Artiste-comédien, metteur en scène, directeur du Focus Théâtre Baobab, Jean Shaka est également directeur de communication de l’Ecurie Maloba, centre de création et d’échanges culturels à Kinshasa. Née en 1988 dans la dynamique de création d’espaces culturels face à l’inaction des pouvoirs publics, l’Ecurie Maloba (maloba = la parole en lingala) regroupe plusieurs compagnies de théâtre, des bureaux, une bibliothèque de 1000 ouvrages, une salle de projection vidéo, deux containers servant de galerie d’expositions, un bar-restaurant. Pour permettre la rencontre entre les différents espaces culturels apparus en Afrique centrale, elle crée en 1990 le Festival international de l’Acteur (FIA). Elle organise en outre la Semaine du Rire, la Semaine de l’Amitié, le Festival des peuples du Kasaï, la Journée de la Coopération.
Comment une structure privée arrive-t-elle à subsister aujourd’hui en RDC ?
C’est dur, mais cela fait longtemps que les structures privées cherchent à se positionner. Nous avons eu la chance – ou la malchance – d’être coupés de la Coopération depuis 1990. Les aides ont cessé et un groupe d’artistes s’est demandé comment vivre de leur métier, alors que les groupes privés ne sont pas subventionnés. Ils se sont mis en collectif et ont créé l’Ecurie Maloba. A Kinshasa, avec les problèmes de transport, quand les gens ont quitté la ville où sont concentrés tous les lieux de travail pour rentrer chez eux, ils ne vont pas revenir en ville pour aller au théâtre. Il fallait donc apporter le théâtre à la maison ! Nous avons commencé par acquérir un espace, qui s’appelle maintenant Mutombo Buitshi, en l’honneur de ce grand homme de théâtre mort il y a trois ans. Puis nous avons créé dans les communes des antennes de l’Ecurie Maloba pour faire circuler les spectacles qu’on créait. Ces lieux sont des bars qui ne fonctionnaient plus ou des écoles dotées d’une salle polyvalente. Comme l’école n’était pas en mesure d’aménager le lieu, nous venions avec nos propres moyens et, grâce à un sponsor, une grande brasserie de la place, nous avons pu aménager certains lieux dans certaines communes, et présenter 6 jours sur 7 des spectacles à travers la ville. Cela a donné des ailes à certains amis, qui ont décidé aussi de créer leur propre structure.
C’était donc au début des années 90.
Oui, en 91, la compagnie de théâtre des Intrigants a aussi créé un espace, et il y a d’autres ont suivi, si bien qu’à Kinshasa, il y a des structures qui ont des espaces. Cette floraison des espaces permet à un groupe de jouer vingt fois
Mais c’est dur : on cherche par tous les moyens à trouver des financements. Les organismes internationaux ne subventionnent pas les productions locales. Pour trouver des sponsors, on a fait des bulletins ou nous vendions des espaces à certaines sociétés, on les distribuait
Une troupe ne peut vivre de la seule vente des billets
Pas du tout. Avant 1975, l’intérêt du public et le calme relatif de la ville étaient favorables, mais avec tout ce qu’on a eu comme événements, les gens ont peur de se promener la nuit. A l’Ecurie Maloba, nous avons proposé à l’hôtel Memling, l’un des grands hôtels de Kinshasa, d’animer leur grande salle. Le spectacle coûte de l’ordre de dix dollars, ce qui nous permet, à deux cent personnes par soirée, de faire vivre la troupe. Nous venons aussi d’avoir l’hôtel Continental. Pour le reste, ce sont des spectacles « d’appoint », et pour fidéliser le public, nous organisons un festival.
Et le public est au rendez-vous ?
Il a pris l’habitude. A la Cité, les prix sont proches de 1000 FCFA pour les spectacles ordinaires, 2000 pour certains groupes : c’est le juste milieu. Le public sait que chaque vendredi, qu’il pleuve ou pas, il y a un spectacle : on n’a plus besoin de faire la publicité. Notre saison va de février à décembre, si bien qu’en décembre et janvier, on présente des projections vidéo pour le cinéma, pour répondre au besoin et que l’espace ne soit pas fermé. Mais pour des gens qui ont passé 8 mois sans être payés, le théâtre est cher
Malgré les événements, le public aime le théâtre.
