Ca fait du bien d’être amoureux, aimé, heureux » : ce simple aveu exprimé en français dans la première chanson ( » Bobo « ) fera aussi » du bien » à tous les admirateurs du génial chanteur, car ce nouvel album est le plus dansant, joyeux et jubilatoire qu’il ait jamais enregistré.
Si le précédent, le miraculeux Moffou, était dominé par des complaintes bouleversantes comme l’admirable » Iniagige « , celui-ci est un pur concentré de bonheur et de » groove « , pour user d’un mot trop galvaudé. On peut même espérer qu’il offrira enfin à Salif Keita l’occasion de s’imposer, à l’instar de son vieux compère Mory Kanté, dans les discothèques.
Ce disque est fait pour ça, c’est clair, et si ce n’était pas le cas, cela démontrerait la surdité incurable des DJ. » Laban « , » Dadjani « , » Kamoukié « , » Yambo » sont de vrais tubes en puissance, et encore plus le jouissif » Calculer « , où Salif réussit la première synthèse parfaite entre le lyrisme mandingue et la frénésie rythmique de l’Afrique centrale.
À travers leurs contrastes, Moffou et M’Bemba reflètent l’histoire d’une continuité et d’une fidélité rarissimes et même pratiquement uniques dans toute l’histoire des musiques africaines modernes, où les relations entre artistes sont hélas trop souvent conflictuelles en raison de leur situation précaire. C’est en effet de 1973, des débuts de l’orchestre Les Ambassadeurs de Bamako, que datent l’amitié et la collaboration de Salif avec Kanté Manfila, l’arrangeur et guitariste soliste de M’Bemba comme de Moffou.
On retrouve aussi dans M’Bemba un autre vétéran des Ambassadeurs, Ousmane Kouyaté.
Ce disque offre par ailleurs une splendide et trop brève anthologie du chant et des cordes mandingues traditionnels : accompagné par les griots Toumani Diabaté à la harpe kora, Mama Sissoko au luth ngoni, et Lanciné Diabaté au balafon, avec ses propres surs en guise de chur, Salif interprète dans M’Bemba (Mon Ancêtre) un fragment de la grande épopée mandingue, dédiée à Soundiata Keita, le fondateur de l’empire du Mali. Nous serons sans doute quelques-uns à penser que c’est le sommet de ce disque, et que Salif s’y élève au niveau de l’inoubliable griot guinéen Kouyaté Sory Kandia, dont il s’inspire manifestement.
Dans le dernier morceau, » Moriba « , Salif semble achever sa métamorphose, celle d’un enfant à qui ses origines » nobles » interdisaient de chanter, qui a transgressé ce tabou, qui est devenu à la fois le plus grand chanteur de son peuple, le plus » fidèle conservateur de ses traditions musicales et le plus moderne de ses » ambassadeurs « .
Le » business des best-of » (en v.f. » anthologies « ) produit tant de galettes rancies qu’on a tendance à les entasser tous dans un coin et à les oublier dans la pile des CD inutiles.
Ceux d’Alpha Blondy n’ont certes pas manqué en 22 ans de carrière. Aussi m’excuserez-vous d’avoir tardé à signaler celui-ci, sorti en juin, et que je retrouve au hasard d’un rangement
En fait cette alternance de versions originales très bien » remastérisées » et de remix astucieux est une parfaite réussite. » Banana Poyo » revisité par Lucas Martinez (le guitariste du Solar System) fait d’ailleurs un tabac en boite, et » Vana de Fohi » réenregistré avec les Magic System tranche avec la médiocrité des exhibitions actuelles du groupe d’Asalfo.
Les Neg’Marrons réactualisent joyeusement » Cocody Rock « , Saïan Supa Crew font un ragga rageur du remarquable » Wari « . Au total, une quinzaine des chefs-d’uvre du » rasta poué « , rafraîchis ou rhabillés dernier cri : de quoi régaler toutes les générations, et faire patienter les fans avant la sortie d’un vrai nouvel album, qui commence à se faire un peu trop attendre
.
Quatre ans après A qui profite le crime ?, ce n’est que le deuxième album de cet artiste singulier qui a pourtant à son actif vingt ans d’une carrière bien remplie. Amoureusement dédié à son pays natal – qu’il a quitté pour la France en 1982 – Angola est le bilan d’une expérience très diversifiée.
En effet Lulendo est un chanteur très attachant, dont la voix de ténor en falsetto, d’une justesse absolue, évoque souvent celle de Papa Wemba, qu’il a accompagné comme choriste. Adolescent, il a beaucoup fréquenté les chorales religieuses de Luanda, ce qui semble se refléter dans l’harmonisation très raffinée des voix de cet album.
Mais Lulendo est aussi l’un des rares musiciens de sa génération qui centre sa musique sur le jeu d’un instrument traditionnel africain : le lamellophone likembe (aussi appelé sanza). Il a appris à en jouer tout petit avec son grand-père, qui l’a aussi initié aux rituels animistes des Bakongo. Lulendo fabrique son propre modèle de likembe, à treize lames métalliques arquées, éventuellement amplifié à l’aide d’un petit micro fixé sur la caisse rectangulaire.
