. On ne les a pas entendus : ils ont été tués. Mes idoles étaient celles de la résistance africaine. Mes lectures étaient orientées vers les Afro-américains, la résistance noire : Malcolm X, Mohammed Ali, Rosa Parks. En France, elle était inexistante sauf dans quelques espaces comme la poésie et le sport. : il y avait Frantz Fanon, évidemment, mais je l’ai connu bien plus tard, de même qu’Aimé Césaire.
Quelles sont les qualités qui vous ont le plus aidé à survivre ?
C’est difficile de parler de ses qualités… L’optimisme. C’est peut-être un défaut aussi. La recherche du « rien ». J’en parlais dans mon spectacle.
Comment vous est venue l’idée du « Mouvement du Rien » ?
C’est le fruit d’un parcours religieux arrivé à maturité. Le zéro absolu, le zéro mathématique ni positif, ni négatif, qui représente l’absolu, une dynamique d’éternité. Comme si le zéro devenait le symbole de la plénitude. Un peu comme dans la philosophie hindoue.
Le métier d’humoriste, c’est quoi exactement ?
Aimé Césaire m’a dit : « Dieudonné, tu es jeune ; tu vas à l’essentiel. Tu es notre avenir ». J’ai bien sûr été captivé par cette main tendue, de la part de l’ancien. Il n’y avait jamais eu d’humoriste noir, en France, avant moi. Il m’a dit : « Il y a eu des amuseurs, des jongleurs, des pitres. Mais jamais personne n’avait fait rire avec la souffrance, et la douleur nègre. Ça, ça va déranger beaucoup de monde ». C’est toute la force du rire, de la dérision. Il comprenait que la poésie générait moins de débats que le punch de l’humour qui est plus cinglant, plus pétillant, moins mélancolique.
Peut-on vivre sans rire ?
J’ai aimé la réflexion philosophique sur le rire d’Henri Bergson. L’humour est beaucoup plus libre que l’analyse philosophique. Ce qui est merveilleux, c’est qu’il est inattendu et surprenant parce que c’est l’expression la plus proche de la liberté, de la liberté de conscience, et du sens critique. La critique passe forcément par l’humour et la dérision. Je défends évidemment ma paroisse, mais je pense qu’on a sacralisé la posture du sérieux, au travers de la religion. Il suffit de voir comment se comportent certains prêtres. Ils me semblent toujours tristes et nous donnent des vérités sur une tonalité terne. Alors que les prophètes qui ont inspiré ces belles paroles, eux, étaient des gens qui avaient le sourire aux lèvres.
Vous vous investissez dans certaines causes humanitaires. Qu’est-ce qui est important pour vous, dans cet effort pour aider les autres ?
C’est l’énergie du désespoir. C’est tellement terrible, tellement insultant-humiliant de voir à quel point nous sommes exploités, volés, spoliés encore aujourd’hui ! C’est un véritable génocide programmé, au quotidien. Alors, évidemment ça révolte ! Et c’est pour cela qu’il nous reste juste une chose : c’est la libre conscience et le rire. Et c’est certainement la chose la plus mordante face à l’arrogance des empires financiers et des puissances militaires. Rire de leur force, de leur arrogance et de leur grandeur ridicule, c’est ce qui les blesse le plus.
Avez-vous prévu un Plan B si vous étiez contraint d’arrêter votre métier ?
Oui, j’irais ailleurs. Je ferais autre chose pour vivre avec peu.
Votre spectacle en partie, comme la démarche de certains philosophes, est une préparation à la mort de Dieudonné-en tant que comédien : mais mourir n’est ce pas, comme on dit, renaître un peu ?
Ce sera dur parce que j’adore la scène, mais je pense qu’il y a d’autres « scènes ». Je n’ai pas besoin de beaucoup de public ; simplement amuser des enfants. Dans ces métiers-là, c’est déjà pas mal : c’est un sport de haut niveau, l’humour. Rares sont les humoristes qui, au-delà de 50-60 ans sont restés amusants. De par sa démarche psychologique, le propre de l’humour, c’est d’être très éphémère.
