Beau concept que cet ouvrage bilingue (français-anglais) conçu par le photographe Samuel Nja Kwa et édité par les éditions Dagan pour rendre hommage aux acteurs noirs du paysage cinématographique et audiovisuel français. Les photos de ces acteurs ne sont pas de simples portraits d’artistes. Chaque acteur s’est mis en scène comme il l’a souhaité avec un clap pour objet sur lequel il a inscrit un message. Tour à tour, slogan, programme, petite annonce, promesse, aphorismes… ces bulles d’oralité font ressortir la personnalité des acteurs. Appel impérieux du désir de jouer et d’être choisi, remarqué, ou bien humour, autodérision, provocation, détermination… c’est toute une palette d’acteurs qui viennent à notre rencontre et interpellent le public.
Du « Se raconter, réaliser ses rêves de monde pour ne plus vivre dans le cauchemar des autres » d’Émile Abossolo Mbo, au « Le cinéma n’est pas un drap, y a place pour tous » de Luc Saint-Eloy, en passant par le simple « Actrice, cherche premier rôle » de Tatiana Rojo, ou l’engageant « French connection, droit devant » de Maïssa Maïga, ou encore l’optimiste « Pas de criz que du show bizz » de Mata Gabin, sans oublier l’humoristique « Actrice qui veut la place de Spielberg » de Adèle Ado¡K Toutes ces paroles à voir faute d’être entendues se rejoignent dans l’injonction de Maïk Dara
« Colorez nos écrans ! ». Ce qui ressort avant tout de l’ensemble de ces photos, c’est le désir de toute une communauté artistique de participer à la création cinématographique française et d’apporter sa pierre à l’édifice, de bousculer les frilosités et les imaginaires indigents, car comme le rappelle Dieudonné Gnammankou dans sa postface :
Il faudrait que les décideurs du monde du cinéma français se fassent à l’idée que les Noirs font partie de l’histoire de France et d’Europe depuis les temps immémoriaux. Qu’ils étaient de toutes conditions sociales, et que par conséquent, il n’y aurait aucune incongruité à faire jouer au cinéma par un ou une Noir(e) le rôle d’un légionnaire romain au temps de la Guerre des Gaules, d’une noble toulousaine au Moyen-Âge, d’une nonne sous Louis XIV, d’un officier général sous la Révolution, d’un directeur d’opéra, d’un ministre, écrivain célèbre ou évêque au XIXe siècle, d’une parlementaire ou d’un résistant, héros de guerre, libérateur de Paris au XXe siècle, d’une chef d’entreprise du CAC 40, d’un cardiologue réputé au XXI siècle… (1)
Sydney Kotto et son complice l’historien Dieudonné Gnammankou qui dirigent les éditions Dagan développent depuis quelques années un travail formidable pour faire connaître aux Français afro-descendants leur histoire et leur culture grâce à des publications engagées. Cet ouvrage est une réussite, un joli pied de nez à l’invisibilité des acteurs noirs de France.
1- Op. cit., p. 50. « À propos des figures noires historiques », voir Sylvie Chalaye (dir.), Traces noires de l’histoire en Occident, Africultures n° 64, septembre 2005.Samuel Nja Kwa, Minorité visible cinéma invisible – Portraits du cinéma afro-français, éditions Dagan, 2012///Article N° : 11686