Antananarivo, ville de cultures : les touristes l’ignorent, qui ne font qu’y passer, mais aussi les Malgaches qui sortent peu de leur quartier. Pour pallier à cette méconnaissance, ce bel ouvrage collectif : des spécialistes y abordent une vingtaine de sujets, des marchés à la mode, de la danse aux médias, en passant par la cuisine et les balades. Antananarivo s’y révèle telle qu’en elle-même : inépuisable ! Le côté pratique n’a pas été oublié puisque ce livre est aussi, mais pas seulement, un carnet d’adresses. P.M.
La prestigieuse revue Recherches Internationales a consacré un numéro spécial aux derniers développements politiques, économiques, sociaux et culturels qu’a connus l’Algérie. Ce pays, affirme l’éditorialiste, « connaît indiscutablement un tournant politique qu’il serait tout aussi erroné de minimiser que de survaloriser. Il existe des paramètres lourds et structurants qui marqueront, et pour longtemps encore, l’évolution politique algérienne, ne serait-ce que l’horreur des dernières années… ». Il faut signaler que c’est la deuxième fois en trois ans (« L’Algérie dans la tourmente » en mars-avril-1996), que la revue française se penche sur l’évolution de ce pays. La partie politique occupe un espace important dans ce dernier dossier, avec notamment des réflexions très intéressantes sur, par exemple, « La résistance des femmes : mythes ou réalités (Zazi Sadou), » Un islamisme ou des Islamismes : Des réseaux internationaux de l’islam radical » (J. Sfeir) ou « Le difficile combat de la presse algérienne » (Hassan Zerrouky). L’économie n’est pas en reste avec, entre autres, un article pertinent de Rabah Abdoun intitulé : « Ajustement, inégalités et pauvreté en Algérie « . Le volet culturel rend un hommage appuyé et mérité à deux grands disparus de la création algérienne : le talentueux peintre M’Hamed Issiakhem et Kateb Yacine, le père de « Nedjma ». F.C.
Se pencher sur le passé colonial pour conjurer ses traces dans les représentations de l’Autre aujourd’hui : des films s’y sont attelés comme Le Noir des Blancs de Youssef El Ftouh ou Le Ciné-colonial de Moktar Ladjimi, ainsi que l’exposition L’Afrique au regard du cinéma colonial (Institut du monde arabe 1994, Fespaco 1995), qui révèlent combien l’image servait (et sert encore) les structures de pensée coloniale. Ce livre essentiel développe cette approche, passant au crible tous les films tournés au Maghreb à l’ère coloniale. La mythologie coloniale trouve son expression filmique, opposant sans cesse l’indigène et le colon : statisme/action, nature/culture, féminité/virilité, sauvage/civilisé, groupe/individu, religion/science etc. C’est la foule arabe d’une part et le héros européen de l’autre, ou bien c’est la caricature… » Alors que l’humanisme du XVIIIème siècle était parvenu à reconnaître l’Autre en tant qu’homme, le paternalisme colonial lui a retiré cette reconnaissance, lui montrant qu’il n’était pas à la hauteur de ce qu’on lui avait accordé « , conclut Benali. Le cinéma colonial n’est ainsi pas seulement le lieu du rêve et du refoulement occidental : il est aussi un instrument d’exploitation car il fallait définir l’Autre comme différent pour pouvoir l’exploiter. Une livre d’une brûlante actualité… auquel il manque cruellement un index. O.B.
La Tunisie fait rarement la une des pages littérature dans les journaux. Le pays est reconnu pour sa stabilité sociale, ses progrès économiques évidents, sa dolce-vita que célèbrent chaque année des centaines de milliers de touristes venus d’Europe et d’ailleurs à des prix défiant toute concurrence. Nicolas Beau et Jean-Pierre Tuquoi ont voulu fouiller côté cour et dire de vive-voix ce qu’ils y ont découvert. Un pays placé sous la tutelle et la main de fer implacable de son père-président Zine El Abidine Ben Ali. Arrivé au pouvoir en 1987 après avoir mis au placard, en douceur il est vrai, un Bourguiba au bord de la sénilité, Ben Ali qui avait promis à ses concitoyens l’édification d’une société équilibrée sur le plan social et économique et épanouie sur le plan politique, n’a finalement rempli qu’une partie de sa mission. Sur le plan politique, l’homme a fini par tout verrouiller en réduisant tous ses adversaires au silence et en imposant une dictature soft en apparence mais néanmoins terrible pour ceux qui osent y opposer la moindre résistance. Prétextant la menace intégriste, conforté par le contre-exemple algérien de ces dix dernières années, Ben Ali s’est enfoncé dans un autisme politique qui fait de plus en plus de dégâts dans la société tunisienne. Les auteurs ne font aucune révélation « explosive », mais ils sont parvenus à démonter un système perfide. La réaction brutale du mis-en-cause montre qu’ils ont visé là où cela faisait mal. F.C.