Quelle est votre plus grande peur ?
Je connais la peur, mais je pense que le temps n’est plus aux peurs. Les peurs ont été entretenues, cultivées par les dogmes religieux, par des gens qui nous ont poussés dans nos peurs pour mieux nous contrôler. J’ai des peurs, évidemment, mais elles ne peuvent pas être le moteur de mon destin. Ce n’est pas possible. Comme tous les sentiments que j’ai en moi, elles existent. Mais profondément, je n’ai pas vraiment peur. Je refuse de donner à ma peur la place qu’elle n’a pas. Elle n’a pas plus d’importance que le reste. J’ai donc peur de tout mais je n’ai peur de rien, aussi. Je sens que c’est par les peurs qu’on a contrôlé mon esprit. Et ce n’est pas parce qu’on me fera peur (à ma famille, mon environnement, ma profession…) que ça changera quelque chose.
Le pessimisme est-il un remède de comédien ?
C’est le cynisme. C’est un ressort humoristique. C’est l’humour.
Religion et destruction : un commentaire là dessus.
Je suis pour le grand Mouvement de RIEN. J’aimerais qu’on libère les esprits et les consciences des cages et des prisons religieuses. C’est-à-dire stopper l’escroquerie, en arrêtant d’alimenter les peurs.
La politique internationale semble avoir disparu de votre agenda ?
Je suis parfaitement concerné, surtout en ce moment. Ces questions de politique extérieure me touchent. Je m’inspire beaucoup de la politique menée par Evo Morales en Bolivie, et le président Hugo Chavez du Venezuela. Ils représentent le changement, dans la relation Nord-Sud, qui est en train de s’opérer.
Combien de temps passez-vous à lire, à écrire et préparer vos spectacles ?
J’écris plus que je ne lis. Mais je lis au moins une heure par jour. Je lis des articles. Je passe aussi régulièrement une heure par jour à travailler un spectacle. Je me prépare, et mon esprit aussi. C’est quand même un exercice qui n’est pas simple.
Quand vous ne travaillez pas, que faites-vous ?
Je reste avec ma famille et mes 3 enfants.
Quels regards ont vos enfants sur leur papa ? Vous voient-ils comme un héros ou plutôt comme un absent ?
Peut-être un peu absent, mais quand on est ensemble, c’est du temps de qualité. Je suis très proche de mes enfants, et j’apprends d’eux autant qu’ils apprennent de moi. Ils sont rentrés dans un âge – de 7 à 14 ans – qui nous permet d’aborder pas mal de discussions. C’est passionnant.
Où vous sentez-vous le plus chez vous, en France, au Cameroun, à Montréal ou ailleurs ?
Dans la francophonie.
Vous cuisinez plutôt le poisson braisé – plat camerounais – ou les crêpes bretonnes ?
Le poisson braisé, mais j’aime aussi les crêpes bretonnes. J’ai quand même tendance à manger beaucoup plus de poisson braisé !
Dans votre métier d’humoriste, est-ce votre héritage camerounais ou français qui vous sert le plus ?
Les deux.
Comment définissez-vous votre identité : comme française, camerounaise, ou les deux ?
Je me considère comme Afro-Européen. Je crois que c’est mon métissage qui m’a poussé à ne pas mettre de barrières, ou de frontières.
Comment avez-vous vécu votre métissage, dans les années 60 ? Avez-vous vécu le racisme ?
Oui, il y avait un peu de racisme. Mais je faisais du judo, j’étais costaud, alors, on ne m’embêtait pas. Je n’ai pas eu à assumer la brutalité, la violence physique, ou même les insultes, car les enfants se méfiaient. Donc, ça s’est plutôt bien passé. Là où ça a été plus difficile, c’était dans la recherche d’un logement et dans celle de mes premiers boulots. Parce que mon africanité, je la porte avec mon nom, M’Bala M’Bala. Il n’y avait pas d’ambiguïté sur mes origines africaines. Il y a déjà le barrage du nom dans la recherche d’un emploi.
