La deuxième édition du Festival international du film du Kenya (Kenya International Film Festival) s’est déroulée à Nairobi du 28 septembre au 5 octobre 2007. Au-delà du grand prix attribué à Juju Factory de Balufu Bakupa-Kanyinda, le KIFF fut l’occasion de découvrir des cinématographies est-africaines tendues entre le souci de respecter les goûts du public et la nécessité de transmettre un message.
A Nairobi, Nollywood s’appelle Riverwood, du nom de la rue où on les achète le plus communément : River Road. Comme au Nigeria, une production spontanée de vidéos bon marché tournées surtout en gikuyu mais aussi en swhalili, en kikemba, en dholuo (luo) ou même parfois en anglais se monnayent à bas prix. Dans le meilleur des cas, les techniciens sont formés au Kenyan Institute of Mass Media Communication et quelques projets ont pour but de développer leur formation : la cinéaste Wanjiru Kinyanjui réalise ainsi avec l’aide d’une ONG sensible au problème une série dont le premier film, très inégal, a été montré au festival : Bahati (40′). Ces vidéos sont en général des comédies mettant en scène de clownesques comiques appréciés comme Kihoto et Kiere Kiere ou Kihenjo, des films musicaux ou de sombres drames, le plus souvent à partir de pièces du théâtre populaire. Ils passionnent la population locale qui se préoccupe peu de leur médiocre qualité cinématographique. Ils ne sont pas recensés par le Bureau de censure, préférant rester dans l’informel pour échapper à la fiscalité, ce qui interdit toute statistique, mais d’après les professionnels, il en sort de deux à quatre par mois. Les VHS ont pratiquement disparu des étals, remplacés par les VCD que tous peuvent regarder à la maison puisqu’un lecteur ne coûte de 30 ou 40 euros. Les distributeurs vendent les VCD 150 shillings (1,5 euro) pièce aux revendeurs qui les offrent à 250 shillings aux amateurs dans une multitude de magasins du foisonnant quartier de River Road mais aussi dans les supermarchés. Certains VCD sont dûment tamponnés par l’autorité de tutelle mais la piraterie va aussi bon train. La reproduction revient à 40 shillings, un CD vierge valant 15 shillings, si bien que vendu au moins 150 shillings, le VCD piraté est plus rentable qu’un produit neuf. Cela oblige les distributeurs à inonder le marché rapidement avant que les pirates ne prennent le dessus. Un film a ainsi une durée de vie maximum de six mois, après quoi il sombre dans l’oubli, mis à part les grands succès comme Enough is enough du producteur-scénariste-réalisateur Kibaara Nto Kaugi (2005), une reconstitution historique de la révolte des Mau-Mau contre les colons anglais dans les années 50. Réalisé avec un petit budget d’un million de shillings (10 000 euros) avec des acteurs et techniciens acceptant de rester impayés, le film est sorti en trois versions : anglaise, Reke Tumanwo en kikuyu et Kama Mbaya Ni Mbaya en kiswahili. L’actrice Similicious Wangare y tient le rôle principal, une jeune femme appelée Njeri dont le frère est tué par un officier britannique, ce qui attise la guerre entre les soldats coloniaux et les combattants de la liberté.
On trouve aussi quelques films nigérians copiés, que la longueur permet de couper en deux pour faire double recette. La publicité se fait essentiellement par affiches et à la radio où la formule de quatre annonces quatre jours de suite coûte de 10 à 14 000 shillings.
Soucieux d’ordre, le gouvernement interdit le développement d’échoppes dans la rue, si bien que l’on ne trouve les films que dans des magasins. Les énormes bidonvilles de Nairobi qui grossissent avec l’exode rural qui se concentre sur la capitale, notamment celui de Kibera, le plus grand d’Afrique, où se concentrent la misère et la douleur d’un pays que les années Arap Moi (1978-2002) ont laissé à double vitesse, fournissent des contingents de chômeurs et alimentent la criminalité. Tandis que des gardiens bien armés fouillent les visiteurs de tout établissement bancaire ou officiel, chaque magasin a une allure de bunker lourdement grillagé. Mais on trouve aussi à River Road des bâtiments comme le Simba Center (photo) où de minuscules échoppes de tous styles mais aussi des studios d’enregistrement et de duplication de CD se serrent sur plusieurs étages. On imagine le drame que serait un feu dans un tel environnement.
