Poésie

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Ernest Alima, Paroles d’or, Editions Sopecam, 2004, 28 pages
Après avoir publié son premier recueil Si tu veux vivre longtemps aux éditions Saint Paul en 1979, Ernest Alima a dû attendre 25 ans avant de refaire surface. Cette fois non plus avec un code de bonne conduite, mais un opus pour les tout-petits. Paroles d’or que les éditions Sopecam (re)naissantes, viennent de publier est un long poème destiné aux bambins. Non pas pour les amuser ou les émerveiller comme c’est l’habitude dans tout ce qu’on destine aux enfants, mais pour les mettre en garde contre la routine contemporaine des petits à ne rien prendre au sérieux. Le poète de Nlongkak à Yaoundé ne lésine pas sur les mots lorsqu’il s’adresse à ses enfants. Ceux-ci doivent sortir de l’illusion que leurs parents seront toujours à leur service. Ils doivent très vite saisir le taureau de la vie par les cornes en donnant préséance à l’école, seul vrai salut qui leur reste. Les parents ont leur destin, les enfants le leur dont la réussite est fonction de leur total engagement scolaire :
« Je vous dis enfin
Pour le mot de fin
Qu’un enfant,
Mes enfants,
Ne doit pas négliger son éducation scolaire
Parce qu’il espère
Recueillir le fruit de la sueur
De ses géniteurs »
Le long poème est illustré par Retin. Les dessins où domine le bleu sont de véritables doublures des morceaux d’un texte dont la vertu pédagogique est marquée par des blocs de questions qui permettent aux jeunes lecteurs de découvrir progressivement la poésie, l’auteur et les mouvements de sa pensée, de ses sentiments et de ses états d’âme.
Si le vocabulaire est petit bourgeois (faire risette à tantine ou à tonton, mettre au dodo, etc.), on relève que les images d’Alima qui compare l’école à une « boulangerie » sont très urbaines, très modernes et donc très éloignées du symbolisme puéril africain qu’on rencontre dans les poèmes d’une collection comme Takam Tikou.
Né en 1936 à Nlongkak à Yaoundé, la biographie d’Alima en fait un authentique citadin et un profond pédagogue. On comprend cette résurgence de l’enseignant du membre fondateur de l’APEC qui coule aujourd’hui une paisible retraite à Nlongkak et qui se souvient qu’il a enseigné à Yaoundé et à Buéa même s’il a dû quitter la craie pour les finances et finalement la diplomatie.
Poème initiatique, Paroles d’Or, n’est pas un lyrisme solitaire et infécond. C’est une porte qui se propose d’ouvrir à l’enfance le royaume d’une modernité parfaitement scolarisée.
Jean-Claude Awono
Fernando d’Alméida, Mesure de l’amour, Centre culturel Blaise Cendrars de Douala/Cameroun, 2004, 134 pages.
Un livre fait grand bruit sur les berges du wouri : Mesure de l’amour. Un livre publié par le centre culturel Blaise Cendrars. Il s’agit en fait d’un long poème qui se déploie sur cent vingt huit pages à travers lesquelles l’auteur exalte le corps de la femme à travers une figuration où figure l’abstrait dans l’hystérie de l’instant. Dans ce livre, la mythologie du corps reconstruit la grammaire du désir dans un sens qui n’est intelligible que si l’on se souvient que l’homme qui parle ne poète ici s’appelle Fernando d’Almeida et qu’il enseigne les littératures française, belge et québécoise à la faculté des lettres et sciences humaines de l’université de Douala.
Noué sur le féminin pris et compris non seulement comme un bien de consommation charnelle, mais bien davantage, comme l’adjuvant indispensable qui donne un sens à la vie, ce long poème revisite le corps de la femme dans ce qu’il a de plus de plus intime, de plus spécifique et de plus conforme à la notion de femme, tout en respectant la singularité de celle qui et mise en perspective dans son livre et qui pourrait s’appeler du doux nom de la dédicataire : Blanche. Il n’y a pas une seule partie du corps de la femme qui ne soit convoquée dans cette mesure de l’amour où la géographie du désir s’écrit dans la crudité et où la nomination des choses s’effectue avec un réalisme inhabituel. Et c’est à ce titre que ce livre est intéressant. Car, lorsqu’on est accoutumé à l’écriture de ce poète d’habitude si aérienne, si spirituelle et si immaculée comme dans au seuil de l’exil, cette centration extrême sur la partie inférieure du corps de la femme, répétée de manière incantatoire, stupéfaire. Toutefois, s’abasourdir une telle surabondance du sexe reviendrait proprement à oublier qu’entre Au seuil de l’exil et Mesure de l’amour se sont écoulées vingt huit années pendant lesquelles en bon anarchiste trotskiste, le poète a épuisé toutes ses batailles essentielles. Le vent de révolution permanente qui l’a traversé au cours de ces années-là semble même s’être mué aujourd’hui en un matérialiste d’autant plus hédoniste qu’il est surchargé de toute la spiritualité néolibérale de ce siècle. Entre temps, il produit la matière de plus de vingt recueils de poèmes qui constituent dans son itinéraire spirituel comme autant de saisons dont les principaux soubresauts semblent culminer dans traduit du je pluriel, en attendant le verdict, travaux du merveilleux, la gloire des dieux et la parabole du lieu. Mesure de l’amour marque par conséquent chez ce poète un tournant sur lequel il convient de s’arrêter, tant aussi il donne à penser qu’enfin le poète s’est résolu à ne plus être qu’un homme ; c’est-à-dire, d’assumer pleinement sa virilité dans ce qu’elle a de plus masculin et de plus humain.  » Donc nulle rhétorique bien pensante, nulle éthique du convenu mais toujours cet affleurement dans l’archaïque restauré quand le mot et le corps consentent à ritualiser l’ovaire, l’utérus et le clitoris ici mandés, ici devenus une juste centration verbale. » Il s’agit en clair pour lui de s’insurger contre l’appris, l’habituel et la norme morale officielle. Et c’est en cela que ce livre est subversif. Car, il traite du sexe avec une liberté qui dérange, parce qu’elle prend sa source dans l’habituellement tabou. Mais le sexe, comme dit Octavio Paz, n’est-il pas d’abord subversif parce que qu’il est égalitaire ? Les hommes ne sont-ils pas tous égaux devant le sexe comme ils le sont devant la mort ? Fernando d’Almeida a choisi dans son livre de cerner l’Homme par ce qui concerne tous les hommes, en construisant une esthétique clitoridienne qui fait complètement abstraction de ce qu’il est convenu d’appeler bonnes mœurs, en exaltant l’univers vulvaire  » dans l’enchantement de la nuit qui résulte de l’utérus. »
Il y’a aussi l’amour ; cette mystique du désir qui s’écrit avec les mots glanés aux plaines fertiles des neurones. Le poète ne cache à aucun moment dans son livre qu’il « écrit sous la dictée de l’amour comme pour se maintenir à tête crête, dans l’exigence du désir. » Il s’agit donc, par-delà la géographie du corps féminin, de dépeindre la saison qui traverse son cœur, avec ses désenchantements, ses ouragans et ses platitudes. Saisi sous cet angle, le corps de la femme ne constitue ne constitue que le prétexte à un discours amoureux qui s »‘articule sur particulier pour dire le général. Car en fin d’analyse, c’est d’un hymne à l’amour qu’il s’agit dans ce livre, un hymne à la beauté féminine également.
En effet, bien que se situant à « l’âge phallique des désillusions », le poète semble apprendre « sur le tard que la vie de l’Homme se prend par le corps de la femme » et que seule la femme peut guérir l’homme d’une femme. La caresse amoureuse a par conséquent cette vertu vulnéraire et hautement balsamique qui permet de se relever des fêlures des la vie pour se refaire un espoir à défaut d’espérance :
« Issue d’un paysage absolu
Tu nais de l’émoi des vertèbres
Aux cryptes d’anciennes fêlures
Quand à la pointe du désir
L’amour fait rutiler le néant »
Le dernier mot de cette strophe fait penser inexorablement à l’un des ouvrages de Fernando d’Almeida: la spiritualité du néant où en quarante trois stèles, le poète s’attriste de la disparition de sa mère. Que ce vocable revienne à l’encontre de celle qui est mise en perspective ici après le décès de sa femme peut s’appréhender comme la juste persistance d’une douleur pas encore très ancienne. C’est peut-être la raison pour laquelle le poète songe à la mort toutes les fois que l’objet de son amour s’éloigne le matin, après une nuit torride. Chaque départ lui rappelle peut-être la tragédie récente du départ définitif de celle par qui il est devenu veuf. Ne dit-on pas souvent que partir c’est mourir un peu ? le poète perçoit chaque absence de la femme aimée comme une calamité catastrophique. Et sourd alors de ses tripes cette angoissante interrogation :
« (…)
O jours rodant autour de l’être
Quelle heure est-il dans la mort ?
Tes gestes s’offrent aux contours
Des sources quand le matin
Frôle ton nez en route vers
L’interrogation des destinées
Que réactivent tes jambes graciles. »
Ce livre est une vaste allégorie de la femme qui est scandée de manière langoureuse, « dans l’étrange dureté des choses. » Cette mise en abyme s’effectue dans la technique du leitmotiv qui accumule les isotopies érotiques dans un schéma actanciel où sont mis en scène un « tu » réellement affirmé et un « je » qui n’apparaît généralement que sous sa forme pluralisée : « nous ». Il faut dire que dans la haute demeure du langage, le poète conduit le lecteur potentiel  » avec ses testicules en verves ». Cela lui permet de retrouver cette enfance qui persiste en lui en dépit des années accumulées.  » Ton corps annonce la résurrection de l’enfance », dit-il, comme pour affirmer son dandysme dans la litote d’un désir qui ne s’assouvit qu’à deux. Le « nous » fonctionne donc ici comme la forme pudique du « je ».
Le plus séduisant dans ce livre est sa construction ; c’est-à-dire, la distribution du texte dans l’espace de la page vierge. Chaque page en effet comporte rigoureusement trois quintets. Les deux premiers mettent en perspective la femme aimée tandis que le dernier, souvent élaboré sous la forme charismatique aphoristique reprend les idées-forces des deux premiers, augmentées d’un argument nouveau qui constitue le vers de chute. Mais ce vers n’est toujours pas nouveau. Le poète, comme dans un pantoum, réitère souvent un vers particulièrement fort extrait des deux premiers quintets.
La phraséologie de ce livre, cela a été largement développé, est « surchargée (de) la graphie du vagin ». Toutefois, au vocabulaire érotique, il convient d’ajouter la flore aquatique qui participe du même système d’énonciation et de figuration. Ici, le vocable le plus récurrent c’est « manglier ». Celui-ci apparaît sous la plume de Fernando d’Almeida pour la première fois dans la parabole du lieu. Mais il y’a aussi l’univers aquatique. Le fleuve wouri, l’océan atlantique, l’étang et la mer du nord qui représentent dans le système figuratif du poète de l’estuaire la matière inépuisable comme l’est par essence le sexe de la femme :
« Lorsque ton front fait fondre
La vie qui ramollit tes neurones
Au coin d’une rue
Adjacent à la mer du nord
Ton sexe grelotte de béatitude »
C’est aussi dans le même paradigme qu’il convient de ranger les lieux alpins comme le mont Koupé qui de toute évidence est un mont de venus qui ne veut pas dire son nom.
