« Ô Pays, mon beau peuple »

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Je ne sais pas ce qu’est le pouvoir. Personne ne le sait. Mais on sait quand il y en a un. Ainsi aurait parlé Marguerite Duras. Quand Dieu veut sauver un peuple, Il confie son destin au même peuple. Les démons aiment les hommes politiques dont certains, rares, se libèrent et se distinguent des autres lorsqu’ils ont une manière de gouverner moralement supérieure. Quoique déjà fort bien vêtus, nous en trouvons qui « se battent avec les vautours pour récupérer jusqu’aux haillons des morts ».
Nous sommes devenus de grands accidentés de cette femme fatale et hybride : la démocratie. Et justement, la démocratie ne doit pas être qu’un combat de partis. Le 23 juin 2011, un projet de loi constitutionnelle a été retiré du Parlement face à une fronde populaire historique. Une loi est donc mort-née, le prince sauf. Un arbre ne fleurira plus seul !
Si les référendums ne peuvent pas être toujours le chemin à toute révision constitutionnelle au regard des lourds budgets qu’ils appellent dans nos pays financièrement exsangues, le Parlement pourrait bien les relayer avec toutefois cette contrainte : toute révision constitutionnelle entraîne la démission immédiate du Parlement après le vote et des élections législatives sont organisées. Cela protégerait durablement nos lois fondamentales.
Admirable et fascinant peuple sénégalais ! Un peuple jugé bien souvent irrésolu, passif. Un peuple rarement hostile qui sait différer son temps d’agir. Mais un peuple qui sait être foudroyant, décisif, et qui tranche alors avec autorité, quand il hume que le cyanure est dans le verre. Ce peuple nous réveille désormais. Il nous libère du pardon facile, du poids des compromis qui nous tyrannisent.
La grande leçon que nous devons tous tirer de cette historique journée du jeudi 23 juin 2011, est que personne, opposition, pouvoir, société civile confondus, ne saurait entraîner le peuple sénégalais sur des voies qu’il n’ait lui-même approuvées. La leçon fera date. Notre communauté se dévoile et se révèle comme un peuple responsable, avisé, lucide. C’est un peuple du cœur qui ne cède pourtant ni à la passion ni à l’aventure. Ce peuple est un peuple de raison. Il n’est pas programmé. Il se programme et se déprogramme seul. Il est sorti dans la rue quand il a jugé que la camisole de force que l’on voulait lui faire porter ne lui sied point. Entendu, respecté, il a regagné ses quartiers. Quand on parcourt Dakar le lendemain du jeudi 23 juin, l’on dirait que rien ne s’y était passé. Le fauve était retourné à sa tanière. La vie avait repris son cours. Quelle belle leçon de civilité, de mesure ! Le peuple sénégalais est un laboratoire où les hommes politiques sortent paumés et pantois ! Au-delà de toutes ces images de flammes, de courses poursuites dans une capitale sénégalaise électrisée qui a apeuré le monde sur les écrans de télévision, nous retiendrons longtemps face aux barrières de police, l’image de ces jeunes sénégalais rageusement décidés mais qui trouvent le temps d’être polis et qui parlent aux forces de l’ordre prises entre leur devoir et leur conscience de gardien de la paix sociale.
Nous faudrait-il chercher coûte que coûte ceux qui ont tort et ceux qui ont raison ? Entre un peuple et ses gouvernants, c’est toujours les gouvernants qui ont tort. C’est la règle, juste ou injuste, en démocratie. Laissons chacun méditer son action. Laissons chacun parler à soi-même. Elevons-nous et ôtons de nos cœurs toute confrontation. Ce qui devra advenir, adviendra. Chaque Sénégalais, au-delà de tout parti politique, dans son intime conviction, connaît sa route. Une épingle est tombée à la mer et aucun balai n’y pourra plus rien pour la retrouver !