L’album est enrichi par quelques excellents solistes invités : le clarinettiste John Helliwell, le flûtiste Magic Malik, le » pedal steel guitarist » Claude Samard, le pianiste Lalo Zanelli et le violoniste Didier Lockwood.
L’influence de la rumba congolaise originelle ( » Zélie « ) côtoie de jolies ballades créoles ( » Rainha « , » Elembo « ), le ska délicat de » Mandingo Sound » ou des morceaux plus funky comme » Ayaye « , » Maseke » ou » Zibula Mbundu « . L’ensemble forme une véritable » suite » habilement enchaînée, révélant les multiples facettes d’un talent original qui mérite d’être enfin reconnu à sa juste place : Lulendo a été deux fois finaliste du concours Découvertes RFI (en 1994 et 2001)
n’attendez donc plus pour le découvrir !
Chez les Haoussa et les Djerma (ou Zarma) du Niger, de même que chez les peuples mandingues (Gambie, Guinée, Mali, Sud du Burkina, Nord de la Côte d’Ivoire), les confréries traditionnelles de chasseurs continuent de jouer un rôle éminent jusqu’à la lisière de la société moderne et urbaine. Et parmi elles s’expriment des musiciens spécialisés, qui n’appartiennent pas nécessairement à la caste des griots, même s’ils en adoptent la tenue vestimentaire, en particulier l’emblématique coiffe ornée de cauris.
Leur présence est indispensable au succès de la chasse : ils suivent les chasseurs au cours des battues, chantent leurs louanges et invoquent le soutien des génies en s’accompagnant d’un luth spécial à trois cordes, au son très grave, le gouroumi. Avec sa caisse de résonance en calebasse recouverte d’une peau de varan et son très long manche prolongé par une lame de métal en forme de flamme, il n’est pas sans évoquer un arc ou un fusil.
Comme beaucoup d’instruments africains, son origine est légendaire : » un jour alors que le clan des chasseurs vivait des moments très difficiles car le gibier manquait dans la région, un chasseur fabriqua (
) le gouroumi. Il se mit à en jouer et à appeler les génies pour leur demander leur aide. S’il venait à mourir, leur dit-il, ceux-ci (les génies) seraient couverts de honte, car ils maîtrisent la brousse et ont le pouvoir de lui donner ce qu’il veut. Les génies réagirent aussitôt et le chasseur eut beaucoup de gibier. C’est depuis ce moment que les chasseurs s’accompagnent de musiciens jouant du gouroumi. »
Hamidou Karimou, qui raconte cette légende, fait partie du quatuor enregistré (en 1996) pour ce disque envoûtant quoiqu’un peu répétitif. Les chants sont joyeux et d’une grande élégance.
Le son de basse du gouroumi (le fil de pêche en nylon a remplacé le crin de cheval pour les cordes), puissant et expressif, rappelle celui du bolon des Malinké et des Senoufo. Nul doute qu’il continue d’impressionner les génies de la brousse !
Une fois encore, des enregistrements tout récents associés à d’autres très anciens (effectués par Herbert Pepper en 1954 et 1961) viennent à point nommé pour clouer le bec aux Cassandre dont le triste métier est de prétendre (de génération en génération !) que le patrimoine musical africain est partout moribond
Ce n’est certes pas le cas au Gabon, ce véritable conservatoire forestier d’innombrables traditions.
Les Myènè habitent sur les rives du Moyen-Ogooué, autour des lacs qui s’étalent entre Lambaréné (ville dont ils se disent les fondateurs) et Port-Gentil. Leur musique, peu enregistrée, a cependant fait l’objet d’une fameuse étude de Pierre Sallée – éditée par l’ORSTOM en 1972 – autour d’un 45 tours du merveilleux chanteur-harpiste Rampano Mathurin. La harpe angulaire anthropomorphe ngombi à huit cordes (aujourd’hui en nylon) est en effet l’instrument-roi de cette région, depuis au moins 1614 – date de la célèbre gravure qui la figure dans un traité de Michel Praetorius. Comme d’autres instruments (arc-en-bouche, tringle percutée
) elle profite de l’expansion vers le nord, jusqu’à Yaoundé, des diverses formes plus ou moins syncrétistes du rituel Bwiti, transmis par les Mitsogho à la plupart de leurs voisins, notamment les Myènè.
Cette anthologie réalisée par deux femmes (Florence Bikoma et Sylvie Le Bomin) valorise à juste titre les splendides chants féminins myènè : en général une soliste et un chur responsorial souvent accompagnés par la cloche double à multiples battants internes tchege.
Une curiosité parmi d’autres : le chant d’initiation des garçons Okuyi où la voix gutturale du soliste, selon Pierre Sallée » proche du growl de Luis Amstrong (sic), est obtenue par l’ingestion d’une décoction de plantes irritantes, ou d’huile de palme et de sel, et demande une compression extrême du diaphragme. »
Mais on n’en finirait pas d’inventorier inutilement les richesses de ce magnifique cd : elles sont commentées avec un grand luxe de détails par un livret passionnant, quoique trop peu illustré.
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