Le système des vers quant à lui rappelle fortement l’expérience de Louis Aragon dans les yeux d’Elsa :
« Femme aimante et aimée
L’amour qu’enseigne ton sexe
Réclame le sérieux et le trivial
En ton utérus se constitue toute vie
Ordonnée au mystère de l’instant
Lorsque voyage dans ton corps
Abandonné à la volupté
L’Atlantique reconstitue ton visage
À chaque migration des mots
Soumis à l’absolu du quotidien. »
Inutile de s’arrêter ici sur les multiples oxymores, assonances et allitérations qu’il est normal de retrouver dans un texte portant la signature d’un poète de la trempe d’Almeida et qui redisent le corps de celle qui n’est pas nommée. Il convient tout simplement de remarquer toute la charge onirique qui se dégage du système des images où l’intellectuel ne parvient pas se cacher et où les éléments grammaticaux, géographiques et philosophiques sont mis au service d’une écriture savante. La vaste culture du poète, ici, de l’ordre de l’indicible, transparaît d’une page à l’autre avec une évidence qui mérite d’être soulignée. Car, cela est nouveau dans la littérature d’expression française. L’imaginaire poétique de Fernando d’Almeida constitue à cet égard une véritable célébration de la sapience.
« Au sortir du veuvage avéré » qui faisait redouter une andropause anticipée, notre élégant poète s’éveille à nouveau aux merveilles de l’ovaire par un travail de sexuation poétique où l’élémentaire s’active avec une densité qui maintient heureusement la vigilance de l’intellectuel. Il faut dire que l’amour a complètement en lui le désarroi de l’âge, sans que l’on assiste aux funérailles de la raison. Mesure de l’amour est en somme un très beau livre. Un livre qu’il convient absolument de lire.
Anne Cillon Perri
Guy Merlin Nana Tadoum Horizontales, Yaoundé, Editions de la Ronde, 2005,71pages (Poésie)
Si la plupart des publications poétiques sont généralement porteuses de nouveautés, Horizontales, recueil de poème de Guy Merlin Nana Tadoum frais émoulu des Editions de la Ronde, contient un peu plus d’innovations que ce à quoi on est habitué : Horizontales est un recueil bilingue,-ce n’est pas extra, certes- mais les langues ici jumelées par le poète, sans exercice de traduction il est vrai, sont le français et …l’espagnol. Le poète en effet aligne allègrement nez à nez ,au fil des pages, un texte en langue de Molière et un autre en langue de Cervantès, ce qui, sur le plan strictement formel, sort de l’ordinaire, du moins sur la scène littéraire camerounaise. Là ne s’arrête pas la singularité du recueil. On trouvera difficilement -et c’est peu dire- un recueil d’un hybridisme linguistique aussi poussé. Le mot  » horizontales » en effet, tient lieu d’intitulé du recueil à la fois en français et en espagnol et ce, dans une unité sémantique émerveillante.
Poète du réel ou de l’imaginaire ? Nana Tadoum, au détours d’un poème, semble faire corps avec la première étiquette lorsqu’il écrit : « j’ai voulu décrire le réel/ le réel des cimeterres ».Un effort de recension des thèmes du recueil, nous révèle un champ peu courant. En effet, au cœur de la thématique poétique de Nana Tadoum, se situe avec une récurrence remarquable, le poème lui-même mieux, sa forme idéale. Ici la poésie devient à la fois sujet et objet du recueil. L’idéal scripturaire du poète est ainsi mis en exergue: « Au – delà de toute sociopésie /Il nous faudra quand même/ Pour remettre à Noël la mort du poème/Eluder peu ou prou ces indignes buissons/Qui mènent à la poésie dominicale/Abandonner les ruelles honnies/ De l’évidence scripturaire ».Nous avons là une prise de position sans ambages sur le « comment écrire un bon poème ». En prenant des distances par rapport à « l’évidence scripturaire », le poète se préoccupe malgré tout de son environnement tant politique que social. Ainsi va t-il relever les relations parfois ambiguës entre le politique et la Paix en affirmant : « Vengo de un pueblo conocido[ …]que explora y aprecia tu exilo »(Je viens de ce pays connu/ Où la paix sommeille à l’infini/ Et le récent verdict des urnes/Dira à l’avenir la vérité des mensonges/Je viens de ce triangle tranquille /Qui explore et apprécie ton exil) . Il mentionne ensuite pour le déplorer l’impasse de nos villes et la décrépitude léthargique de nos villages, inapte à retrouver le chemin du progrès : « Dans un monde où se meurt sans mourir/ L’envers de l’amertume/Et ces villages délaissés au vieux ventre de l’enclavement/Retrouveront-t-ils un jour/L’idoine parallèle du progrès ». Au fil des pages de ce recueil, on relève d’autres « colères » du poète, notamment au sujet de la religion au Dieu si aphone face aux hécatombes, à l’instar de celle des tours manhattanes : « Et vous vents violents de la terre enséismée/Qui soufflâtes un jour sur les tour manhattanes /Et toi Emmanuel, ombre de lumière/Si présent dans l’absence,/Je ne sais que faire des vers/Au bréviaire des hécatombes/Qui s’inonde le monde aux égouts du suicide … Je voudrais percevoir ta voie dans l’aboiement des voix ». Aussi, le poète déplore le bellicisme, ce autre pan funèbre qui rend tragique l’existence humaine : « Dans ce siècle de sel où les hommes zèbrent /de leurs ailes d’acier l’ozone propre à la vie/ ô siècle salé où l’être lassé de nuire/Ecrit sur le vide l’injuste verdict des guerres/ Que ne ratifie guère aucune voix ».On comprend donc son appel de pied pour un monde nouveau, pétri de dialogue, de paix, « La paix sœur de l’aurore/Que portent les colombes ». Les derniers poèmes du recueil revêtent une tonalité et des couleurs plus gaies, puisque imbibés d’amour: « Tu viendras parler aux songes/ Le langage de l’amour…/ Et je taillerai/ Un poème /Aux dimensions/ De ta splendeur/Puis au ressort chimérique de mon lit/ Je te dédierai un livre /Aux senteurs octobrales » Peut on espérer un point de chute meilleur pour un recueil ?
