Il est rare qu’un auteur de BD vive de son travail sur le continent africain. Il lui faut souvent – comme de plus en plus en Europe – jongler avec plusieurs métiers. La carrière de R. Max est complètement représentative de cette situation. Véritable caméléon artistique, celui-ci a touché à tout, aussi bien en termes de décoration de théâtre ou de cinéma, de BD que de caricatures, de photographies ou de peintures. Retour sur le parcours d’un artiste protéiforme dont la curiosité insatiable fut le moteur de l’ensemble de sa carrière.
Pouvez-vous nous raconter vos débuts en tant que dessinateur ?
En 1988, j’ai commencé à sortir mes premiers dessins dans un journal hebdomadaire créé par Honoré Razafindramiandra. Il m’a demandé de faire des images satiriques. Cela a duré une année et j’y ai pris goût.
Quelle formation aviez-vous ?
Je suis allé jusqu’au bac que j’ai raté, puis j’ai quitté l’école. J’étais dans un Lycée d’enseignement général mais je n’y étais pas à ma place. Je n’étais pas dans mon domaine naturel et puis, je ne voulais pas que mes parents dépensent trop d’argent pour mes études. Mon rêve était de devenir architecte – Léonard de Vinci m’a beaucoup marqué – mais ici, les parents vous poussent à devenir fonctionnaire. Et puis, le système d’enseignement malgache était fait de telle façon que les études d’architecte se faisaient à Diégo, très loin de Tana. Il m’était impossible de m’y rendre, j’étais un enfant de Tana ! J’étais en série scientifique mais j’avais une inclination plutôt littéraire. Toujours major en épreuve de philosophie, par exemple. Durant cette période lycéenne, j’ai découvert ma fibre artistique. C’est là que j’ai participé à un concours pour la réalisation de motifs de T-shirt dans mon lycée pour lequel j’ai terminé premier. Cela a constitué une confirmation et une reconnaissance de mon état d’artiste.
Comment avez-vous commencé dans la bande dessinée ?
Pendant plusieurs années, j’ai fait des petits boulots. Par exemple, j’ai travaillé pour la société d’électricité à Mada en tant que releveur / encaisseur. Rien à voir avec la BD ou le dessin ! Puis, un concours a été organisé par les éditions Horaka, spécialisées dans la BD, en 1983. J’y ai participé. Lors de ce concours, j’ai créé ma première BD, Zoly – qui veut dire « jolie ». C’était l’histoire d’une petite fille de la campagne polluée par le soi-disant modernisme de la ville. Le premier prix était un billet d’avion Tananarive – Majunga, mais je n’ai pas pu en profiter. Par la suite, en 1988, Richard Rabesandratana, qui dirigeait Horaka, m’a sollicité pour travailler avec eux. J’ai dessiné trois histoires de Zoly, publiées dans chacun des numéros de la revue Tsaina en 1988. Nous n’étions que deux dessinateurs dans cette revue avec Jocelyn Rajaomahefarison. Malheureusement, elle n’a guère eu de succès et s’est arrêtée assez vite. Ensuite, il y a eu Rado, une autre série de Horaka, qui a duré 1 ou 2 numéros et à laquelle j’ai participé également. Là également, ce titre n’a pas trouvé son public.
Cela vous a quand même permis de trouver enfin votre voie ?
Oui, à trente ans, il était temps ! Et surtout je pense être le premier auteur masculin malgache à avoir dessiné une héroïne de BD. Cela a étonné beaucoup de monde, le monde de la Bd est quand même un monde de machiste. Mon personnage, Zoly, a une grande force intérieure malgré son apparence frêle.
