Noce d’été (Bab El Arch)

De Mokhtar Ladjimi

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Une grand-mère dit un conte sur un toit, au milieu des paraboles. Mais le charme ne tient pas : un gamin lui lance qu’on ne lui a pas demandé la météo et le groupe s’égaye en tous sens lorsqu’un autre arrive déguisé en Spiderman. La communication moderne s’immisce ainsi dans la sphère traditionnelle mais elle a ses limites. Car sur cette terrasse encombrée de paraboles, ce ne sont que les messages d’ailleurs qui passent. Les magouilles sur un chantier n’y seront pas dénoncées, par exemple. Et les enquêtes du journaliste Hamid seront systématiquement amputées. C’est ainsi dans la dénonciation de l’absence de liberté d’expression que Mokhtar Ladjimi se situe dans Bal El Arch. Plutôt que de pouvoir le faire trop frontalement (bien que son film aille déjà très loin en ce sens dans le contexte tunisien), il met en scène un journaliste atteint de sinistrose et montre comment la situation du pays le frustre jusque dans son corps et sa sexualité. Son père, qui sait s’y prendre en jouant sur la proximité de sa mort, le force à se marier sans amour à une voisine. La nuit de noce sera la nuit de la vérité : il délaisse sa nouvelle femme avant l’acte pour écrire enfin l’article sur le trafic illicite de paraboles qu’il n’arrivait pas à écrire, persuadé qu’il serait censuré. Son dépucelage sera littéraire avant d’être enfin sexuel, dans les bras de sa rédactrice en chef !
Le problème du personnage d’Hamid, c’est qu’en dehors de ce violent final, il n’évolue pas. Enfoncé dans le désenchantement, il est déjà en crise lorsque le film commence : nous ne partageons pas sa mise en abyme, plutôt agacés par sa mollesse, et ne pouvons ainsi participer à sa dérive. Pourtant son personnage d’anti-héros intéresse : il est typique du vide et de l’étouffement que peut ressentir un journaliste dans un pays où ce métier relève du saut d’obstacles et de l’équilibrisme perpétuel (« il suffit d’accrocher le lecteur en respectant les autorités », triste programme). Sa tête est à l’image du labyrinthe des ruelles qu’il doit parcourir. Il est l’intelligence bafouée, torturé par le fait de ne pouvoir inscrire dans une pratique sa conscience politique. Et le voilà aussi mal dans son corps que dans sa tête, tant l’intime reflète ce qui se vit dans la sphère publique. Du coup, il se renie et s’enferre davantage : ses choix vont à l’encontre de toute éthique. Harcelé par son père, il promet ce qu’il ne pourra respecter, et blesse et méprise ainsi profondément Rym qu’en désespoir de cause, il a accepté d’épouser. Meurtrie, délaissée en plein nuit de noce, celle-ci se dénude pour finalement s’extraire seule, comme dans Noces en Galilée de Michel Khleifi, les gouttes de sang qui satisferont le cercle de la communauté. La scène est dure et douloureuse, sans érotisme ni vulgarité, et cette nudité parfaitement signifiante et justifiée.
Elle est cependant à l’image du film entier, et malgré sa force, sans relief ni émotion. Et c’est bien là le problème de ce film honnête : il n’atteint pas son but. La pâleur de la mise en scène et la banalité du cadre et des lumières, l’absence de rythme et des personnages insuffisamment creusés, notamment un Hamid terriblement mou et ténébreux, des dialogues qui s’apparentent souvent à des discours, tout cela s’accumule pour couper toute relation à ce qui se passe sur l’écran. C’est dommage car ce film dérangeant, courageuse coproduction franco-tunisienne, a été difficile à faire et ne semble avoir obtenu l’aide ministérielle que par un jeu de pressions voire la menace d’une campagne de presse. C’est d’autant plus dommage que son propos est éminemment pertinent, dans son lien entre le corporel et le politique, dans son interrogation de la virilité et son affirmation de la rupture à imposer face aux normes traditionnelles, dans sa dénonciation de ceux « qui regardent ailleurs pour ne pas voir les magouilles », dans son regard sans filtre sur la tentation de l’excès et l’éventuelle nécessité de faire mal à l’Autre pour défendre son intégrité. Il est ainsi profondément ancré dans la réalité d’un pays qui souffre de ce qu’il devient : « tu me pousses à te ressembler ».
Mais tant de choses sont dites au lieu d’être à l’image… Le jeu en français détourne des nuances et de la dynamique de la langue locale. Les personnages secondaires, du photographe ami d’Hamid aux arrivistes trafiqueurs, sont souvent stéréotypés. Des scènes comme celle du stade de foot enflammé sont plates et insuffisamment exploitées quand on sait toute la violence qui déborde et s’exprime dans ces cadres moins contrôlés… C’est rageant ! Filmer dans l’urgence un état des lieux ne dispense pas d’une esthétique qui soutienne le propos car le résultat est là : un film passionnant qui pourrait rendre espoir mais finit par frustrer.

///Article N° : 3578

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