Le champ purement formel du recueil de Nana Tadoum est un terreau non moins fertile. La taille des poèmes de Horizontales en effet, ne manque pas de retenir l’attention en ce sens qu’elle met en évidence la relation texte-espace. Et de ce coté-là, l’aération des pages est le maître mot. Comment peut-il en être autrement lorsque, comme principe rigide, Nana Tadoum a choisi le chiffre « quatorze » pour nombre de vers ? Les soixante poèmes de Horizontales n’ont que quatorze vers chacun, mais rien à voir avec les sonnets classiques ici, les considérations métriques étant absentes .Ceci nous rappelle cependant le premier recueil de ce poète, Poésie du poème, édité en 2002 aux Editions Agbetsi, constitué essentiellement de sonnets qui – est -il besoin de le rappeler -ont forcement quatorze vers. Serait-il donc exagéré de penser que ce poète a quelques affinités avec le chiffre quatorze ? Par sa rigidité en nombre de vers, Horizontales nous rappelle Mesure de l’amour de Fernando d’Almeida, recueil récemment édité par le CCF Blaise Cendrars de Douala. Même au niveau des titres, ce recueil se démarque quelque peu des réflexes récurrentes, les poèmes ayant, à quelques textes près, des titres longs, très souvent des titres – phrases ou des « non- titres », ceux-là qui doivent obligatoirement faire corps avec le texte pour que  » l’entrée »de ce dernier ait un sens.
L’autre caractéristique de l’écriture de Nana Tadoum dans Horizontales, est ce que Dr. Joseph Magloire Mol Nang, le préfacier de son premier recueil appelle « esthétisme », qu’il définit comme étant « l’amour de l’art pour l’art ».Certes, nous ne pouvons pousser la comparaison jusqu’à ne réduire ce recueil qu’à cela. Cependant, on ne peut s’empêcher de relever cette option « scripturaire » de Nana Tadoum, où très souvent le souci du charme sensoriel et émotionnel emporte sur le message mieux, l’intelligibilité du texte. Il s’agit dans Horizontales des textes qui, bien que captivants vous résistent véritablement, et en permanence. En ceci, Nana Tadoum passe pour adepte de l’école d’almeidienne, même s’il se démarque de Fernando d’Almeida par son penchant un peu poussé pour la sonorité. Il ne fait d’ailleurs pas mystère de son adhésion à la philosophie de ce grand nom de la poésie camerounaise, en matière de création. N’écrit- il pas en effet qu' »Il y a comme dit d’Almeida/Qu’il nous faut réinventer/Une écriture ajournant l’explicite/Au vif essentiel d’un langage/ Noué au processus des forages/Au jeu exigeant de l’implicite…Il y a qu’il faut se surpasser/ Dépasser les évidences courantes/Pour redonner à la parole dorée/ Sa mirobolante majesté » ?
Par son cortège d’innovations Horizontales, ce recueil à la couverture bleue marine et à double préface-le bilinguisme du recueil obligeant-passera difficilement inaperçu sur la scène littéraire camerounaise. Si l’on peut mentionner le côté peu efficient, à notre avis, de l’option de l' »esthétisme » dans laquelle, dans une certaine mesure, s’inscrit ce recueil(en ceci que le message souvent est verrouillé dans le texte et échappe au lecteur),on ne peut ne pas parier cependant, sur le côté prometteur que laisse entrevoir la finesse et la délicatesse mieux, les prouesses stylistiques de la poésie de Nana Tadoum, ce poète « aux épaules bardées de palmes et d’épis », selon l’expression de l’un des préfaciers du recueil , le Pr. André Marie Ntsobé.
Ndefo Noubissi
Isaac Célestin Tcheho, Plaies-Travers-Patrie, Douala, Ed. St François, 1992, 176 pages
Voici un titre qui par sa résonance, rappelle la devise du Cameroun. Orienté autrement, il ne laisse pas indifférent le lecteur, le lecteur camerounais singulièrement. Aux premières impressions donc, venaient s’ajouter un goût certain de la part de l’auteur pour la subversion, voire même pour la provocation.
En pénétrant le bouquin, les titres qui séparent les parties et qui font office de noms de chapitres achèvent alors de convaincre le lecteur qu’il a affaire à un iconoclaste. Les titres sont des énigmes qui contraignent à recourir au dictionnaire d’abord, et à lire ensuite tout le contenu que d’un trait. C’est ainsi que l’on se retrouve à parcourir dans une absorption indicible les six parties qui renferment au total 64 poèmes. Cependant, l’austérité perçue par l’aspect externe se dissipe sur le plan de la forme, car les poèmes et les pages sont disposés de manière très avérées. Mais l’austérité continue à planer dans les thèmes à travers la rigueur d’écriture. Une telle disposition n’a sûrement être qu’être renforcée par une époque où le sensibilité de l’auteur était mise à rude épreuve. Il semble d’ailleurs que chaque chapitre est une séquence traduisant ses états d’âme et une disposition psychique de ce moment là. Les dates mentionnées en bas des poèmes semblent l’indiquer clairement.
