Abdoulahad Wone : « La passion de la réalisation, la production par nécessité »

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Abdoulahad Wone en dates : 
1976 : Naissance à Diourbel   (Sénégal)
2008 : Formation de monteur à l’Institut National de l’Audiovisuel (France)
2010 : Fonde sa société de production à Dakar, Buzz Studios
2009 : Réalisation-production du premier long métrage, Justice divine
2013 : Réalisation-production de la série télévisuelle Tundu Wundu Saison 1

Principaux films produits
Long métrage : Justice divine (2009)
Séries télévisuelles : Tundu Wundu saison 1 (2013)
Tundu Wundu saison 2 (2017) – Prix de la meilleure série télé Fespaco 2017
Clip : Youssou Ndour, Yoro Ndiaye, Viviane Chedid….
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Abdoulahad Wone a reçu une formation initiale de monteur à l’INA (France). Son envie de faire de la fiction est née en travaillant avec certains grands réalisateurs comme Moussa Toure, feu Adama Ndaiye, et Cheikh Tidiane Ndiaye au Sénégal. Il a monté son premier projet en 2009, Justice divine. L’économie qui lui semblait la plus prometteuse étant les séries télévisées, il a commencé par en réaliser et devenir son propre producteur, davantage par nécessité que par choix. Délaissant rapidement le cinéma pour se consacrer aux clips musicaux de grands noms sénégalais, aux spots publicitaires et  aux séries télévisuelles, sa deuxième saison de Tundu Wundu rencontre le succès tant public que critique et remporte le prix de la meilleure série au Fespaco 2017.

Très souvent en Afrique sub-saharienne devenir soi-même son propre producteur s’impose par la nécessité de trouver de l’argent.
Oui, au début c’est vraiment la réalisation qui m’intéressait, et c’est parce que je n’ai pas pu trouver un producteur que j’ai endossé ce rôle pour tous mes films. Après mon premier long métrage en 2009, j’ai auto produit, en 2013,  la première saison de la série Tundu Wundu, qui a été achetée par A+. A partir de là j’ai pu collaborer avec A+ et Canal+ pour faire la deuxième saison.Ce qui nous a amené au Fespaco 2017 où elle a obtenu le prix de la meilleure  série.

Comment cela s’est passé avec la chaîne A+ ?
Mon premier contact avec A+ concernait juste la diffusion de la première saison. J’avais eu, déjà, une diffusion locale au Sénégal. Comme ils étaient à la recherche de contenus africains, j’ai cédé les droits de diffusion pour d’autres pays de la zone d’Afrique francophone. Ils ont doublé le film, qui était originellement en wolof, ce qui a permis de diffuser largement cette première saison. Pour la deuxième expérience, on a eu plus d’ambition que le marché local, et nous avons choisi la coproduction.

Pourquoi ne pas avoir coproduit avec une chaîne nationale sénégalaise ?
Il est excessivement difficile de produire et de négocier, et l’idéal pour nous, réalisateurs ou producteurs africains, c’est que localement nos chaines puissent participer en amont au financement de nos productions. Mais on se rend compte que nos chaines nationales, pour le moment, n’ont pas les moyens, ou bien n’ont pas la vision pour investir sur des partenariats pour faire des films. Donc le plus souvent quand on produit avec nos télévisions, elles nous proposent un mécanisme de revenu sharing, c’est à dire qu’on amène le produit, on se débrouille avant pour faire le tournage, pour payer les acteurs, pour acheter les droits d’adaptation ou le scénario, et au moment de la diffusion, le plus souvent, nous  faisons nous-mêmes les démarches pour trouver les sponsors. Et ce n’est qu’à la diffusion qu’on partage ; c’est donc un mécanisme qui n’est pas du tout confortable pour la création parce que nous passons la majeure partie de notre temps à courir derrière les sponsors ou les partenaires, au lieu de produire ou de créer. Donc le partenariat avec d’autres chaines internationales, qui sont très professionnelles, nous apporte un peu plus de flexibilité, un peu plus de confort pour pouvoir créer, même si pour l’instant nous sommes à des niveaux de financement qui ne sont pas très élevés. Ce sont des partenaires importants qui permettent au moins d’assurer une partie du coût de production.

