Michael Tsegaye :  » Il y a tant d’histoires non racontées à photographier en Ethiopie… « 

Entretien de Marian Nur Goni avec Michael Tsegaye

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Né à Addis Abeba en 1975, Michael Tsegaye est l’un des photographes éthiopiens les plus prometteurs de sa génération. Ayant débuté par la peinture dont il a gardé le sens de la composition, il raconte à travers ses photos les transformations et les mutations de la société éthiopienne, notamment par des portraits qu’il réalise au grès de ses déplacements et rencontres à travers son pays.

Comment êtes-vous venu à la photographie ? J’ai lu qu’auparavant vous avez été peintre…
Avant cela, j’ai étudié l’économie pendant trois ans et ensuite j’ai étudié la peinture pendant quatre ans à l’École des Beaux-arts et Design de l’Université d’Addis Abeba. Pendant un an, j’ai peint dans mon studio. Ensuite, je me suis tourné vers la photographie parce que j’ai eu des problèmes de santé avec les huiles des peintures.
A-t-il été difficile pour vous de devoir arrêter la peinture ?
Les deux processus, peinture et photographie, sont complètement différents, mais vous pouvez tout de même dire ce que vous souhaitez, indépendamment des moyens dont vous vous servez… Ainsi, j’ai suivi un atelier à l’Institut Goethe d’Addis Abeba – où j’avais l’habitude d’aller pour lire – mené par un photographe allemand, Ralf Beacker. L’atelier n’a duré qu’une semaine mais il a été décisif pour moi… ce photographe m’a acheté mon premier appareil photo, un Minolta 35 mm. Et c’est ainsi que j’ai pu faire ma première exposition.
Après cela, j’ai photographié pendant six mois les taxis d’Addis Abeba : comment les gens décoraient l’intérieur de leurs voitures. J’ai travaillé à cela comme si c’était la structure d’une peinture, c’était plein de couleurs, il n’y avait pas vraiment d’information – ce n’était pas un travail photojournalistique – mais davantage des photographies abstraites. Cela a été mon début !
Travaillez-vous toujours avec votre Minolta ?
Maintenant j’utilise un appareil numérique, parce que c’est plus facile et plus rapide pour travailler. Et aussi, ce n’est pas cher… Développer, scanner, tirer demande un processus beaucoup plus long…
Quel genre de photographie développez-vous désormais ?
Après le projet sur les taxis, j’ai commencé un travail sur Addis Abeba la nuit : les bars, les extérieurs, la façon dont une ville vit dans l’obscurité… Mais, maintenant, je suis plus intéressé par les gens : notamment les portraits et les intérieurs qui les entourent. Par exemple, j’ai réalisé un travail sur l’ancienne architecture italienne et la façon dont cela a été transformé par les gens dans le temps, comment ils en ont fait leur propre maison.
Mon intérêt va maintenant à la façon dont les gens vivent. Aux Rencontres de Bamako de 2007 j’ai montré un travail fait à Ankober, en Éthiopie, dont le titre était « Ankober, mystique » : c’était une manière d’explorer comment les gens vivent en milieu rural mais avec une touche personnelle…
Où peut-on voir des expositions photographiques à Addis Abeba et où pouvez-vous montrer votre travail ?
Dans des instituts culturels et galeries, mais les gens pensent toujours que la photographie est faite juste pour les mariages… Pour cela, il y a beaucoup de studios de photographie et c’est pourquoi il y a tant d’histoires non racontées à dépeindre par la photographie, nous avons besoin de plus de photographes qui s’attachent à réaliser cette sorte de travail.
Aussi, il faut dire qu’en tant que photographes, nous ne sommes pas organisés comme un groupe, pour travailler ensemble. Il n’y a pas de tel système, pas d’endroit pour exposer et apprendre la photographie par d’autres photographes, et s’en inspirer. Ainsi, je travaille essentiellement seul.
Comment gagnez-vous votre vie parallèlement à votre travail personnel ?
Je travaille pour des ONG, et différentes autres organisations : ils ont besoin de photographies pour leurs brochures, leurs rapports annuels.
Pouvez-vous raconter votre participation à l’exposition promue par l’Unesco en 2009, sur le retour de l’Obélisque à Axum (1) ?