I.C Tcheho, c’est aussi l’itinérant des rêves, l’ambassadeur du dialogue entre les civilisations. A travers ce recueil, il se positionne en tant que pont entre le Maghreb et l’Afrique Noire. A la porte de mon cœur est un hymne, une invitation au dialogue entre les peuples à priori antagonistes.
Du Sud profond, je monte,
Malgré l’hostilité de l’infini désert.
Ma tenace volonté brave tous
Les scorpions(…)
Aime-moi du fond de ton cœur
Arabe
Comme moi-même du plus profond
De mon âme nègre.
Maghreb !oh, Maghreb !
Noyons et pour toujours dans
Les mers
Le reste de la rancœur du passé.
Le passé de l’indicatif est une série d’hommages rendus à certains noms hérissés dans notre passé tels des jalons profanés par les  » négateurs, pourvoyeur de « citoyens de l’amnésie », ces citoyens qui en voiture d’expatriés roulent sur le tapis rouge de notre sang.
Ils nous est également donné à travers certains poèmes de prendre la mesure de la sensibilité de ce subversif invétéré, ce contestataire armé de sa têtutesse en bandoulière qui crie « du râle d’un nègre qu’on castre ». Cependant, quand passent les bruits des râles et que s’installe le silence de l’apaisement, le poète dans un épanchement lyrique se souvient, « Au-delà de l’endroit guéable où le Niger imbibait d’eau douce les seins nus/ des filles longilignes des tribus nomades » (P. 60)
Faisant des mots un usage singulier, il y a chez l’auteur un désir brûlant de sortir des sentiers battus, une volonté incandescente d’innovation qui transparaît à travers des expressions inhabituelles et dont la résonance rappellerait ou suggérerait une autre expression bien connue, bien courante. A titre d’exemples : Tout chemin éloigne de Rome, Le souverain Fautif, Plaies-Travers-Patrie…
Cela dénote une réelle envie de sortir le lecteur de l’inertie et du conformisme ambiant qui fait le ciment de la monotonie. Par ce biais, il contribue à nous introduire dans une esthétique hors de l’habituel.
Etalés sur près d’une décennie (1982-1991), les thèmes qu’aborde I. Célestin Tcheho semblent, quatorze ans après, d’une saisissante actualité. Puisque notre société, à la lecture des faits, continue de s’ulcérer dans ses plaies et ses travers. Nous ne pouvons nous empêcher de nous demander avec l’auteur : qu’est-ce un poème (…) s’il n’est le sommaire de la blessure ?
Wilfried Mwenye
Angeline Solange Bonono, Soif Azur, Yaoundé, Ed de la Ronde, 2003, 54 pages
Nous lisons parfois simplement pour lire ; c’est-à-dire pour nous distraire mieux, pour échapper à l’opacité du quotidien. Ce qui n’est tout de même pas vain. Mais nous lisons davantage pour notre culture, pour taire notre ignorance et trouver dans la merde qui nous environne, l’itinéraire qu’il ne faut pas louper. Soif Azur est ce chemin total qui traverse le sahel du sexe sans mourir de soif. C’est cet azur obscurcissant qui nous aveugle quand nous nous aventurons dans le labyrinthe du sexe où le monde souffre atrocement. Notre fleuve de vie a donc mal à l’endroit de sa naissance, à sa source. Dans un poème « Cerveau fêlé », Angeline décrit une ignoble scène de parturition dans la rue. « Un coït scabreux » dévore non sans hypocrisie, « les fesses fraîches » d’une folle dupée par le plaisir. Résultat ; notre névrosée attend un enfant ! Et c’est au cœur d’un « carrefour » que se déploiera « le mystère de la parturition », que se déverseront « ses entrailles », que se produira « le scandale de la fente », que entrera « dans le monde en hurlant ses fureurs / à venir, ses rages d’écorchée vive » le fruit de la bêtise sexuelle.
Dans un autre poème qui s’appelle : « Coup de gueule », notre poétesse exprime sa colère contre ce monde barbare auquel nous appartenons. Ce monde pourri où il n’est pas aisé de vivre surtout quand la pédophilie et l’inceste gagnent du terrain. « Un monde immonde et incestueux / où l’on coïte le foetus et les nourrissons / dans les berceaux sanglants. Halte aux uraniens ». « L’humanité comme une bougie agonisante, n’en / Finit pas de descendre aux enfers ». Question : dans un « chaos » pareil, quel « bilan » pour la création, au soir de sa vie, quand Angeline nous dit qu’elle a passé son temps « à / trimballer ses ratés à / assister aux nombreuses cavalcades / fastueuses des riches » ? Nous pouvons conclure sans risque de nous tromper que le monde est donc tombé très bas. Seule la bête humaine a désormais droit de cité. Un tel pessimisme n’est pas méconnu du paysage littéraire féminin du Cameroun. Marie Claire Dati voyait déjà à travers la mort de ses enfants sous « la guillotine de dénuement », sa « mort pour l’éternité ». (Les Caillots de vie, Ed. Agbetsi.). Virginie Belibi implorait déjà le ciel de 1987 pour panser les blessures de ce « monde de folie ». (Vers enivrants, Ed….). Il ne faut tout de même pas désespérer car « Demain est un autre jour ». Et la présence de « l’assoiffé d’azur, le fou, le poète ! » est salutaire car « il n’y a pas de poésie sans cœur » et, ne peut être poète que celui qui peut réaliser les exploits de Orphée, celui qui « peut communier avec le cosmos, sentir un autre cœur battre ».