Vous êtes l’un des premiers auteurs du continent à avoir fait de la BD pédagogique…
Ah oui, en effet ! Un peu avant Tsaina, au début des années 1980, Horaka a été sollicité par l’Alliance Française afin d’élaborer des livrets pédagogiques d’enseignement du français sous forme de bande dessinée. Trois auteurs étaient concernés : Roddy, Richard et moi. Comme les deux autres partenaires étaient des associations – à savoir l’Alliance Française de Tana (AFT) et la FMTF[1], l’association des professeurs de Français du secondaire – nous avons créé une association qui s’est appelé AMI[2] car c’était une nécessité réglementaire. C’est comme cela que l’on a sorti la première méthode d’enseignement pédagogique en Bd en Afrique, les aventures de Tefy et Tiana. On a failli être dans le programme officiel mais malheureusement cela n’a pas pu se faire. On est même allé à Maurice pendant une semaine pour essayer d’exporter ce concept dans l’océan Indien, Richard, moi et Mme Sahondra, la présidente de la FMTF. Malheureusement, cela n’a pas donné de suite. Cela a d’abord donné deux albums de BD pédagogiques, Chapeau Tonton ou le gang des six puis Affaire de famille, contenant toute un tas d’activités et d’exercices. Par la suite, nos deux héros ont été repris dans une série de livres scolaires pour l’apprentissage du français : Tefy et Tiana en ville, Tefy et Tiana à la campagne, Tefy et Tiana à l’usine, Tefy et Tiana font du sport, Tefy et Tiana en famille et ainsi de suite ! C’était une belle aventure. J’aimerais bien que cela soit renouvelé, mais je crois que les temps ont changé.
Et par la suite ?
Puis, j’ai arrêté la bande dessinée ! Je suis devenu collaborateur extérieur de l‘Alliance Française. Je faisais de la PAO et m’occupais des visuels : photographe, vidéaste, dessins, pendant neuf ans, jusqu’en 1997. Je suis même devenu animateur scolaire, grâce à Jean Daniel Chaoui, un directeur de l’Alliance de l’époque. Avec la BAPAF (Bureau d’Activités Pédagogiques de l’AF) qu’il avait créé, je me suis occupé de l’accueil pour les enfants et de préparation d’expositions itinérantes dans tout Madagascar…et par la suite, animé aussi une exposition pour laquelle, apprendre le français d’une manière ludique était le message principal. J’y étais également dessinateur. J’ai découvert un autre monde et j’ai ressenti une véritable vocation pour la transmission de certaines valeurs au plus grand monde, en particulier aux enfants. J’ai ressenti cela comme un grand privilège pour moi et j’ai beaucoup aimé. Puis en 1997, je quitte l’Alliance.
Pourquoi ?
Je suis parti faire la culture du champignon à la campagne, à 15 kilomètres d’ici, pour subvenir à nos besoins, à ma femme et moi. Je m’en suis occupé pendant quelques temps jusqu’en 2002, tout en faisant des illustrations pour des ONG agricoles, des petits travaux de commande pour des œuvres sociales. Et puis en 2002 du fait des événements politiques[3] tout s’est écroulé. Les prix ont flambé et le coût de revient a augmenté. Il y avait beaucoup de barrages, cela a détruit beaucoup de choses. A Madagascar, c’est souvent la politique qui nous perd.
Vous êtes retourné alors à vos premiers amours…
Oui, j’ai repris à temps complet le métier de dessinateur que je n’avais pas abandonné. Depuis 1994, je faisais des décorations de scène, j’ai approfondi après 2002. J’ai commencé avec Richard Razafrindrakoto, un peintre primé à RFI découverte en 1994. J’ai été auteur de beaucoup de décorations de scène, cela m’a permis de vivre, d’exercer mon art, de m’exprimer. Mon premier Grand spectacle a été Chaud Show dance, de Mialy Rajhonson, un danseur professionnel confirmé lequel j’ai réalisé de grands tableaux de 12 mètres sur 7. En parallèle, j’ai continué le dessin de presse et puis je faisais aussi de la sculpture, par exemple Les rois et reines de Madagascar que je réalise sous forme de statuettes de 45cm et qui sont en cours de réalisation. Je fais aussi de la photographie. Je suis membre fondateur de l’Aphom – l’association des photographes de Madagascar – avec Émile Rakotondrazaka, les Razafitrimo, Jules Richard et d’autres… On a organisé des stages et des Ateliers, avec Lucien Clergue par exemple.
Viviez-vous de vos activités?
Non ! C’était des activités ponctuelles. J’ai surtout travaillé pour une société de rhum, Dzama, comme employé au service de marketing visuel. Et puis de 2004 à 2009, j’ai été caricaturiste dans son journal Le quotidien, pendant 5 ans comme prestataire. Jusqu’en janvier 2009, où du fait des événements[4], le siège du journal a été saccagé et celui-ci s’est arrêté. J’y travaillais de 17h à 22h, sauf le samedi.