Cette stèle, érigée à Axum, ville antique d’Éthiopie, avait été emportée en Italie et placée sur une place de Rome en tant que butin de guerre par le gouvernement fasciste, à l’époque de l’invasion et de l’occupation italienne de l’Éthiopie, en 1937. Après de nombreuses tractations et requêtes de la part des gouvernements éthiopiens, l’obélisque a commencé à être démonté en 2003. À la fin de l’année 2008 l’obélisque avait enfin retrouvé son emplacement original. J’ai fait partie de la mission chargée de documenter le processus de reconstruction de l’Obélisque d’Axum. Ça a été un travail formidable Je pense que cela a été quelque chose de très symbolique pour l’Afrique, pas seulement pour l’Éthiopie.
Comment y avez-vous travaillé ?
Malheureusement, je n’ai pas eu la chance de prendre des photographies quand il est arrivé de Rome à Addis Abeba, ou même quand il était encore à Rome. Je regrette de ne pas avoir pu réaliser le sujet dans son entier. Ainsi J’ai commencé à prendre des photographies dès le début de la reconstruction (l’Obélisque a été divisé en trois parties pour être déplacé) jusqu’à son érection finale. Cela a pris plus de quatre mois. Je suis allé à Axum cinq fois, restant à chaque fois sur place quatre à huit jours. Cela a été une commande, mais, pour moi, cela représentait beaucoup plus à cause de cette charge symbolique.
Cet événement marquant a t-il été beaucoup couvert ?
À part Theo Eshetu, qui était là aussi, prenant des images et faisant une vidéo, je pense que j’étais le seul photographe éthiopien. Il y avait aussi quelques photographes européens de l’Unesco et aussi des photographes d’Axum dont les prises de vue s’apparentaient plus à la photographie touristique.
Quelle fut votre impression lors de votre participation aux Rencontres photographiques internationales de Bamako en 2007 ?
Pour moi, Bamako a été intéressant parce que j’ai vu beaucoup d’œuvres, j’ai rencontré des photographes, des conservateurs, des éditeurs… Il m’a été utile de rencontrer d’autres photographes africains et de partager nos expériences.
Vous avez déjà fait partie des grandes expositions de photographie africaine comme Snap judgments, dont le curateur était Okwi Enwezor…
Oui, j’y ai présenté mon travail sur l’appropriation éthiopienne de l’habitat de construction italienne que j’ai évoqué précédemment. Le fait de participer à de telles expositions me donne de l’énergie pour continuer et persévérer dans mon travail, et c’est important !
Quels sont vos projets futurs ?
Je ne sais pas encore où ira mon travail dans le futur mais, très certainement, il sera de plus en plus personnel et centré sur l’Éthiopie.
À présent, j’assiste la photographe Aida Muluneh et son ONG D.E.S.T. A. for Africa (2) dans la préparation d’étudiants en photographie et également dans la mise en place d’un festival de photographie, le « Addis Ababa International Photography Festival ».
Je présente également mon travail « Ankober, mystic » dans le cadre d’une exposition collective, « African Journey », qui se déroule actuellement à Utrecht, en Hollande (3).

1. Aksum Rediscovered – The Re-installation of the Obelisk s’est tenue du 4 au 15 mai 2009 à l’UNESCO (Paris 7e).

2. http://www.destaforafrica.org/about.html
Voir l’entretien avec Aida Muluneh, « Il est grand temps que les Africains présentent leurs propres réalités ! », où la photographe revient sur la création de cette structure :
//africultures.com/php/index.php?nav=article&no=8072&texte_recherche=aida%20muluneh

3. African Journey
Du 18 mars au 24 avril 2010
Vernissage, le samedi 20 March 2010, 16h-18h.à la SANAA GalleryJansdam 2, 3512 Hb UtrechtThe NetherlandsInfo: www.galeriesanaa.nl.
février 2010///Article N° : 9384

Les images de l'article
from the series "Taxis"
from the series "Taxis"
from the series''In and out'', Untitled 1, 2003
from the series''In and out'', Untitled 2, 2003
from the series''In and out'', Untitled 3, 2003
from the series "Mystic, Ankober", 2006
from the series "Mystic, Ankober", 2006





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