S. Mburu Kimani produit un ou deux films par an. Il prévoit pour son prochain, The Race, un budget de 300 000 shillings (3000 euros) : huit jours de tournage, des acteurs et techniciens payés 20 000 shillings. Il le réalisera lui-même et interprètera un rôle pour limiter les frais. Les répétitions commencent une semaine avant le tournage et le montage dure deux semaines et demi. Comme Nollywood, Riverwood a développé un star-system où les acteurs les plus célèbres peuvent gagner de l’ordre de 300 000 shillings par film. Mais S. Mburu Kimani, qui n’a pas le budget nécessaire, prend des non professionnels. Quant à l’histoire, il l’écrit lui-même. S’il coince, il demandera à un scénariste de travailler avec lui. Une fois son film terminé, il le fait dupliquer et vend les VCD aux distributeurs, à commencer par Nduti, le plus important, qui dispose d’un magasin (photos) où se côtoient les films en VCD et les CD de musique.
En parallèle à ces vidéos que l’on regarde chez soi en famille ou entre amis, quelques cinémas à doubles ou triples écrans, souvent situés dans les centres commerciaux, passent des films essentiellement américains ou indiens. (1) Ils rassemblent d’après la Kenya Film Commission de l’ordre de 150 000 spectateurs par mois.
Ce n’est pas dans ces salles mais au Théâtre national et dans les centres culturels français, allemand et italien que le KIFF (Kenya International Film Festival) propose une production locale souvent invisible, la télévision ne s’y intéressant pas et demandant plutôt à être payée pour passer les films, leur préférant des séries d’origine étrangère. Ce sont les films des écoles de cinéma mais aussi les fictions et documentaires tournés dans des conditions difficiles par les cinéastes kenyans et de toute l’Afrique de l’Est. Comme ses homologues ougandais (Amakula Kampala International Film Festival) ou tanzanien (Zanzibar International Film Festival – The Festival of the Dhow Countries), le KIFF affirme une vocation internationale en proposant aussi des films en provenance de toute l’Afrique mais aussi d’autres pays comme l’Allemagne, l’Italie, la Hollande ou le Mexique grâce au soutien de leurs ambassades. Celle de France apporte au festival un important appui financier et tactique, et s’affirme le principal soutien du festival avec l’opérateur téléphonique Celtel. Comme l’a indiqué la cinéaste Wanjiru Kinianjui, responsable de la fondation qui organise le festival, des projections ont eu lieu grâce à Celtel dans les quartiers populaires de Kangemi, Kibera (connu comme le plus grand bidonville d’Afrique), Kawangware et Huruma. Les projections n’y ont pas trouvé le public attendu, indiquera le directeur du festival, le bouillonnant Charles Asiba, mais c’est un processus à long terme qu’il s’agit de confirmer.
Dans son discours d’ouverture, l’ambassadrice de France Elisabeth Barbier a fait un jeu de mot sur la signification de kiff dans l’équivalent français du sheng, ce mélange de swahili et d’anglais utilisé par les jeunes mais aussi l’apanage d’une nouvelle littérature (2) et d’un nouveau cinéma : un objet que l’on adore. C’est effectivement une passion cinéphile qu’essaye de soutenir le KIFF. Alors que les représentants du gouvernement présents à l’inauguration, notamment le vice-président du pays, Moody Awori, s’émerveillaient devant le faible coût des productions au Nigeria, l’enjeu reste de les convaincre de l’importance de soutenir des films de qualité qui demandent artistiquement et techniquement davantage de moyens. Il s’agit de permettre à des films kenyans de dépasser les frontières mais aussi d’arrêter la fuite des cinéastes vers d’autres pays, notamment l’Ouganda voisin.
Soucieux d’encourager sans décevoir les jeunes cinéastes, Charles Asiba programme en vrac tous les films locaux : le festival est donc l’occasion de prendre le pouls de leur désir de cinéma et de découvrir l’ensemble de la production non seulement kenyane mais d’Afrique de l’Est. Ce sont ainsi près de 200 films courts ou longs qui furent montrés en une semaine.
Le jury (auquel j’appartenais) eut du mal à trouver dans la production kenyane des films susceptibles d’être primés, non qu’ils manquent de contenu mais parce qu’ils sont rarement aboutis, les uns s’apparentant aux soaps télévisuels, d’autres s’engageant sans moyens sur la voie de pales imitations de films d’action. On cherche vainement ceux qui tenteraient des voies originales susceptibles de renouveler le rapport au public pour lui ouvrir un espace imaginaire autonome. Ils sont toujours construits autour du désir de porter un message à dimension politique ou sociale.
