Derrière son titre en forme de provocation, cet essai recèle un passionnant voyage critique au pays des représentations. Noir, Blanc, Antillais, Maghrébin, musulman, juif ? Que cachent ces mots si évidents qui structurent nos pensées ? Comment fonctionnent ces catégories héritées de l’Histoire et trop peu souvent remises en question ? C’est à cette entreprise de salut public que s’attache dans cet essai Jean-Louis Sagot-Duvauroux.
En analysant les problèmes de construction d’image de soi des jeunes Noirs de France, il décrypte avec un franc-parler et une pertinence remarquables les multiples pièges auxquels ces derniers se trouvent confrontés. Tant vis-à-vis de la société française que de leurs parents et des pays dont ils sont originaires.
Le propos n’est jamais abstrait. Dès le départ, l’auteur campe le personnage » mi-réel mi-imaginé » de Mamadou : né en Seine Saint-Denis, de parents maliens. A travers son itinéraire (en famille, à l’école puis au bled
), sont dépeintes et analysées des situations typiques de fausses représentations. Mais l’essentiel de la matière à réflexion de cet ouvrage est d’ordre biographique. Qu’il s’agisse du propre parcours de l’écrivain que l’on découvre entre la France et le Mali ou de ceux des jeunes avec lesquels il a travaillé à Fresnes notamment -, l’intérêt de ces témoignages est considérable. A rebours des clichés et du politiquement correct, ils libèrent une parole vraie, décapante, dérangeante parfois.
Dramaturge mais aussi philosophe, Sagot-Duvauroux ne vise pas à la culpabilisation mais à l’ouverture d’un vrai débat : comment débarrasser la société française » des remugles de son histoire coloniale » et de ses modes de pensée ? Comment faire en sorte qu’elle s’accepte telle qu’elle est devenue : multiraciale et multiculturelle ? Dans cette visée comme dans son parti pris de » mettre les pieds dans le plat « , ce livre fait écho à celui du Français d’origine camerounaise Gaston Kellman, Je suis noir mais je n’aime pas le manioc*. Deux textes chocs, parus à quelques mois d’intervalle, qui ont beaucoup contribué à ce que ce débat sorte enfin des ghettos communautaires et trouve écho dans l’ensemble de la société française. Deux essais libératoires, qui savent allier provocation et pertinence.
* Je suis Noir mais je n’aime pas le manioc, Gaston Kellman, Editions Max Milo 2004.On ne naît pas Noir, on le devient, éditions Albin Michel, 232 p. 2004.///Article N° : 3763