Pour cette femme qui n’écrit pas pour revendiquer sa féminité – ce combat étant auparavant dépassé – Nous avons soif d’un azur juste qui nous acceptera tous, où nous sentirons enfin le feu de l’harmonie bouillir son amitié dans nos sourires, dans nos accolades, dans tous nos gestes. Nous avons assez des « rires jaunes ». Nous avons marres du « chemin des crabes » où vont tous les coureurs infatigables « du pays des crevettes ».
Dans ce bouquet de soixante poèmes d’une rare sublimité, Bonono s’affirme comme une combattante de la première heure en explorant plusieurs thèmes parmi lesquels : la misère, la douleur, la mort, l’espoir, la mort…Elle laisse parler toutes ses casquettes. Son écriture est une scène admirable qui dévoile ses talents de metteur en scène et de comédienne. L’envoûtante coquille musicale qui habille sa poésie à travers le bal des assonances et des allitérations, témoigne de sa passion pour Georges Brassens dont elle est la présidente fondatrice de l’association nationale du Cameroun. L’expressivité des textes et l’habileté à manipuler la langue française en créant une poésie libre et accessible au grand public, font d’elle une enseignante accomplie de la langue française.
Patrice Major Assé Eloundou
Albert T. Nkili, Mille poignées de terre, Ed. Akoma Mba, Yaoundé, 66P, 2003
La royale question de l’existence sous-tend et srtucture l’essentiel de l’œuvre humaine, mieux encore la littérature singulièrement la poésie, qui sont les lieux privilégiés d’inscription de la mémoire. Pour être stylisation d’un rapport particulier au monde, toute création manifeste en creux la problématique perspective de la mort sans trop bien pouvoir en acquitter le prix. En porte-à-faux avec les usages ou ce qui est réputé tel, Mille poignées de terre fait le choix de s’inscrire au cœur du drame humain au cœur duquel difficultés, afflictions et peines tracent l’horizon. Puisant à la double source du vécu et de la sensibilité qui lui offre un champ thématique largement acquis à la déréliction, Albert Nkili interroge la logique du malheur et de la mort dont il explore les lieux. Cette démarche qui coordonne deux volets chromatiques, illustre et réfléchit sa vision au monde. Ainsi, subsumant les thèmes du premier, « Blanc », le second volet désigne « Noir et rouge » dénonce les affres et forfaits de la mort sur les siens, l’apartheid et les discriminations , la malédiction de la race noire ; il fustige l’inconséquente émancipation de la femme actuelle à proportion qu’il exhalte le modèle traditionnel féminin, l’œuvre immortelle, la tolérance et la fraternité universelle pour un meilleur monde ; il évoque ses déconvenues amoureuses, constate l’héphémérité de l’Homme pour d’autant souscrire avec Vigny que la souffrance est le maître de celui-ci.
La si prégnante expérience du contrat de la mort conjuguée à la nature même de l’auteur qui est celle de la mélancolie, en imprégnant son écriture, cède triplement aux cadres complémentaires du passéisme, du pessimisme et du fatalisme dont les fils innervent de toute sa substance cette poésie pour aller se résoudre dans le théisme. Nous touchons là à la dimension spirituelle et testimoniale de ce florilège qui mêle l’hier et l’aujourd’hui, l’amour et la douleur, la possession et la perte, la jouissance et la carence, tout en mettant en avant les thèmes de la vanité du monde et de l’impuissance sur la vie.
L’œuvre, d’un pathétisme Lamartinien, qui juxtapose les motifs de l’héroïsme et du prosaïsme, de l’atemporalité et la temporalité, la souffrance et la résistance, semble avoir été mue par le vif souci d’exorciser l’angoisse de la mort tant que de prévenir et sublimer la fuite du temps, en une allégorie du triomphe de l’Homme sur la mort. Voila qui refait débat sur la grave question du destin au sujet de laquelle on connaît opinion plus équilibrées ou épicuristes avec Anne Cillon Perri notamment. Soit, Mille poignées de terre revendique volontiers une vocation ou un intérêt à tout le moins didactique et moral moyennant un souffle en prise directe sur le réel.
En somme, passerelle entre deux mondes, tel se veut ce recueil de 36 poèmes qui, il sied de le souligner, aurait de beaucoup gagné en esthétique à être illuminé d’effets de l’éloquence, du lyrisme, de la rhétorique toute entière. Si la poésie n’est jamais qu’affaire des poètes, reste que force nous est de lui reconnaître nature et âme propres, s’il en fût.
Emane Samuel
Anne Cillon Perri, Sur les rues de ma mémoire, Interlignes / Proximité, Yaoundé, 2004, 66p.
Ce n’est pas sans délices et curiosité que l’on égrène les 40 pièces de ce florilège, suggérés par la singularité de son esthétique. Gageant sur la puissance de séduction des mots et l’exubérant trésor du lexique, l’artiste convoque à son service la fabuleuse magie du verbe. Sur la rhétorique, les pleins pouvoirs par ailleurs acquis complétés de la solidarité du surréalisme, il va douer la langue d’une vocation et d’un souffle lumineux qui en feront tôt le lieu d’élection de l’onirisme sous le siège des maîtresses forces de l’allégorie, l’allitération et l’assonance. Tant et si bien que, de fil en aiguille, on se trouve en univers concertant l’image, la musique et le rythme à cette dimension si intime et si osmotique qui porte au sublime le beau, sous l’effet concurrent de la truculence et du raffinement.
Ainsi transfiguré en champ de convergence privilégié de toute l’expérience humaine dans son émotionnalité et sa valeur des plus vives, le poème peut alors, dans un imaginaire où le lyrisme le dispute au merveilleux, donner, à corps perdus, cadre à l’épopée de la vie et du temps, du monde et de la mer, de l’amour et des rêves, de l’Humanité et Dieu, de la mort aussi.