Les deux longs métrages de Mary Migui présentés au festival en sont emblématiques. Tous deux se déclinent comme des drames alignant des situations catastrophiques dont une jeune femme est le centre et révélant des comportements où les spectateurs se reconnaîtront. Dans Backlash (2005, 84′), après la mort de son frère, les parents de Tobie, qui est séropositif, le forcent à se marier pour avoir une descendance. Il ne l’avouera que trop tard. Fixité de la caméra, absence de perspective et de métaphores, tournage uniquement en intérieurs limité aux pièces d’une villa, jeu théâtral et souvent grimaçant pour exprimer ses sentiments, scénario tiré d’une pièce de théâtre et donc uniquement parlé, sans réelle mise en scène dans une utilisation systématique du champ-contrechamp, bande-son inexistante en dehors de plans de coupe montrant la villa où se déroule toute l’action, étirement des plans, montage sans rythme et faiblesse des ellipses
on retrouve ces caractéristiques dans nombre de films qui se distinguent ainsi par l’absence absolue de hors-champ, c’est-à-dire d’un espace stimulant l’imagination du spectateur et sa liberté de penser. Tout est dit et seule l’accumulation de drames peut maintenir l’attention. Bien que Joyce Musoke interprète le rôle de la jeune femme avec une conviction qui a poussé le jury à lui attribuer le prix de la meilleure actrice, l’intérêt du film se situera donc plutôt dans son contenu. Il s’agit du dernier rôle de l’actrice Wambui wa Murima avant sa mort. Elle joue Mme Nwaketi, la mère de Tobie, une femme absolument agressive et tyrannique. Il est frappant que dans un pays où un grand nombre de films sont réalisés par des femmes, les mères y sont souvent surpuissantes, face à des hommes retords ou faibles. Les jeunes ont ainsi du mal à trouver leur autonomie, mais arrivent quand même – dans les scénarios – à décider de leur destin.
Dans son autre film présenté au festival, Benta (2007, 125′), sans se départir d’une facture de téléfilm qui s’étire en longueur dans des insistances brisant le rythme, Mary Migui trouve une caméra plus mobile et davantage de mise en scène. Surtout, les murs de la maison où se déroule l’action sont peints de couleurs vives, offrant un décor plus vivant que celui du bien morose Backlash, tout en rappelant fortement les séries télé. Il s’agit là encore d’une mère tyrannique et de jeunes qui essayent d’exister : ayant perdu ses parents dans un accident de la route, Benta, 16 ans, est obligée de travailler comme bonne à tout faire pour subvenir aux besoins de ses petits frères. Elle vit et dort dans la villa de la famille qui l’emploie. Constamment sous la coupe de la maîtresse de maison Tabitha, elle entretient en cachette une idylle avec le fils, Dedan. Régulièrement violée par le père Philip sans oser se plaindre de peur de perdre son emploi, et tombant enceinte de lui, elle fera finalement éclater la vérité avant de reprendre son destin en mains.
La condition des sidéens dans Backlash, celle des employées de maison dans Benta : ces films s’attaquent non sans efficacité à des problèmes de société, favorisant leur prise en compte dans l’espace public. Help ! (2006, 90′) de Robby Bresson se situe à un autre niveau, tentant une métaphore des travers de l’aide internationale et de la corruption politique locale en figurant les mésaventures d’un chauffeur de car et de son fils Lumumba victimes de gangsters sans états d’âme. Comme l’Afrique, le car « African Pride » (fierté africaine) est coincé dans un fossé et ses occupants détroussés et menacés de viol par les brigands. Leurs appels à l’aide sont méprisés par un député et un bailleur de fonds, si bien qu’il leur faudra se débrouiller par eux-mêmes. Grâce à l’inventivité de Lumumba, les brigands s’élimineront entre eux avec une violence sans masque, et chaque voyageur pourra revenir à sa sphère de vie. Là encore, le travail de caméra est prometteur mais les dialogues sans fin plombent un film qui a en outre du mal à dominer ses scènes d’action.
