« Ici, l’image du Noir à l’écran a encore une odeur. Quand l’odeur est américaine, on l’accepte ; si elle est africaine, attention ! (
) Le poncif du nègre avec une grosse bite, j’en ai vraiment marre (
) Si encore c’était formulé ainsi. Si les cinéastes filmaient véritablement leur fascination, ou au moins la complexité du rapport entre un corps noir, avec les fantasmes qu’il véhicule, et un il blanc. Mais non, on joue sur un cliché et on s’en contente ». (Libération 16/03/1995)
Est-il difficile d’être un acteur noir en France ?
« En France malheureusement, en tant qu’acteur noir, on est victime de l’empreinte qu’a laissée la colonisation dans la culture française. Et le monde de l’audiovisuel français n’échappe pas à cette réalité. Un acteur reste un acteur et par conséquent, un acteur noir n’a pas à être indéfiniment cantonné dans des rôles de balayeur, de musicien ou encore de danseur. On ne veut pas nous inclure dans la vie sociale et politique de ce pays, on a peur du Noir. J’ai envie de dire qu’il n’y a que – pardonnez-moi l’expression – des couilles molles dans le monde du cinéma et de la télévision en France. Ils n’ont rien compris à l’avenir de ce métier quand on sait que c’est le mélange des cultures qui fait évoluer la plupart des sociétés. En France, on est resté à la nouvelle vague. Et l’on s’extasie sur le travail de gens comme Scorcesse (Martin), Tarentino (Quentin) ou encore Jim Jarmusch, qui ont axé leur travail sur le mélange des cultures. Ce que le cinéma français est, à l’heure actuelle, incapable de faire. La France est une société métisse mais c’est une réalité qui ne se reflète pas dans son cinéma » (Afrik.com 5/04/2004).
En tant qu’observateur privilégié du cinéma et de la télévision française, quel regard jetez-vous sur l’intégration des membres de la communauté afro-antillaise ?
« Je suis toujours triste et malheureux de ne pas voir plus d’acteurs d’origines diverses dans le cinéma français, qu’ils viennent d’Afrique comme d’Asie ou d’ailleurs. C’est vraiment dommage parce qu’il y a un vivier d’acteurs, il y a du potentiel, il y a des nouvelles couleurs, de nouveaux reliefs, et là je vais prendre en exemple le dernier Claude Béri, la présence d’Aïssa Maïga ajoute du relief, de la chaleur, de la couleur : c’est Paris, c’est la France ! » (grioo.com 27 février 2005).
« J’ai du mal à croire que la France soit la patrie des droits de l’Homme. Ainsi ce sont les chefs des chaînes qui choisissent pour les gens. Il y a pourtant eu Arnold et Willy, Cosby Show, Le Prince de Bel-Air. Et aujourd’hui nous assistons à une régression. En ce moment, un Noir à la télé en premier rôle, ce n’est pas possible
Et pourtant ils vont acheter des films de Noirs américains et ils font des scores d’audience » (lemonde.fr 16/08/2006).
Pensez-vous que votre film, en cas de succès, puissent faire avancer les choses ?
« Moi je n’ai pas de discours communautariste. Je n’ai pas fait La Première Étoile en me disant que j’étais noir et tout ça. J’ai juste fait un film. On me dit parfois que je suis un réalisateur noir. Fuck ! Je suis réalisateur point. C’est quoi cette case ? Vous savez, moi j’ai un rêve. C’est que je passe une journée dans ma vie sans qu’on me parle de ma couleur. Ça ne m’est jamais arrivé. Le matin je me lève en me disant que cette journée sera la bonne
trop tard, j’y ai pensé. Moi j’espère que le film va marcher, pour mille raisons. Et j’espère que s’il marche, il fera avancer les choses » (jeuxactu.com 23/03/2009).
Comment faire pour avoir plus de Noirs sur les écrans ?
« Un peu d’imagination chez les metteurs-en-scène, un peu d’audace aussi chez les producteurs et aussi dans les chaînes, parce que je peux vous assurer que sur les chaînes c’est à doses homéopathiques qu’on met un Noir à l’image. Nous avons Harry Roselmack et Audrey Pulvar (
) [mais]il faut quand même appeler un chat un chat, ici nous sommes dans un pays où il y a un racisme qui ne dit pas son nom » (afro-style.com 02/11/2009).
Quelle place ont aujourd’hui les acteurs des minorités visibles dans le cinéma français ?
« Je pense que c’est en train d’évoluer. Mais il y a toujours un souci dans l’écriture des scénarios et le type de personnage qui est réservé aux acteurs noirs en France. Pourtant, il y a plein de choses à faire. Aujourd’hui, en 2011, tout devrait être possible ! Aux États-Unis, il y a plein de Blacks et de Latinos qui marchent bien en tant qu’acteurs. C’est possible aussi en France. On devrait même pouvoir faire mieux. Il faudrait avoir l’intelligence d’écrire de bons scénarios et de trouver de bons rôles pour les acteurs des minorités. C’est pourquoi je suis dans le cinéma. Je veux faire évoluer les mentalités. Je veux être un exemple. Et j’espère que dans quelques années, on pourra voir un acteur noir en haut de l’affiche d’une grosse production française » (france24.com 14/05/2011).
Les États-Unis ont beaucoup de grands acteurs noirs. Ce n’est pas encore le cas en France. Pourquoi ?
« Parce qu’on nous propose uniquement de jouer le rôle d’un mari malien qui a trois femmes et treize enfants ou d’un facteur à l’accent créole. En France, le producteur demande systématiquement pourquoi tel acteur est noir. Il faut justifier le fait qu’il soit noir. Mais ça commence à changer » (franceantilles. fr 22/07/2011).
Vous dites avoir alors découvert brutalement la réalité d’une actrice noire en France. Quelle est cette réalité ?
« Quand j’ai commencé, je partais du principe que je pouvais tout jouer. Je n’imaginais pas que j’allais forcément jouer les filles excisées et mariées de force. Ou encore des filles « victimes de leur propre communauté » qui allaient trouver refuge chez des Blancs bons samaritains ! Pourtant, de casting en casting, je me suis rendu compte qu’on me reléguait systématiquement dans un milieu auquel je n’appartenais pas. Je ne me vivais pas comme on me voyait. J’ai alors réalisé que le regard de l’autre est façonné par une lourde histoire coloniale, et que ce regard était très présent au cinéma. »
Aujourd’hui, vous déclarez avec humour que vous décrochez des « rôles de blondes », car vous êtes enfin libérée de cette étiquette
« Après cette prise de conscience, je suis allée dans des castings de façon spontanée en me disant : tant que ce n’est pas un film d’époque ou un rôle de mère de famille où il faudrait expliquer une adoption, j’y vais ! Et on me regardait vraiment comme si je venais d’une autre planète ! Je ne l’ai pas beaucoup fait parce que c’était très violent. Mais aujourd’hui, (elle hésite), oui, je suis libérée de ces clichés » (aufeminin.com 2010).
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