Quels ont été vos plus grands supports en temps de crise ?
C’est la communauté afro-européenne et une grande partie de la communauté blanche aussi, des amis de longue date. Ça a soulevé un bel élan de sympathie mais, effectivement, qui s’opposait à voir le financier influencer le politique.
Est ce que la célébrité efface votre identité raciale ou la met-elle en relief ?
Non, un Noir reste un Noir.
Avant d’être connu, étiez-vous alors plus camerounais que comédien ou comédien avant d’être africain ?
J’étais plutôt le Noir. J’étais le « comique noir ».
Qui vous a appris à rire ?
C’était dans ma famille. J’avais un oncle qui était toujours un peu boute-en-train. Pas comique professionnel, mais drôle : il riait beaucoup.
À être courageux ?
C’est la vie qui m’a amené à refuser l’indignité. C’est parti de la garde de mon intégrité, de ma dignité.
Si votre petite fille vous demandait en quoi les Africains ont contribué à l’Histoire, quelle est la première chose que vous lui répondriez ?
Les Africains de l’Afrique centrale habitent, encore aujourd’hui, la terre la plus riche du monde. En matière minière, il y a tout. Et je pense qu’il y a quelques siècles, au moment de l’industrialisation, ça a généré des jalousies. Quand ils ont eu les armes à feux, les Occidentaux ont trouvé un prétexte. Alors que s’il n’y avait pas eu les armes à feu, ils n’auraient jamais pu pénétrer en Afrique. Ils ont mis le pied en Afrique parce qu’ils avaient cette invention incroyable. Ils étaient venus avant, et ils avaient trouvé ce peuple bien sympathique. Le pillage a commencé avec les armes à feu. Au combat au corps à corps, à mains nues, ou avec une sagaie, ils ne se seraient jamais risqués. C’est la lâcheté de l’arme à feu qui a fait la suprématie occidentale.
Beaucoup de jeunes se sentent trahis par leurs « anciens » car ces derniers ne les guident pas, ne leur assurent pas un futur prospère, comme le font d’autres communautés (chinois, japonais, juifs, etc.). Ces anciens semblent toujours dépendre de leurs blancs pour réussir, qu’est-ce que vous en pensez ?
La trahison, le profit… Les structures politiques en Afrique ont été établies par un pouvoir qui n’est pas africain. Donc, ce ne sont pas nos « anciens », ce ne sont pas nos dirigeants. Ce sont des partenaires de l’empire.
Qu’est ce que l’Africain peut faire pour améliorer la situation en Afrique ?
Conquérir culturellement l’Occident. S’investir et voter. Libérer son sens critique. Retrouver sa dignité.
Avez-vous un ou des projets pour l’Afrique ?
Je suis en train de m’organiser avec mes frères pour développer quelque chose. Des petites choses. L’idée c’est qu’il faudrait que la diaspora puisse investir son argent en Afrique.
Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez accomplir avant de mourir ?
L’abolition des frontières en Afrique.
Parmi vos autres talents, quel est celui que vous aimeriez exploiter dans le futur ?
Je crois que je n’aurai pas fait le tour du verbe à la fin de ma vie. C’est l’écriture qui me passionne.
Qu’est ce qui vous donne le plus de plaisir dans la vie ?
La scène. Le spectacle. Et puis évidemment, dans ma vie privée, ma famille.
Quel est votre rêve pour vos enfants ?
La liberté.
Quels sont vos projets d’ici la fin de l’année ?
Les élections présidentielles 2007, où je devrais représenter en tout cas la voix afro-européenne et Maghreb confondus. Je pense qu’on a sûrement un rôle à jouer dans les prochaines élections officielles. Et puis, je prépare mon nouveau spectacle que je vais jouer à Paris.

LM Arnal est journaliste d’origine malienne, poursuivant un master à Montréal. Il a contribué à divers médias afro-américains et plus récemment au journal canadien African Affairs.///Article N° : 4546

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