Malooned (2007, 125′) de Bob Nyanja, prix du jury, apparaît comme un ovni dans cet océan de bonne intention : un homme et une femme qui doit se marier le lundi sont enfermés par mégarde tout un week-end dans les toilettes d’un gratte-ciel. Il faut que le Kenya lui paraisse bien étroit pour que Nyanja situe ainsi son espace scénique, un territoire où l’on s’affronte avant de pouvoir dialoguer… Elle est Gikuyu et lui Dholuo, deux peuples rivaux. Leur relation d’abord agressive évoluera vers un rapprochement attendu. Ayant essayé d’attirer l’attention en faisant couler de l’eau, ils sont trempés et doivent se déshabiller pour faire sécher leurs habits. Entre l’homme en slip et la femme enroulée dans une serviette, on attend de voir ce que cette cinématographie très prude ne nous montrera pas, sachant parfaitement qu’on ne le verra pas mais en l’attendant quand même : cette tension paradoxale restaure une dimension cinématographique mais le film s’étire malheureusement lui aussi en longueurs et en répétitions (125′). Bien que chaque idée soit exploitée jusqu’à la corde, l’ensemble reste amusant et prenant, apportant un peu d’humour dans un paysage cinématographique terriblement sérieux, ce qui a poussé le jury à lui attribuer le prix du meilleur film kenyan (prix du jury). Sorti en salles au Kenya, le film n’a réuni que 2000 spectateurs. 2500 dvd du film ont été vendus dans les magasins, proposés depuis trois mois à ce jour. A titre de comparaison, lorsque Spider Man est sorti à Nairobi, le jour même date de sa sortie mondiale, il a attiré 19 602 spectateurs durant les trois premiers jours d’exploitation en salles
Bob Nyanja a refusé de vendre Malooned à la chaîne satellite sud-africaine Africa Magic : elle ne lui offrait que 1200 $ pour une licence de trois mois. Il a par contre signé avec la chaîne kenyane Citizen. Par ailleurs, Pretty Pictures International s’est montrée intéressée par le film durant le festival : elle va l’acheter 2,5 millions de shillings (25 000 euros), le montrer à Sundance et Berlin après avoir refait le montage et la bande-son pour le ramener à environ 95 ou 100 minutes.
Si le jury a attribué le prix du meilleur long métrage de fiction d’Afrique de l’Est à Fimbo ya baba (The Father’s Stick, Tanzanie, 84′) de Chande Omar, écrit avec le professeur Vera Pieroth, c’est pour la qualité des portraits de femmes qu’il propose. Il a ainsi attribué son prix de la meilleure actrice ex aequo à Aisha Kunemah qui interprète avec émotion la mère. Le film démarre sur fond de musique tarab sur les activités agricoles, le transport et la coupe des noix de coco. Lorsque les jeunes discutent entre eux, c’est pour savoir qui couche avec qui. C’est dans ce double contexte de la dureté de la vie et du sida qui fait des ravages que se situe l’action. La maladie emporte les deux femmes du riche Mzee Gumbo. Son voisin qui vient régulièrement le voir pour de l’aide afin de payer la scolarité de sa fille Amina finira par la lui vendre pour lui assurer une compagne veillant sur lui. Comme le dit la chanson en milieu de récit : « They lack wisdom » (ils manquent de sagesse). Le film s’emploie à la restaurer en dénonçant la cruauté d’un père qui, porteur de la canne du pouvoir patriarcal, condamne sa fille à être à la merci d’un malade méprisant et d’une belle-famille malhonnête. Touchant et doté d’une certaine beauté des images, le film tourné en swahili souffre malheureusement lui aussi d’un montage peu rythmé intégrant de longs passages de coupe.
Le jury a tenu à signaler en lui attribuant une mention le travail sur l’image de Battle of the Souls, tourné en anglais et produit par Matt Bish (2007, 108′), présenté comme le premier long métrage ougandais. Matthew Bishanga a appris le cinéma numérique à Amsterdam et dirige depuis son retour en 2005 la maison de production Media Pro à Kampala. La narration et le montage perdent cependant le spectateur dans cette histoire symbolique mettant en jeu le « livre des signes » qui donne le pouvoir sur le destin du monde
Le film puise dans le cinéma de genre, thriller et horreur, pour traiter de la fascination pour le paranormal. Des revenants sortent de l’eau et provoquent une série de catastrophes. Trois amis tomberont sous leur pouvoir et vivront des heures dramatiques où se perd la frontière entre mort et vivant. La recherche d’effets finit par neutraliser images et récit mais le film témoigne d’une recherche sur les perspectives et les couleurs qui se démarque avantageusement du restant de la production régionale.