D’inspiration d’Almédaïenne pour l’essentiel, le poète butine à toutes les sources à sa convenance pour irriguer les grâces de son écriture. C’est le cas de Verlaine, Baudelaire, Prévert et Aragon qui, de loin, emportent ses faveurs entre tous. Cela dit, pour recevoir si peu souvent de tels honneurs de la recherche, la poésie échappe mal à la démonétisation à n’être qu’une marqueterie lexicale à force. Tant s’en faut.
Emane Samuel
Toussaint Kafarhire Murhula, Bukavu la chanson du soleil en exil, Ed.
Malaïka, Ottawa, 86 pages
Je n’aime pas me perdre dans les méandres de la forêt poétique parce qu’elle est pleine de cactus et de vipères qui ne déchantent pas. Mais voici pourtant entre « les boulons de mes doigts », comme dirait EngelBert Mveng, Bukavu la chanson du soleil en exil, un torrent verbal qui écume les jours et qui n’est nullement une lecture à l’eau de rose. Toussaint Kafarhire Murhula offre à notre soif une longiligne complainte en cinq actes ramassée dans le cours sanglant du fleuve Congo. En tant qu’Africains, nous savons tous à quel tombeau nous inhume le souvenir de Bukavu, cette capitale de la province du Sud Kivu dans le lointain et proche Congo-Kinshasa. Ce foyer de la violence, bizarrement emblème de la rébellion et du soulèvement populaire. Dans la mémoire collective, ce recueil sera toujours l’histoire de l’une des tragédies du continent noir qui installe son homme dans la précarité légendaire qu’on lui connaît. Ainsi donc le premier vers de ce livre est-il : « Le fantôme ravageur rode dans ma mémoire ». Pauvre poète offusqué par les tourments du drame qu’il vit et qui l’éloigne du jour : « Je ne vois plus de lumière / Un grand vide m’entoure au-dedans / Je crois que je ne vis plus / J’avance seulement »
Ce jésuite du Congo Démocratique sait transcrire les douleurs et les ressentis de tout un peuple victime de la barbarie du loup humain. Ces poèmes sont la mue d’une population qui se nie à la vue du scandale qui avilit sa maison. C’est des épaves d’une tragédie universelle. Dans ce recueil, le poète pleure son enfance éclaboussée par la tornade des armes qui déchirent la nuit. Son enfance calcinée au feu des guerres intestines aux intérêts inavoués et, jetée en pâture au cannibalisme de l’indifférence totale. « Tout le monde fait semblant / De ne rien voir / De ne rien entendre ». Pas même les cris de « ces enfants mal nourris / Aux cheveux qui mûrissent lentement / Comme mûrissent des fruits / Ces enfants aux ventres bedonnants / Remplis de peur et d’absence ». Et comme tous les Africains malades de l’autisme de leur continent désormais condamné aux crimes d’une poignée de « dirigeants bouffons » dont l’individualisme et l’égoïsme trahissent la solidarité de nos pères, il s’insurge contre la grande médiatisation de la mort qui caractérise le Nord. Il met en garde Bukavu « Devant des médias rapaces / Avides de faire sensation ». Dans cette immense ruée des hiboux dans sa vie, le poète semble, autant que les siens, fragmenté, disséqué, effrité, anéanti au point de vouloir « renoncer / A cette mascarade qu’ils appellent vie / A ce bal masqué où la mort nous nargue ». Et comme « une hydre à plusieurs têtes » selon l’expression du poète François Sengat Kuo, il ressurgit dans la hargne des mots pour biffer ces mystifications et se dresser comme une étoile au coeur de la nuit historique ; la parole semant à tout bout de chaos les épis de la paix. « Aussi surgirai-je / Poète éloquent / Avec un vocabulaire puéril / Et leur parlerai de la paix ». Le temps de la défection du drame est arrivé. Il faut créer des choses nouvelles pour redorer le blason de la race humaine car le jour ne se lève plus dans nos cœurs. Libérer l’imaginaire des cachots de nos dictatures africaines pour que prospère le merveilleux, l’envoûtant, pour que l’oreille humaine retrouve les sentiers de la sensorialité et le cœur, la fleur de la sensibilité. Voilà l’impératif ! Plus de prémonition sinistre sur le chemin car « La beauté existe ! » et il faut travailler à la pérenniser en enfantant « Les rêves qui engendrent des lumières / Vertes, rouges, bleues, oranges… ». Toussaint Kafarhire Murhula a le mérite d’avoir écrit une poésie historique qui intègre tous les détails du scandale de Bukavu et qui se léguera de mémoire en mémoire avec la commune acrimonie de l’esclavage et de la colonisation. Le poète en fait un travail indispensable pour sa survie. Il le dévoile dans les derniers vers de ce livre qu’il faut lire : « Je préfère mourir / Que de taire ces heures de la nuit / Je préfère mourir / Que de ne pas penser du tout ». Oh ! Afrique !
Patrice Major Assé Eloundou
Candide Candos Mawussi Koutodjo et Jean-claude Awono, Deux poètes pour un poème, Yaoundé, agbetsi, 2000
La raison de ce qui va suivre est celle d’une amitié poétique : celle de deux poète pour un poème, parce que deux mains rassemblées. Mawussi Koutodjo et Jean-claude Awono nous disent, en même temps leur propre vie…Et l’un d’eux précise, en dédicace du recueil qu’ils nous offrent :
L’amitié donnera la lune
A notre soif du lointain
Elle nous restituera tout (DPP, 5) (1)
A travers les symboles et la somptueuse polyvalente des mots poétiques, l’amitié prend un poids et une envergure que je veux souligner.