Le public est très partagé. Il y a le théâtre populaire, en langue locale, et que la télévision est en train de promouvoir, peut-être parce qu’ils pensent que le public aime ça ; à mon avis, ce n’est pas du théâtre, ce sont des dramatiques. Et il y a le théâtre classique que nous faisons : des scènes de la vie quotidienne que nous dramatisons, et que le public aime et recherche. Pour nous, c’est le vrai théâtre populaire : un théâtre où le public se retrouve. Mais il y a aussi le théâtre des grands auteurs africains.
Ce ne sera jamais joué en lingala ?
Pourquoi pas, mais c’est une expérience qu’on ne veut pas tenter. Cela n’aurait pas la force qu’on veut lui donner. Sauf pour les pièces de « coutume » tirées de la vie d’un pays ou de mythes. Mais on ne peut traduire Molière en langue locale
La circulation des spectacles que vous organisez entre les différents espaces culturels de Kinshasa est-elle aussi valable pour les autres expressions artistiques ?
La musique congolaise n’a pas du tout le même problème : elle se vend très bien, il y a beaucoup de producteurs ; le domaine qu’on est en train de lancer, c’est la danse contemporaine. La danse traditionnelle, ça tourne déjà depuis 1998. L’année passée, nous avons envoyé quelqu’un en formation, et cette année encore, au Sénégal, au Cameroun. Pour nous un chorégraphe doit s’épanouir, rencontrer les autres, pour comprendre ce qu’est la danse contemporaine, et venir former d’autres. Pour la danse classique, beaucoup d’artistes de chez nous participent à des rencontres, il y a beaucoup d’expositions, ça se tient ; et ce qui est bien au pays, c’est que depuis un certain temps les gens se mettent ensemble pour essayer de travailler, de discuter, de voir comment faire avancer l’art, et aussi former un lobby pour faire pression sur le gouvernement pour qu’il soutienne mieux les arts.
Quels contacts avez-vous avec Brazzaville ?
Depuis longtemps, on fait le pont entre artistes ; au niveau du théâtre, on a toujours associé nos amis de Brazza. C’est la guerre qui a un peu freiné notre collaboration, mais nous sommes en train de tout faire pour qu’elle redémarre. Au Congo-Brazza, les gens sont traumatisés par ce qui s’est passé, le problème est de surpasser cette psychose de la tête.
Il n’est pas facile de sortir du pays
Il y a des difficultés énormes. Il faut l’autorisation du ministère qui n’est pas gratuite, sous prétexte qu’on va gagner de l’argent ! Comme si c’était le cas ! Mais au-delà des difficultés, nous aimons ce que nous faisons, nous sommes en train de sauter au-dessus de grillages de fils barbelés ! A quoi bon m’exiler ? Je ferais quoi ? Combien de temps me supporteront ceux qui vont m’accueillir ? Et si je rentre au pays, je trouverai encore de la place ? Quand on se pose toutes ces questions, on reste au pays, on travaille, on oublie les difficultés.
Ecurie Maloba – Programme 2000 :
– Créations :
. Le condamné à mort, texte de Yoka Lye Mudaba, mise en scène Tshitenge N’Sana, avec Jean Shaka et le Focus Théâtre Baobab
(fév.)
. Hadisi Ndjoh, spectacle de contes avec marionnettes par Tshondo, la griotte du Kasaï (mars).
. Un nouvel épisode de la série « Rions plus, rions moins » par les Enfants terribles. (mars-avril).
. M’Bonge, danse contemporaine par le groupe Diba Dance (sept.)
. Les dernières nouvelles ne sont pas bonnes, création multilatérale à Bangui avec des artistes africains, européens et canadiens (oct. 2000).
– Festival :
. Kin 2000 pour la paix, festival culturel (juin).
– Formations :
. janv/fév : mise en scène, par Astrid Mamina.
. avril : régie lumières, par les régisseurs membres de l’ARASC.
. août : danse contemporaine, par Zab Maboungou
– Tournées :
. Arrêt Kardiak au Fitheb (Bénin, mars) et en avril au Cameroun et RCA.
. Le Fossoyeur au Fitmo (Burkina, fév.)
. participation à la 9ème édition des Rencontres théâtrales internationale du Cameroun (RETIC) en novembre.///Article N° : 1445