C’est ainsi souvent le montage qui plombe les productions d’Afrique de l’Est, lié à un déficit de mise en scène. Loin de nous l’idée que le rythme des films devrait copier l’agitation et la fragmentation du modèle qui s’impose internationalement, mais il faudrait que la longueur des scènes trouve un sens dans l’ergonomie générale du film. On est loin de la grâce relevée dans les films de Gaston Kaboré (qui animait un stage d’écriture de scénario durant le festival) où la durée laissée à des regards, des panoramiques, des salutations ou des déplacements rend compte d’une culture où se joue l’harmonie entre l’environnement et l’humain. Les films sont souvent envahis par de longues scènes de dialogues hachés en champs-contrechamps mais si statiques et explicites, que l’on sent une crainte de suggérer par l’image, comme si le spectateur était incapable de capter le sens par lui-même.
C’est moins le cas de Red Mistake (2006, 110′) de l’Ethiopien Teshome Kebedre Theodros, qui, lorsqu’il ne vire pas dans le chromo, manie habilement la reconstitution historique aussi bien que l’idylle paysanne. Le film est passionnant par le sujet abordé : le destin tragique du jeune Tamuru, lequel cherche à échapper à la féroce répression du régime militaire Dergue qui avait renversé le roi le 12 septembre 1973 et à dépasser le traumatisme de la mort de sa femme. Des documents d’époque ancrent le film au départ mais le témoignage des horreurs est ensuite sans recul, la recherche d’effets étant permanente.
Kolelo, d’Irene Sanga (Tanzanie, 45′), alterne le récit d’un ancien et le récit filmique à la manière d’un conte. Etonnante, cette histoire tournée en swahili de fils de sorcier qui ne veut pas reprendre le flambeau de son père est tout à fait prenante. L’esprit de la montagne, Kolelo, que les villageois appellent Bibi, résout magiquement tous les problèmes, mais il a besoin d’un relais qui fournisse les médicaments. Envoyant Ndelawasi pour convaincre Komwe, le fils du sorcier Kunambi, d’aller se faire initier, il arrangera finalement leur mariage. Jamais ce pouvoir magique supposé bénéfique n’est remis en question par le film : il détermine la vie de chacun sans que personne n’ait rien à y opposer. Empêchant que l’on ne batte les enfants, il maintient la paix et l’ordre des choses dans le village. Pour le personnifier, Irene Sanga use cependant de lourds effets spéciaux qui dilatent et décrédibilisent son propos en rompant la magie, alors même qu’elle semble vouloir rappeler les vertus intégratives des croyances oubliées par les gens des villes.
C’est bien le souci affirmé de ne pas se déconnecter de leur « community » qui conduit les réalisateurs à adopter ce ton télévisuel, en plus de leur volonté de lui asséner un message. Les films qui ne cherchent qu’à soulever une question, et laisser ainsi toute latitude au spectateur de se la poser en liberté critique, sont rarissimes.
C’est dans les courts métrages que se cachait un film se détachant nettement du lot, auquel le jury a attribué son prix : Mbulu the TV de Patrick Shomba. Il marque par l’ancrage et la pertinence de son scénario, et serait digne de circuler dans les festivals soucieux de rendre compte des productions d’Afrique : un jeune tente de se débrouiller avec de petits boulots. Lorsqu’il se prépare un frugal repas dont il a acheté les ingrédients à crédit, ses amis qui viennent le voir le mangent avant qu’il ne revienne de sa douche et finissent par lui voler sa télé. D’autres copains veulent les corriger brutalement mais le jeune s’y oppose. Pour éviter d’autres ennuis, les amis ramènent la télé et lorsque le jeune rentre chez lui accompagné de sa petite amie qui attend qu’il s’occupe de lui, il ne peut détacher son regard de la télé. C’est drôle, rythmé, bien maîtrisé dans une ambiance rap, ancré dans le vécu des jeunes qui galèrent et tourné en sheng. La non-violence du jeune s’oppose au machisme ambiant et sa fascination pour la télé illustre celle des jeunes pour les images.
La violence, c’est le sujet de Extracts of me (17′), de Willie Owusu : une femme raconte son viol par deux individus. Owusu maîtrise à l’évidence image et narration et son film est d’une réelle beauté. Il est par contre éthiquement inacceptable. Sa représentation du viol place le spectateur en situation de voyeur, annihilant de fait le choc qu’il cherche à communiquer pour déconstruire l’envie de viol. Plutôt que de développer une métaphore comme le faisait admirablement Pourquoi ? de la Sénégalaise Sokhna Amar (cf. critique 3958), il esthétise le viol, multipliant les angles de prise de vue.