Pouvez-vous donner une idée de budget et la ventilation des sources de financement que vous avez obtenues sur l’une de vos productions ?
Sur nos budgets, compte tenu des réalités, nous étions sur un budget prévisionnel de  5 à 6 millions de Francs CFA, environ 8000€. Ce qui nous freine dans notre créativité parce qu’on est obligé de calibrer notre scénario par rapport à ce qu’on espère obtenir. Il ne s’agit pas de délirer sur l’écriture puis de se rendre compte que finalement nous ne pourrons pas le réaliser. On s’adapte en fonction des ressources possibles. Localement, au Sénégal, depuis 2015, l’apport du gouvernement permet d’avoir une partie du financement. Nous espérons que cela va se développer. On parvient petit à petit à avoir 60%, 70% de nos budgets en préfinancement, et je crois que cela va se développer avec d’autres supports –  la VOD peut-être, et les diffuseurs. Il y a quatre ou cinq ans il y avait peut-être un ou deux guichets seulement, mais désormais certains diffuseurs incitent à leur proposer des projets, donc ça avance. Et puis au lieu d’attendre d’avoir réuni toutes les conditions pour faire quelque chose, ce qui est disponible peut nous permettre de commencer à produire. Ce qui ne signifie pas qu’on commence à gagner de l’argent… La production demeure artisanale, disons même familiale, parce que si tu manques d’un accessoire, c’est ton frère qui te prête la maison ; si tu as besoin d’une voiture c’est un ami ; si tu as besoin d’un décor de bureau c’est un autre ami, et ainsi on parvient à combler le budget.

L’une des qualités et nécessités d’un producteur est d’avoir des relations, aussi bien pour ne pas dépenser d’argent que pour en trouver, et par contre le métier de réalisateur est davantage un métier personnel de création, de réflexion. Ne sont-ce pas deux métiers, qui nécessitent des qualités très différentes?
Assurément. Un ami me proposait de réaliser un film pour lui, et j’ai accepté, pour me libérer de la pression de la production. Donc c’est vrai que les deux métiers ne vont pas ensemble parce que ce ne sont pas les mêmes exigences : le producteur cherche à économiser, à rentabiliser le temps, alors que le réalisateur, l’artiste, cherche à faire son travail et s’occupe moins des moyens. On est tributaire de cette situation ; il existe peu de producteurs, parce que le système n’est pas assez professionnalisé. Donc si j’ai un projet, je suis encore obligé d’aller chercher les financements et être le producteur de mon film. Mais j’espère que ça va évoluer et qu’on pourra se libérer de cette tâche pour pouvoir seulement réaliser. Ma passion c’est la réalisation, pour raconter des histoires. Je ne suis devenu producteur que par nécessité.
Dès qu’il y aura des débouchés réels pour les productions, il deviendra rentable de produire cinq ou films à l’année plutôt qu’un seul, donc les producteurs vont se professionnaliser et travailler avec plusieurs réalisateurs. Aujourd’hui on s’entraide entre producteurs sénégalais, on discute. Nous avons même créé il y a deux ans une association des producteurs de télévision, puisqu’il était prévu un changement avec l’arrivée de la TNT. On se connait et on se rend des services, par exemple pour amener les blu-ray des collègues dans les festivals. Nous avons essayé de défendre nos intérêts de producteurs, surtout vis à vis des diffuseurs qui ne paient pas encore suffisamment les oeuvres. Mais notre association n’a pas encore beaucoup de poids parce que c’est un peu compliqué ; chacun essaye de s’en sortir dans son coin, et on n’est pas très organisé pour peser un peu plus.