Nos regards sont fixés sur le président de la République dans son grand questionnement intérieur, à l’abri de tout témoin. Renoncera-t-il ? Poursuivra-t-il ? Redoute-t-il déjà le jugement de la postérité ? Est-il rassuré sur son destin historique ? Se fiera-t-il à « l’histoire pleine d’échecs immérités, d’oublis injustes ? » Dans quel sens tranchera le Conseil Constitutionnel ? Le Président doit-il se remettre à lui ? Ce dernier devra-t-il forger son destin à sa place ? Redoutable pari ! L’acte est presque héroïque. Faut-il cependant attendre le verdict de la Cour ou faut-il anticiper sur ce verdict, s’interroge-t-on ? Le Président devrait-il installer un vaste gouvernement d’union nationale qu’il conduirait jusqu’à l’installation de son successeur en renonçant lui-même à sa propre candidature ou doit-il continuer à assumer seul avec son parti et sa majorité son pouvoir constitutionnel jusqu’au bout ? Le Président est seul face à l’histoire et face à lui-même ! Pour ma part, nous ne pouvons pas lui fermer toutes les portes et ne lui offrir que celle de l’humiliation. Pour sa part, il ne peut pas fermer toutes les portes et ne nous offrir que celle unique de l’affrontement et de la force. Le clou souffre autant que le trou. Quand à son départ immédiat du pouvoir, cela ne serait ni raisonnable ni souhaitable. L’histoire en retiendrait qu’il a été proprement chassé par son peuple. Aucun Président ne peut accepter une telle posture et le Sénégal n’a pas besoin de tels extrêmes. Laissons le droit et le vote du peuple être les seuls maîtres du jeu. Je pense à Senghor qui, dans un climat apaisé, pensait néanmoins au suicide chaque matin quand il se réveille. Quand un homme d’État lisse comme Sédar courtise un tel extrême en temps de paix, l’on mesure à quel point la charge de Chef d’État est inhumaine, glaciale, terrible même.
Que faut-il souhaiter aujourd’hui au Président au lendemain d’un tel tremblement de terre où ni sa majorité à l’Assemblée nationale ni le peuple sénégalais n’ont desserré les mâchoires ? Préparer son départ pendant qu’il est encore fort, sans se croire obligé de le faire, car on ne réalise de grandes choses souvent que contre sa majorité. Espérer vivre longtemps après, en dehors du cercle de feu, et vivre avec une conscience du devoir accompli devant un peuple qui vous témoignera longtemps sa gratitude.
Si nous analysons courageusement l’histoire politique de notre pays, quitter le pouvoir n’a jamais été aisé. Mince soit-elle, chacun a laissé une tache : Senghor a volontairement démissionné, ce qui l’honore, mais démocratiquement il a failli en choisissant d’installer son successeur sans la sanction du peuple par des élections libres. Abdou Diouf est allé jusqu’au bout du pouvoir, sans renoncer à rien. Battu, il est parti en gentleman. Il reste que l’essentiel, ce qui grandit Senghor et Diouf, c’est qu’ils ont préservé la paix sociale et laissé un pays serein poursuivre et parfaire son expérience démocratique. Quelle lecture Abdoulaye Wade nous laissera-t-il de son destin de Chef d’État ? S’il peut nous donner plus et mieux que Senghor et Diouf, nous sommes preneurs. Pourquoi alors devrions-nous être forcément pessimistes après le verdict du 23 juin qui n’autorise plus aucune faute et à nous tous qui dormons désormais debout ? C’est autour de nous tous que l’histoire rôde ! Il nous faut reconquérir nos vertus de refus et de grandeur.
Pour l’heure, parlez à votre peuple, Monsieur le Président. Parlez surtout à votre jeunesse. Elle vous a aimé et porté au pouvoir. Nul ne peut le contester. C’est un fait d’histoire. Elle vous accompagnera dans le bon sens, elle vous protégera même. Alors, malgré le mauvais orage, vous sauverez l’essentiel et garderez l’estime d’un grand peuple. Laissez le temps être votre avocat. Il apaise toujours les esprits. Même votre écrivain maudit, Abdou Latif Coulibaly, dit « respecter votre passé d’opposant« . Dans sa bouche, ce n’est pas peu. Le politologue Babacar Justin Ndiaye avoue que vous êtes le mieux élu de tous les Présidents du Sénégal. Ne soyez pas alors à l’entrée le premier de la classe et le dernier à la sortie. Les douze cerveaux que l’on vous prête, vos projets et travaux d’Hercule devraient encore vous tirer vers le haut. Finalement, aucun Président ne peut être grand si son peuple est petit. Pour dire que c’est un grand peuple qui tire toujours vers le haut son guide. Et ce dernier doit alors, à son tour, soulever au-dessus de lui-même son peuple. Cela s’appelle d’un mot : la grandeur. C’est celle-ci qui refuse de « concilier l’immoralité des méthodes et la vertu des objectifs« . C’est toujours celle-ci qui