Son autre court, Her moves, my thoughts (24′), est également bien maîtrisé mais prend des airs de déjà-vu pour filmer les cours de danse et la relation d’un jeune avec une danseuse. Sous le charme de son corps, il omet de mettre un préservatif et lorsqu’elle lui dit que tout cela va trop vite, il est rongé par le doute. « Life is not to be taken seriously but it is too short not to take it seriously » (la vie n’est pas à prendre au sérieux mais elle est trop courte pour ne pas la prendre au sérieux), propose un encart en fin de film, après qu’elle lui ait annoncé que son ex-amant est mort du sida.
Problème majeur dans la région, le sida fait l’objet d’un grand nombre de films et vient s’insérer pour renforcer la trame dramatique de bien d’autres. Il devient à la fois source de financement et message obligé. Il sert de trame à Hey Mr. Dj (Sigaho, Mr. Dj, 50′) d’Ayuub Mago Kasasa et produit par Eric Kabera au Rwanda Cinema Centre. La belle Epiphanie va en boîte à Kigali avec ses amis et est draguée par le Dj. Elle se méfie mais devant son insistance, finit par tomber amoureuse, mais lorsqu’elle lui avoue sa séropositivité, il la jette dehors. Apprenant plus tard qu’il est lui-même séropositif, il reviendra vers elle pour une happy end finale. Tourné avec une équipe entièrement rwandaise, ce film de sensibilisation manie habilement musique, habits branchés, division de l’écran et jeunes acteurs pour apporter un message de tolérance et de prévoyance à la jeunesse.
C’est le même Rwanda Cinema Centre qui présente Sharing stories (2006), une série de quatre films produits par Eric Kabera dans le cadre du programme « Films on Youth by Youth » (des films sur la jeunesse par la jeunesse) soutenu par une équipe internationale. Cela donne des films techniquement maîtrisés et convoyant un message appuyé. Dans Scars of my days (Inkovu z’ibihe, 32′) de Gilbert Ndayaho & Omar M. Sibomana, deux amis partent en ville tenter leur chance mais auront des destins différents. Samy (Omar M. Sibomana) vit un conte de fée qui finira mal, rencontrant une riche veuve, Sabrina (Grace Mukakamari) qui le prend comme chauffeur et amant, mais le contamine. Simuchezo (Richmond Runanira) le retrouve et l’aide à choisir la vie. Profitant de la caméra très mobile et du cadrage de Martin Widerberg, d’un montage serré et d’une musique alignant Amadou et Mariam, Peter Gabriel, Alberto Iglesias ou les Beastie Boys, le film oscille entre documentaire urbain et mélodrame rythmé. A love letter to my Country (36′) de Thierry Dushimirimana convoque la mémoire du génocide. Martha y a perdu presque toute sa famille. Son amour pour un Hutu, Rukundo, provoque la colère de son oncle. Même réaction de rejet dans la famille de Rukundo. Lorsque Martha lui demande ce qu’il a fait durant le génocide, Rukundo raconte les horreurs commises par sa famille, tragiquement reconstituées dans le film en noir et blanc. Face à la subsistance des préjugés qui ont conduit aux massacres, Martha ne peut qu’écrire sa volonté à son oncle et rêver d’un mariage harmonieux. Appel à la tolérance, le film pointe malheureusement davantage le message qu’il ne le suggère du regard. C’est le même acteur principal, Gilbert Ndahayo, qui joue le rôle de Sago dans The Graduation Day (Umunsi wa mbere, 26′) d’Ayuub Kasasa Mago, une plongée tout aussi réaliste dans l’enfer de la drogue et du sida. Accro, Sago va perdre peu à peu son travail, ses biens, sa dignité et finit par mendier dans la rue avant de trouver refuge chez les frères de la charité. Son amie Rachida au destin tragique l’avait prévenu d’utiliser les préservatifs et d’arrêter la drogue
Le mélo sur fond de musique branchée est ainsi le trait d’union de ces trois films. Quatrième film du dvd, Behind these Walls (Pierre Kayitana, 4’30) se donne pour programme d’encourager aux études en prônant sous une forme documentaire proche du clip de propagande la réussite rwandaise de l’accès à l’éducation pour tous et de l’ouverture des universités : « Ouvrir une école, c’est fermer une prison ».
Le court métrage primé parmi les films d’étudiants, The Chase de Shraddha Passi (6′), produit au Kenya durant l’échange d’étudiants « Polar Meets Solar » en 2006 et tourné en Inde, orchestre la poursuite effrénée d’un jeune garçon par un autre au sein de la ville, créant une réelle tension, et qui se révèle finalement être un jeu.
