Le nouveau spectacle de la compagnie BlonBa, Plus fort que mon père, joué au théâtre Antoine Vitez d’Ivry-sur-Seine jusqu’au 17 février 2013, décrit les liens ambigus entre un père et son fils, tous deux musiciens.
Sur scène, un balafon (instrument traditionnel du Mali), une vieille porte de voiture, accrochée à un tas de ferraille et une grande palissade, symbole de la division entre les générations au Mali. Michel Sangaré tient le rôle de Soumaoro, chanteur traditionnel qui s’oppose à son fils Sidy, alias le rappeur Ramsès Damarifa. Leur confrontation se traduit à travers leurs styles musicaux différents. Différents, mais exaltant pourtant la même verve engagée.
Après vingt-trois ans de dictature, le peuple malien prend enfin la parole dans les années 1980 grâce notamment au Koteba, une forme de théâtre traditionnel qui se déplace de village en village pour dénoncer la corruption et les dérives politiques. Une méthode efficace, qui a participé à la chute de ce régime. Désormais, c’est la nouvelle génération qui prend la relève pour revendiquer ses droits et dénoncer les souffrances de la société malienne. Plus fort que mon père rend hommage aux anciens grands acteurs maliens tout en leur reprochant de ne pas s’intéresser d’avantage aux artistes actuels : les rappeurs militants. « Chaque chanson est un message. La première chanson qui chante le drapeau malien vert jaune rouge revendique le patriotisme malien. Puis une deuxième chanson critique la corruption et ce qui ne va pas au Mali », commente Jean-Louis Sagot-Duvauroux, l’auteur de la pièce.
L’entrée en scène fracassante de Ramsès avec un morceau de rap en bambara (langue malienne) interrompt le conte de son père. Après avoir enflammé le public avec son flow, le fils défie le père. Il ne veut plus continuer à commémorer seulement les anciens, il préfère se battre pour vivre dans son temps, avec sa musique, et la modernité de sa génération. Soumaoro, frustré par son intervention, lui fait comprendre que sa musique n’a rien de populaire. Le jeune rappeur ne se laisse pas intimidé, défend son style coûte que coûte. Le père se dirige alors à petits pas vers son balafon et se met à jouer. Le spectacle continue avec une troisième chanson intitulée le Wali. Elle apostrophe la jeunesse : « jeune homme, lève-toi et mets-toi au travail. Ce n’est pas la magie ni la corruption qui vont te permettre d’être toi-même. C’est le travail ». C’est ainsi que les deux générations vont s’affronter tout au long du spectacle. Et c’est au fil de ce dialogue que les deux artistes vont réussir à s’accorder. Ils finiront par unir les instruments du rap et ceux de la musique traditionnelle, comme le balafon, pour chanter ensemble.
Ce rôle, Ramsès le déploie dans ses propres textes pour sensibiliser la jeunesse et convaincre d’avantage les anciens. Ramsès est avant tout une star du rap malienne. Il est l’auteur de chansons engagées et militantes, très populaires actuellement au Mali. « C’est le rôle des artistes de faire communiquer plusieurs générations », affirme Jean-Louis Sagot-Duvauroux.
Pour Jean-Louis Sagot-Duvauroux, cofondateur de la compagnie BlonBa, et auteur de la pièce Plus fort que mon père, « l’idée de départ était de rassembler dans Les Chants du Mali des portraits d’artistes (théâtre, danse et musique) qui illustrent un destin : celui d’un artiste qui veut faire bouger les choses ». Le premier portrait de cette série, Lassine Coulibaly, connu sous le pseudonyme de Lassi King Massacy, est l’un des fondateurs du mouvement hip-hop au Mali, : un portrait autobiographique intitulé L’Homme aux six noms. Ce second portrait est celui de Ramsès, lui-même fils d’un chanteur traditionnel, qui s’exprime à travers le rap. Plusieurs autres artistes, nous dévoile l’auteur, sont en vue pour la suite de cette série, à travers leurs parcours, leurs histoires et leurs talents, des artistes comme les comédiennes et chanteuses Diarrah Sanogo (Bougouniéré) ou Fatoumata Diawarra. Le danseur Souleymane Sanogo inspirera peut-être le troisième portrait de ces Chants du Mali.
Après dix-sept ans sur la scène du rap un peu partout dans le monde, Ramsès Damarifa se retrouve sur la scène théâtrale. « Le théâtre c’est comme le rap, c’est comme la musique. Cela sert à véhiculer des messages et je pense que cela va de pair », nous dit-il. Une autre passion qui l’enchante. « Si j’ai la possibilité de continuer, ce sera avec un grand plaisir ».
Au-delà du portrait du rappeur Ramsès, Plus fort que mon père démontre la difficulté de deux générations qui échouent parfois à s’accorder. Une génération ancienne encore ancrée dans la fondation de l’Empire du Mali du XIIIe siècle et la nouvelle génération qui ne cesse de respirer la nouveauté et qui a grandi avec internet. Malgré tout, et c’est la force de cette pièce, le dialogue s’installe. À découvrir !
Texte Jean-Louis Sagot-Duvauroux
Mise en scène François Ha Van/Fleur Albert
Avec Sidy Soumaoro dit « Ramsès Damarifa », Michel Sangaré et
Issiaka Kanté dit « DJ Papy »
Idrissa Soumaoro, Ramsès, Issiaka Kanté : musique et chansons///Article N° : 11326