Quelle est votre relation avec les pouvoirs publics, avec l’Etat, soit en terme de réglementation, ou en terme de financement ? Plus largement, comment voyez-vous le rôle de l’état sénégalais ?
L’Etat sénégalais fait des efforts par rapport au financement et parvient à aider un peu la production avec le FOPICA  (Fonds de Promotion de l’Industrie Cinématographique et Audiovisuelle).  Il reste des questions à améliorer, comme sur la fiscalité puisqu’on a une économie et un fonctionnement un peu différents d’une entreprise normale. Pourtant nous sommes traité de la même manière que toutes les autres entreprises. On peut rester deux ans, trois ans sur un même projet, donc il y a peut-être une adaptation des lois à mettre en place pour soutenir l’industrie culturelle en général.
Au niveau administratif, il faut faire des déclarations chaque mois alors que nos projets peuvent prendre un temps long. Certains créent des entreprises uniquement pour le film, qu’ils clôturent à son achèvement, puis passent à autre chose, et ainsi de suite.
Moi juridiquement, je fonctionne avec une SARL individuelle, une SUARL donc, je suis le seul actionnaire. Puisque je suis obligé de faire autre chose pour m’en sortir, parce que je ne fais pas que de la fiction, mais de la publicité en parallèle et des trucs au quotidien, je suis obligé de travailler avec un comptable, qui fait le détail financier et les déclarations chaque mois pour être en règle. J’ai un contrat de prestations avec lui, il a son propre cabinet, et j’ai une assistante qui rassemble tous les papiers, les justificatifs de paiements puis les lui remet, et il se charge de faire les déclarations ; on n’a pas la possibilité d’employer quelqu’un en interne.

Est-ce que les banques aident sur les projets de fiction qui demandent de la trésorerie ?
Pour l’instant elles n’aident pas du tout ! Mais je pense qu’il faut faire un peu de pédagogie, peut-être au sein des associations ou bien de la direction de la cinématographie. Essayer de sensibiliser les banques pour qu’elles comprennent notre mécanisme de financement. Par exemple, sur un film j’avais eu une lettre de mon partenaire diffuseur qui avait acheté certains droits. Il ne m’avait pas tout versé et donc m’avait donné une lettre d’engagement irrévocable que j’ai présentée à ma banque, mais ils ont eu des problèmes pour comprendre ce mécanisme dans l’industrie du film. Ca veut dire qu’ils ne peuvent pas t’accompagner, ne peuvent pas prendre de risque même si au quotidien ils peuvent être de bons amis.

Allez-vous orientez vos projets vers la télévision ou le cinéma ?
Je suis très pragmatique et pour l’instant je vais me concentrer sur la télévision. Les films ont beaucoup plus de prestige, beaucoup plus de finesse, il y a beaucoup plus de satisfaction artistique, mais puisque les films ne sont pas projetés il n’y a pas d’économie, pas de filière, donc on dépend à 100% des subventions. Quand je vois certains grands noms du cinéma passer des années et des années à trouver des financements, je me dis que ce qui est concret, l’économie qui commence à naitre, se trouvent auprès des télévisions. On n’a qu’à s’adapter à cette économie, essayer de développer cette activité, et on verra s’il y aura un jour une économie pour faire des films.

Est-ce qu’avec l’essor des télévisions A+, Canal+, vous sentez l’augmentation de la demande des populations pour voir des séries africaines qui correspondent à leurs pays ?
Oui on s’est rendu compte que le public préfère regarder les produits locaux à 100%, et peut-être que la production n’est pas encore suffisante pour occuper tout le terrain. Mais dans notre cas spécifique à Dakar, un film local a plus d’impact, suscite plus l’intérêt qu’un blockbuster américain. Donc je pense que ça va se développer, même pour la diffusion télévision parce que la SVOD et la VOD ont déjà commencé dans la zone anglophone, et ça va aussi venir dans la zone francophone ; les gens voudront consommer directement les produits.

Et vous-même, comment consommez-vous les images ?
Le plus souvent je n’arrête pas de travailler. Aussi quand je regarde le film c’est avec un regard professionnel. Je regarde davantage ce qui se fait ailleurs que ce qui se fait localement ; je regarde pour apprendre. Il m’arrive aussi que je me mette devant la télé pour la regarder, le plus souvent les programmes sénégalais ou autres, avant de travailler sur YouTube ou sur des sites Internet ; je regarde plus rarement la programmation linéaire à la télé qu’internet.