Un court métrage a suscité une vive discussion au sein du jury, qui s’est finalement accordé pour lui attribuer une mention mettant en avant sa maîtrise cinématographique. Subira de Ravnet Chadha (10′), tourné dans le magnifique archipel de Lamu et produit par Nathan Collett, un producteur-réalisateur oeuvrant entre les Etats-Unis et le Kenya (hotsunfilms.com), combine belle image et couleurs pour émerveiller le spectateur. Subira préfère jouer avec Babou que de travailler mais se fait sans cesse remettre à l’ordre. De derrière les barreaux de sa fenêtre, elle voit les garçons s’ébattre librement. A sa première menstruation, elle est voilée en noir comme toutes les femmes de cette terre musulmane. Suivant les conseils de sa grand-mère, elle fait en osant sauter dans l’eau l’expérience d’un moment de liberté. Photo touristique et dénonciation de l’enfermement de la femme dans l’islam : le film concentre et renforce tous les clichés et images d’album susceptibles de plaire à un public occidental.
Ce genre de scénario vendeur et politiquement correct qui pourrait se dérouler n’importe où est aussi la base de Kibera Kid (2006, 12′) du même Nathan Collett, film ovationné un peu partout comme le premier montrant la réalité du bidonville de Kibera, en fait parfaitement construit pour mettre en scène une ambiguë histoire de rédemption : un enfant vole un portable, se fait lyncher mais un animateur lui sauve la vie, lui permettant d’aller chercher fortune ailleurs. L’image léchée achève de rendre improbable le scénario racoleur.
Le Kenya semble particulièrement bien doté en producteurs faisant ainsi de la pauvreté un fonds de commerce. Les énormes bidonvilles, à commencer par celui de Kibera, sont en effet une source inépuisable d’images aisées à vendre à un public qui en redemande. The Constant Gardener de Fernando Mereilles (2005) s’appuyait déjà sur le choc engendré. Slum Survivors (46′, Peter Murimi) est une commande de l’IRIN (Integrated Regional Information Networks) qui fait partie de l’OCHA (United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs). En clair, cet organisme cherche à faire le lien entre les décideurs et les gens qui sont concernés par leurs décisions. Il faut donc que des cinéastes mouillent leur chemise sur le terrain pour que les décideurs aient des images leur permettant de prendre des décisions. C’est assez surréaliste : on pourrait interroger la nécessité d’un procédé aussi coûteux qui dispense les décideurs d’aller y voir par eux-mêmes. Kibera est certes dangereux, mais bien accompagnés, ne sentiraient-ils pas mieux les choses en y rencontrant quelques acteurs de terrain ? Bref, le film existe et puisque ce jury avait pour charge de visionner 105 films, il a également vu celui-ci. Cela commence en indiquant que le film propose l’histoire de six personnes vivant à Kibera, « leur remarquable courage pour faire face à leur extrême pauvreté ». Une femme accouche à même le sol (« faire des enfants est aisé, ce qui est dur c’est de les nourrir »), un jeune chômeur devient gangster, une femme est malade du sida, un homme coupe illégalement le bois dans la forêt voisine car cela rapporte davantage que de travailler sur les chantiers, un autre a pour métier de vider la nuit les fosses des toilettes
Le tout ressemble à un reportage télé alternant des commentaires sur des scènes de vie et des morceaux d’interviews.
D’Afrique du Sud venait Samora Machel, a luta continua 20 Years after (2007, 54′), produit et réalisé par Barbara King. Le film est le montage d’un impressionnant travail d’archives et repose explicitement la question d’élucider le mystère de l’accident d’avion où le leader mozambicain a trouvé la mort. En 2006, les gouvernements sud-africains et mozambicains ont rouvert le dossier et l’on pouvait espérer que la lumière fut faite sur les responsabilités du régime d’apartheid. Mais le film ne fait que constater que les recherches n’ont rien donné et se contente dès lors de mettre en avant la popularité de Machel, sauf que celle-ci est affirmée par les archives de propagande et les proches interviewés : « Samora vit en chacun de nous ». Le problème est que ce n’est pas le premier concerné, le peuple lui-même, qui l’affirme. Ce peuple qui manque génère alors un bien gênant sentiment de manipulation.