Avez-vous eu des ennuis par la suite ?
Mes caricatures n’étaient pas très méchantes, selon la philosophie du journal. Son propriétaire, Marc Ravalomanana, ne le souhaitait pas. Je voulais attaquer mais lui demandait de modérer celles-ci. Il ne voulait pas d’images tirant vers le bas, il souhaitait que le combat en reste au stade des idées. Comme lui n’aimait pas être attaqué, il ne voulait pas faire subir cela aux autres. Donc, non, je n’ai pas été embêté. De toute façon je ne dessine que pour les causes auxquels j’adhère, je ne faisais pas de provocations. J’ai juste changé de nom de plume. Ma signature avait pris une connotation politique. J’ai dû en changer pour que l’on ne fasse pas automatiquement le lien. Donc, de R. MAX, je suis devenu Max Razafindrainibe, mon vrai nom, tout simplement !
Et la BD dans tout cela ?
Après ma démission en en 2010 de Dzama, j’ai vécu de quelques contrats, d’illustrations, de portraits, de peintures. Je faisais de la PAO pour la publicité, pour des magasins de prêt à porter, des restaurants, mais aussi de la décoration et agencement de magasin, des pubs dans les journaux. J’ai mis le dessin de côté durant quelques temps, c’est récemment que cela a repris… Mais de fait, je n’ai pas publié d’histoires sous forme de BD depuis trente ans, même si je faisais une planche hebdomadaire dans un supplément du « quotidien, Vavaontsika entre 2004 et 2009. Je n’arrête pas de me dire que je vais reprendre, j’ai d’ailleurs fait des tentatives , avec Pierro Rabesandratana mais au bout de quatre planches, on a arrêté.
Vous vous êtes spécialisé dans les contes illustrés…
PREDIFF – Jeunes Malgaches m’a contacté il y a trois ans pour travailler avec eux. J’ai illustré trois contes en éditions bilingues : Voninandro & Zavonandro en 2016, Izaho ankizy en 2017 et Ilay Zaridaina en 2018. A ceci, je peux rajouter trois autres réalisés par Jeunes Malgaches pour l’ECPAP et qui traitent des abus faits aux enfants. Ceux-ci ne sont pas à vendre mais utilisés comme support de sensibilisation.
Quels sont vos projets ?
Je me considère comme un homme de l’image, tout ce qui touche à ce sujet m’intéresse. J’ai fait les décorations d’un film qui va bientôt sortir l’an prochain, j’y ai travaillé comme décorateur, costumier et accessoiriste. Acteur, je l’ai déjà fait auparavant pour un spot de sensibilisation pour les cyclones. De temps à autres également, je m’occupe de story-boards. Cela me permet de développer certaines capacités. Je fais, par exemple, de la couture moi-même. C’est de famille, vous savez, je suis descendant de Bernard Razafaindrinibe, un peintre et maitre tailleur, actif dans les années 40. Il a réalisé les fresques murales de certaines églises et de la cathédrale d’Ambatondrazaka[5]. Son ami était Joseph Ramanakamonjy, un très grand peintre.
Un dernier mot, Max ?
Oui, je voudrais vous faire l’état d’esprit qui a guidé l’ensemble de ma vie : Qui aime le beau, aime le bien. Cette citation n’est pas de moi, mais je me la fais mienne. Si j’ai pu toucher quelques personnes par mon travail, cela m’aura rendu heureux. Pour moi, l’art c’est de la « nourriture » en soi.
Tananarive, le 13 mai 2019.
[1] Fikambanan’ny Mpampianatra Teny Frantsay
[2] Artista Miray
[3] La crise politique de 2002 a suivi l’élection du 16 décembre 2001, elle a opposé les partisans des deux candidats arrivés en tête au premier tour : le maire de la capitale, Marc Ravalomanana et le président sortant, l’Amiral Didier Ratsiraka. Il n’y aura jamais de second tour.
[4] La crise de 2009 est une série de manifestations et d’émeutes ayant secoué le pays et qui a entrainé le départ du président Ravalomanana.
[5] Ville proche de Tamatave.