Ce livre passionnant et émouvant sur la tragédie rwandaise a le grand mérite – mais pas le seul -d’être écrit par un Rwandais de retour d’exil. Benjamin Sehene nous évite ainsi les éternels clichés et clivages artificiels utilisés lorsque la plume prend les couleurs européennes en général, belges ou françaises en particulier. Son propos n’était pas d’accuser les uns ou les autres, mais de collecter le maximum de faits rapportés de la bouche même de ceux qui ont vécu, subi ou participé à la folie collective de 1994. Il a interrogé, voisins, amis, membres de la famille, inconnus… sans jamais réussir à tracer une ligne de démarcation définitive et radicale. Sehene, d’origine tutsie, s’attarde longuement sur le fait que les différences entre les deux groupes en conflit sont si ténus qu’il est vraiment très compliqué de distinguer un Hutu d’un Tutsi : traits physiques ou patronymes se confondent, la langue est commune et les alliances familiales sont nombreuses… Sans vouloir dédouaner les Hutus auteurs du massacre, Sehene ne blanchit pas totalement les Tutsis et considère en quelque sorte que plus que l’origine « ethnique », c’est le puissant désir du pouvoir qui a guidé la main criminelle. F.C.
Pour tous ceux qui ont vibré aux écrits de Tchicaya U Tam’si (et comment ne le pourrait-on pas ?…), ce livre-hommage est indispensable. Non seulement regroupe-t-il des témoignages inédits où le grand poète et romancier explique les parcours de sa création et où ses amis décrivent l’homme qu’ils ont connu, mais il offre des articles passionnants permettant d’aborder son uvre en profondeur. » Je l’avais lue, je la trouvais hermétique « , note Emmanuel Dongala qui raconte en un texte émouvant sa rencontre – tardive – avec sa poésie : » Tchicaya hermétique ? C’est que, vraiment, vous ne l’avez pas lu ! « , martèle-t-il après avoir compris qu’elle l’accompagnait depuis longtemps sans qu’il le sache – et combien elle l’encourage à » rester vivant pour cause d’avenir « . Entre Congo et Kongo, Nicolas Martin-Granel explore les frictions et dialogues qu’entretenaient Tchicaya U Tam’si et Sony Labou Tansi, mais de tous ces témoignages ressort à quel point le Congo » habitait » le poète. Bien plus que la négritude, comme le souligne notre collaborateur Boniface Mongo-Mboussa dans son article sur la liberté de ton de Tchicaya, et bien que la question ait obsédé sa génération. C’est ce que remarque également René Depestre, se demandant même si cela ne lui permettait pas » un regain de vigueur et de santé lyrique « . Et le même Depestre de raconter dans ce texte attachant comment lui, » nègre de mauvaise manière « , a pu amener Tchicaya à écrire des romans. Nous ne pouvons que l’en remercier ! O.B.
» Créer, c’est opposer le nom du père au désordre et à la mort « . Et pourtant, » Celui qui veut créer doit nécessairement payer un tribut à la mort « . C’est ce dialogue entre le créateur et sa création, entre l’art et la thérapie, entre le langage et la jouissance, que mène le peintre ivoirien, également psychanalyste et art-thérapeute, Zirignon Grobli dans ce recueil de poèmes, ou plutôt, comme le souligne Tanella Boni dans sa préface, de » fragments « . Nos lecteurs le connaissent par un entretien paru dans le n°3 d’Africultures sur l’Image de l’Autre. Car cet Autre cannibale et vampire, il convient de le détruire symboliquement avant de le reconstruire par le langage. C’est pourquoi Grobli gratte : le carton badigeonné de terre et orné d’un motif sera gratté sans ménagement. Ne subsistent que quelques restes : » les beaux restes « , semblables à des peintures rupestres. Détruire et réparer par l’art. C’est ainsi que l’activité créatrice révèle à l’artiste sa capacité à maîtriser ses pulsions de mort et d’échapper à la folie. Et que Grobli nous ouvre la voie d’une difficile fraternité entre les hommes. O.B.
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