Dès lors, un film apparaissait comme un bol d’air malgré sa facture classique, aussitôt choisi pour être primé – une mention étant décernée à It’s my Country too de Nathan Collett (2005, 58′), un documentaire efficace, typiquement formaté BBC. Tourné sur une commande de la commission kenyane des droits de l’homme, Bless This Our Land de Judy Kibinge (30′) est un fort dérangeant documentaire de sensibilisation à la cause des paysans historiquement privés de leur terre dès l’indépendance. Ils vivent aujourd’hui dans des camps régulièrement détruits par les autorités et sont rejetés de toute part.
Mais dans le documentaire comme dans la fiction, la question de la création n’est posée que du bout des lèvres. On respirait donc lorsque le Sud-Africain Yunus Vally a présenté hors compétition dans le cadre d’une introduction à l’événement Input de Johannesburg prévu en mai 2008 (« la coupe du monde de la télévision » !) son film The Glow of the White Women (80′), coproduit par la BBC et la SABC. Si le film fait sensation, cela tient avant tout à la personnalité de son auteur. « Colored » (métis), Yunus Vally y parle très ouvertement de sa fascination pour la femme blanche. Puisant dans une large iconographie et documents d’époque, il se livre ainsi en partant de ses souvenirs d’enfance à une histoire sexuelle de l’Afrique du Sud sous l’apartheid. Sa propre bisexualité pimente les choses, notamment lorsqu’il rend visite à ses anciens amantes et amants pour explorer le sujet avec eux. C’est tout à fait intriguant et foisonnant. Graphiste de métier, Yunus construit son film sur une accumulation permanente en écho à sa propre introspection, son ciseau découpant les modèles, son cutter incisant les images, sa caméra glissant sur les formes et virevoltant d’une pin-up à l’autre pour finalement se poser sur lui-même, qui reprend le rôle de la saturation en parlant sans cesse. Toute cette imagerie abondamment mise en musique converge vers la peur obsessionnelle des Blancs de perdre leur intégrité. L’Immorality Act interdira toute relation entre Blancs et Noirs tandis que l’apartheid institutionnalisera peu à peu dans la vie sociale la séparation physique absolue. Mais l’interdit ne pouvait qu’engendrer du désir et c’est ce qui intéresse Yunus qui s’étend sur ses propres expériences. La discussion qui a suivi le film montrait s’il en était besoin combien cette évocation de thèmes fanoniens ouvre des espaces inhabituels de débat.
Egalement membre du jury, Yunus Vally a apporté à cette 2ème édition du KIFF un vent de non-conformisme qui tranchait avec le formalisme ou la gravité obligée de nombreux films. En étant simplement lui-même, il rappelait peut-être que le public n’est pas toujours aussi sérieux qu’on croit.
1. On trouve au Kenya quelques Drive-in et des salles. Les grands cinémas ont jusqu’à quatre séances par jour. A Nairobi : Fox Cineplex-Sarit Centre (Westlands) : deux écrans ; Fox 20th Century : 2 écrans ; Fox Kenya-CBD (Moi Avenue) : 2 écrans ; Fox Capital Centre, Mombasa Road (Uchumi) : 2 écrans ; Fox Kisumu (United Mall) : 2 écrans ; Nu-Metro Village Market : 4 écrans (20 300 entrées par mois) ; Nu-Metro (Prestige Plaza, près de 18 000 spectateurs par mois) : 2 écrans ; Nu-Metro (The Junction, 23 000 entrées par mois) : 4 écrans ; Nu-Metro (Mega City-Kisumu) Cinemas : 2 écrans ; Casino : 1 écran ; Odeon : 1 écran ; Dream Theatres (Panari Sky Centre) : 2 écrans. A Mombassa : Nyali Cinemax : 2 écrans ; Kenya Cinema : 1 écran. On trouve d’autres salles à Kisumu, Malindi, Embu, Nyahururu
La seule salle dont le gouvernement kenyan possédait des parts a été, comme bien d’autres, vendue à une église.
2. Voir les auteurs publiés par l’excellente revue littéraire Kwani?Un atelier a réuni le temps d’une après-midi les journalistes kenyans autour d’une information sur la Fédération africaine de la critique cinématographique dont la branche anglophone se structure peu à peu tandis qu’un autre atelier encourageait les artistes à prendre en main leur communication sur le site sudplanete.net, lequel sera rapidement largement complété au niveau du Kenya en y incluant l’efficace travail de documentation sur la création artistique kenyane de la Maison française de Nairobi.///Article N° : 7003