 
Et au Sénégal dans votre entourage ?
Les gens aiment les séries mais c’est partagé entre la télé et Internet. Les jeunes, les gens un peu plus connectés, ne sont plus devant la télé. Les ménagères, les femmes qui sont à la maison la regardent davantage, et les chaines n’ont pour le moment pas assez tenu compte de leur demande. Je vais caricaturer un peu, mais les chaines nationales à part la RTI, sont là pour gérer la situation politique avec le gouvernement, le président. Les télévisions privées sont là pour avoir un pouvoir, pouvoir influencer les choses, c’est ce qui les intéresse. Pouvoir politique, économique et d’influence, parce que la plupart du temps ce sont des hommes d’affaires prospères qui ouvrent des chaines de télévision, donc leur objectif n’est pas d’être une télévision, de proposer des images à la population, mais de compter dans le pays, d’être puissants. La moitié du temps ils diffusent des débats politiques : c’est un souhait de pouvoir, ou de contre pouvoir, c’est ce qui les intéresse le plus.

Mais ils passent beaucoup de feuilletons étrangers, sud américains, d’Amérique latine, des telenovelas ?
Même ça ils ne les achètent pas ! La plupart du temps ça vient avec un spot publicitaire dedans, donc ils ne font aucun effort pour développer la production ou acheter des contenus. Ce sont des lots dont ils héritent, ou c’est un film déjà amorti qui a fait le tour du monde qu’ils achètent 100 000F l’épisode, donc c’est très compétitif par rapport à une production en exclusivité qui vient de sortir, et qu’il faut acheter un peu plus cher.

D’où le succès depuis quelques années de Canal+ Afrique ?
Oui ils ont compris qu’il y avait un public. Ils ont compris les besoins du public, donc ils sont en train de travailler pour le satisfaire, c’est ça que devraient faire toutes les chaines privées. Mais pour nos hommes d’affaires, c’est un domaine qui ne les intéresse pas trop, donc si le groupe Canal a le pouvoir d’investir, s’il pense qu’il y a un marché, il peut le faire, tout français qu’il soit. D’autres privés africains nationaux n’ont pas fait pareil, alors on ne va pas reprocher à tel ou tel de se mettre dans le marché. Nos hommes d’affaires, au lieu de construire des immeubles devraient mettre de l’argent dans les films ! Je pense qu’à l’avenir ça va venir, mais pour l’instant ils ne comprennent pas que c’est une industrie qui peut rapporter beaucoup ; pour l’instant ils voient cela comme des trucs d’artistes, mais je pense c’est une économie à part entière qui a de l’avenir en Afrique.

Comment voyez- vous cet avenir?
Il y a beaucoup plus d’ouverture qu’il y a deux ou trois ans où on courait pour essayer de trouver un diffuseur. Maintenant ça avance, et des gens nous sollicitent même. L’émulation commence et c’est en bonne voie car on voit chaque producteur, chaque réalisateur en train de faire des efforts au niveau de la qualité, parce qu’une concurrence s’installe. Si un collègue fait un film aujourd’hui et que vous êtes diffusé sur la même chaine, une comparaison s’installe, qui incite à faire mieux ; l’émulation va créer la qualité et une industrie je pense.
Mais il va falloir développer un aspect très important, la formation, parce qu’on constate que, pour moi y compris, elle manque. On peut certes comptabiliser l’expérience comme un acquis, on apprend certes en exerçant, mais je trouve un peu dommage le manque de formation. Donc s’il y avait la possibilité de pouvoir faire des écoles, des formations structurées, je pense que ça aiderait à atteindre un certain niveau et qu’on se rende compte qu’il y a extrêmement de lacunes. En même temps il faut pouvoir développer les productions mais même à Dakar, si il y a deux ou trois productions en même temps, on va manquer de techniciens : il n’y a pas assez de gens pour faire cinq films en même temps.
Propos recueillis par Mariam Aït Belhouciné, Claude Forest et Juliette Akouvi Founou ; entretien réalisés par Claude Forest à Ouagadougou en février 2017.

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