Plus qu’un simple musicien, le saxophoniste camerounais était philosophe sans doute, anthropologue certainement, humaniste assurément, selon José Pentroscope. Le président du Centre d’information, formation, recherche et développement pour les originaires d’Outre-mer (CIFORDOM) a souhaité rendre hommage à l’homme de tous les projets basés sur l’échange, la tolérance, le mélange des cultures et la lutte contre le racisme.
Le CIFORDOM a rencontré Manu Dibango pour la première fois en mai 2004. C’était l’année de la 1ère édition du « Prix FETKANN ! » année où Fabienne Kanor fut distinguée dans la catégorie Mémoire. Il est venu dans le bureau que j’occupais au CMAI Dom-Tom (Centre Municipal d’Accueil et d’Information) de la mairie de Paris rue Léon Frot. Manu Dibango venait d’être nommé Artiste de l’UNESCO pour la paix par Koïchiro Matsuura, Directeur de cette organisation, en reconnaissance de sa contribution exceptionnelle au développement des Arts, de la Paix et du Dialogue des cultures dans le monde.
J’ai dans ma mémoire le ton qu’il donna ce 27 mai 2004, au concert organisé au siège de l’Unesco à Paris avant l’ouverture des journées de l’Afrique.
Mais j’ai surtout dans ma mémoire nos échanges sur l’indispensable dialogue entre l’Afrique et la Caraïbe, l’importance de la rencontre Césaire-Senghor, son séjour à la Jamaïque, le panafricanisme de Kwame Nkhrumah, ancien Président du Ghana, père du panafricanisme.
C’est tout naturellement et avec enthousiasme qu’il accepta cette année-là ma proposition de faire partie du Comité d’Excellence du Prix Littéraire FETKANN ! qui deviendra en 2015 Prix Littéraire FETKANN ! Maryse Condé. Coïncidence, son nom figure entre celui de Maryse Condé dont le Prix porte maintenant le nom, et celui de Marcel Dorigny conseiller scientifique du Prix.
Il avait été conquis par la volonté des initiateurs du Prix de favoriser le travail de mémoire des pays du Sud et de l’humanité tout entière et de favoriser les idées de progrès et d’humanisme dans le monde.
Nommé grand témoin de la francophonie par l’Organisation Internationale de la Francophonie, Manu Dibango fut mandaté pour défendre les valeurs de la Francophonie aux jeux de Rio de Janeiro au Brésil en 2016.
Nous nous sommes retrouvés quelques années plus tard, en 2007 à l’inauguration du FESMAN à Dakar pour parler de la renaissance africaine.
Comme nous, Manu Dibango prônait l’enseignement de l’histoire de l’esclavage et l’égalité des mémoires. Il avait tenu à honorer l’invitation qui lui avait été faite d’être présent lors de l’inauguration du Mémorial Acte en Guadeloupe le 10 mai 2015 par le Président François Hollande. Là, il m’avait alors interrogé sur ce que fut la vie dans les plantations et à l’usine Darboussier, site où est construit le Mémorial.
Adhérent du CIFORDOM, Manu Dibango avait soutenu notre grande idée de Carnaval des Outre-mer tel que nous l’avions projeté avec Henriette Sébéloué et Maurice Jallier. Il avait apporté également son soutien à une autre ambition, celle de la BLACK PRIDE que nous portions et qui n’a jamais vu le jour.
Manu, musicien c’est sûr, les compositions et les titres sont là : Soul Makossa, mais pas seulement, la discographie est riche ; philosophe sans doute, anthropologue certainement, humaniste assurément et plus encore homme de tous les projets basés sur l’échange, la tolérance, le mélange des cultures et la lutte contre le racisme : « Il y avait toujours quelqu’un pour me faire comprendre que je n’étais pas vraiment du terroir, de son terroir » disait-il.
Manu, musicien doué s’est collé à toutes les musiques et pourrait-on dire à toutes les contrées, à l’échange entre l’Afrique, la Caraïbe et l’Amérique. Le rapprochement affirmé dans les propos est là. Il est le symbole africain de la « Fania All Stars de Johnny Pacheco, maître de la Salsa. Il a côtoyé la Grande Célia Cruz et Ray Barreto. Il a touché au Reggae, à la musique cubaine, aux sons dans l’air du temps du Hip-Hop à l’électro. Il a découvert le Rythm and Blues, a gardé sa passion pour le Jazz et Duke Ellington et a participé à des émissions télévisées produites par notre compatriote Gésip Légitimus. Grand Kallé, le créateur « d’indépendance cha cha » l’a embauché comme saxophoniste dans son orchestre African Jazz… toute une histoire, tout un parcours, quelle histoire, quel parcours ! un parcours d’exception pour celui qui affirmait avoir l’harmonie de Bach et d’Haendel dans l’oreille avec les paroles camerounaises. Et d’ajouter, dans la vie : « je préfère être stéréo que mono ».
Manu s’était aussi engagé pour sauver la planète en signant la pétition lancée par Juliette Binoche et l’astrophysicien Aurélien Barrau en faveur d’une action politique « ferme et immédiate » face au changement climatique.
Un livre, deux livres, trois livres…. des livres, ne seront point suffisants pour conter l’histoire d’un homme qui a quitté sa terre natale le Cameroun en 1949 pour étudier en France et qui par le travail et la grandeur d’âme a su devenir une légende planétaire.
Manu avait reçu, la médaille des Arts et des Lettres des mains de Jack Lang et était Chevalier de l’Ordre National de la Légion d’Honneur.
Je l’ai vu pour la dernière fois à l’occasion des 90 ans de l’immense écrivain Sénégalais Cheikh Hamidou Kane à la Maison de l’Afrique, et bien-sûr, nous avions parlé de la place de nos auteurs dans la société française et de l’avenir du Prix FETKANN ! Maryse Condé.
Nous sommes tristes, c’est triste de perdre un militant de l’humain comme lui à une époque où les hommes de cœur se font rares et où la haine de l’autre fleurit partout dans le monde.
Puisse son souvenir conduire les jeunes générations à s’engager pour la planète et le respect mutuel.
Nous adressons nos sincères condoléances à ses filles, à ses fils, à sa famille et à Claire Diboa, sa manager et nièce avec laquelle nous avons entretenu d’excellents rapports.
José PENTOSCROPE
Président du CIFORDOM
Président du Prix FETKANN ! Maryse Condé