nous pousse à être capables de concevoir des institutions chargées de limiter nos pouvoirs suprêmes et même de les supplanter. Pour ma part, au regard de ce que je crois profondément, le Président doit garder notre respect pour la fonction qu’il occupe et les belles années qu’il porte. Ne nous laissons pas irradier par l’exclusion et le rejet. Cela ne ressemble pas au peuple sénégalais aux vertus qui ne se sont affaissées que chez ceux qui étaient abîmés en eux-mêmes, ceux-là qui étaient déjà profondément fissurés à l’intérieur d’eux-mêmes. Il nous faut garder notre dimension et notre dignité républicaines sans céder un seul pouce à l’injustice. Nous ne souhaitons pas au Président une sortie politique déshonorante, car cela déshonorerait le Sénégal, notre cher pays si chanté. Il nous restera toujours, quel que soit le sort, une part de soleil pour que notre pays et son peuple gardent l’estime des autres peuples du monde. Aucun bon ou mauvais Président ne nous l’enlèvera. La démocratie commence par « la gestion commune des divergences ». Ce que j’ai appris en ce jeudi du 23 juin 2011, c’est que notre peuple est « l’école du respect », une école sans muselière. Personne ne pourra plus dire, opposition comme pouvoir, je ne savais pas. Il s’agit d’une Renaissance morale ! Nous savons maintenant que Machiavel ne servait pas les princes, mais les peuples. A scruter le monde, les peuples sont déçus des hommes politiques « entourés de gloire et de famine ». L’exercice du pouvoir est devenu partout incertain et cruel. L’actualité ne nous a que trop offert des monstres politiques parfaits que les hommes ont cherché en vain chez les bêtes. L’exigence et l’éveil des peuples nous apprennent que cela n’est plus acceptable. Le peuple sénégalais n’est pas extrémiste, ce sont les partis politiques qui savent être extrémistes. Ils deviennent souvent incompatibles avec leur peuple dès qu’ils accèdent au pouvoir.
L’art des peuples supplante désormais l’art des politiques. C’est la parole des peuples qui est devenue l’oracle et non celle des dieux saisis de frayeur. Les voix qui nous parlent dans le Buisson ardent nous mentent. Pour que la pratique politique se renouvelle, il faudra qu’elle s’ouvre à la parole poétique, ce qui veut dire qu’elle doit emprunter le chemin de Dieu, celui de la Lumière, de la Vertu, de la Vérité et de la Beauté et non celui du laid et de la luxure.
Peut-être serait-il maintenant temps, au-delà des candidatures déclarées qui s’accumulent et dont certaines font forcément sourire, d’en venir aux déclarations de programmes. Que va-t-on apporter au peuple sénégalais non pour vivre heureux, mais pour vivre dignement ? Les interminables débats médiatiques à haut débit de discours et de paroles d’experts, devraient s’en faire enfin l’écho. Les programmes culturels sont également vivement attendus de nos valeureux candidats.
La pauvreté et le désespoir n’attendront plus les prophètes.
Bien sûr que nous ne voulons pas comme candidats que des comptables. Ils n’ont jamais embelli le monde. Le Sénégal est une promesse durable de l’esprit et du cœur. Quant à ceux qui en appellent à l’armée pour une prise du pouvoir, nous leur souhaitons d’être à jamais muets. Notre pays doit garder son cap, son leadership sous-régional et l’armée son admirable et inflexible tenue. Senghor disait qu’une armée d’officiers et de sous-officiers forts en latin et grec, praticiens de toutes les matières scientifiques, brillamment installées dans toutes les disciplines de l’esprit, formés dans les plus prestigieuses écoles militaires du monde, ne commet pas de coups d’État. Puisse Sédar avoir encore longtemps raison, notre armée rester haute et républicaine pour toujours, notre pays sauvé de l’abominable liste des putschs militaires.
C’est tous ensemble et non divisés par camps ennemis, que nous construirons notre pays. Quoiqu’il advienne, je crois au pouvoir de l’espoir, de la foi et de la raison, car les voies des hommes politiques ne sont pas impénétrables et le Sénégal continuera d’exister après eux. Oeuvrons pour la grandeur afin que l’avenir nous offre une place réservée et numérotée. On n’habite pas la violence si l’esprit vous habite. Le pouvoir et l’argent ne sont pas des demeures durables. La postérité, c’est le triomphe de l’honneur.
Si quelqu’un vous a mordu, que cela ne vous rappelle pas forcément que vous avez des dents. C’est ainsi que le Sénégal sera plus grand que son nom et le front de son peuple digne de toucher les étoiles.

Amadou Lamine Sall est poète, lauréat des Grands Prix de l’Académie française///Article N° : 10303

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