Il s’agit d’abord d’une amitié entre deux poètes. Ils ont accordé leur lyre pour en jouer à quatre mains. D’origine, de formation et de vocations différentes (l’un camerounais, ancien normalien, professeur de français, l’autre Togolais, linguiste, philosophe, aujourd’hui étudiant en théologie à Nkolbisson), ils ont patiemment orchestré les collines de Yaoundé en paysage universel, nous donnant accès au passé traditionnels et historiques, autant qu’aux tragédies et aux espérances du temps présent dont ils exemplifient la jeunesse.
Cette amitié s’inscrit dans un sens plus large, celui de la Ronde des Poètes, une association littéraire dont l’enfance, âgée de quatre ans seulement, est prometteuse.
Et voici que, cet après-midi, nous tous sommes invités à danser cette ronde amicale des Poètes, nous qu’ils accueillent présentement dans une « trappe de saveur » (c’est ainsi que je me permets de traduire peach pit en langue française…). Ici, les poètes m’ont prié d’introduire leur programme, au titre de simple prélude au spectacle ou au récital qu’ils nous ont annoncé.
Je chanterai donc enfin l’amitié qui ne cesse de parcourir les strophes de leurs vers.
« Celle de l’enfance. Quand je parle, en français de l’amitié de l’enfant », j’use d’une formule qui possède double signification, puisqu’elle veut aussi bien dire l’amitié dont l’enfant est l’objet (il dit tout dans le sourire de son visage : cf. RI, 52) et celle dont l’enfant est prodigue, sans compter !
Petit ange on enfant
Je te parle
Tu ne réponds pas
Tu m’apprends à écouter (RI, 15)
Enfant, « toute la création » de chante (RI,50) ; par ta confiance, par ta gaieté, par ta fragilité même, tu offre l’espérance à l’humanité qui doute (id,47). Cependant, « quand j’étais gosse », déjà
J’étais une blessure sur la vie (FRFF, 13)
Les blessures de la vie sont nombreuses – individuelles ou collectives – et c’est avec l’amitié de la compassion que les poèmes en traitent ou les évoquent. Les deux poètes entrent eux-mêmes dans l’épreuve, dans les hontes subies, dans l’espoir que celles-ci n’ont pas tué, mais au contraire, nourri :
Je suis de ce peuple
Qui a gémi et vécu
Dans des cercles de fer (CH, 21)
Mais ces chaînes d’esclaves « crient liberté » (id, 39)
…chanson que le monde ne chante plus
…hymne qui fait éclater les empires du Mal
…hymne des cœurs éveillés dans les nuits du monde (id, 57)
Et c’est pourquoi
Il viendra un jour où l’homme
Fatigué de se taire
Mettra l’épée dans le bâillon
Où s’écrase sa bouche
Et l’homme se versera
Comme le jet d’un affluent
Dans l’immense océan inexploré
Où se morfond son avenir (DPP, 69)
Enfin, l’océan, la terre, la route, le vent, le soleil : tous ces trésors de la nature construisnt un temple de vivantes paroles d’où est appelée à sourde l’amitié, à partir et au-delà de toutes les violences.
Je te chante Afrique
Terre aux mille couleurs
De savanes et de forêts
De collines et de montagnes
De déserts et d’océans (…)
En toi dorment mes ancêtres
Les parchemins de ma mémoire (DPP, 58)
Ma seule main se fait montagne (id, 74)
Vers le nouveau millénaire, je vais à pieds
Pour sentir la terre sous mes pieds
Pour découvrir ses merveilles cachées
Etre témoin de son réveil et de son couché
Je vais rencontrer l’homme et marcher avec lui (id, 49)
Les fleuves quittent leur lit « et creusent en moi leur asile » (id, 83) ; toi-même quand tu viendras,
…tu poseras le soleil
Sur le chemin que je prendrai (FRFF, 73).
Quant au vent, dont tu ne sais ni d’où il vient ni d’où il va (Jn, 3,8), ce vent
…est un ami qu’il faut convaincre
De ton ivresse du lointain
Si tu veux devenir homme
Va sans retour
Au-delà des trains et des vallons
Loin plus loin que les beautés et les rêves (DPP, 87).
Je ne dos pas oublier maintenant un avis biblique important, donné par le Siracide : « parle vieillard, car cela te revient, dis exactement ce que tu sais : mais n’empêche que la musique » (Si, 32,3). Pour ma part, j’ai essayé de dire quelque chose de ce que je sais sur la profondeur et la beauté des poèmes dont une dédicace nous rassemble.
Il est donc temps que je laisse place à la musique, la vôtre, en n’hésitant, du reste, pour la célébrer, à emprunter les paroles de l’un des deux poètes :
The music of your presence
Is a great psalm of love
That I can not write nor sing
Though a poet I am (DPP, 39)
Et je n’hésite pas non plus à glorifier, avec Valéry, le silence auquel votre écoute et la mienne sont ainsi conviées :
Patience, patience
Patience dans l’azur !
Chaque atome de silence
Est la chance d’un fruit mûr !
Père Claude Pairaut
Cossy Guenou, Les maisons / Les nuages, Lomé, Ed. HAHO, 1989, 64 pages.
Cossy Guenou, voilà un poète qu’il faut rencontrer dans la gerbe du poème où fleurissent diverses images qui chantent sans répit des refrains nuageux d’une existence sans étoiles, sans sel et sans ciel. Il faut le lire pour délirer avec les lettres et jouer avec les notes d’une musique enveloppante. Son recueil : Les maisons / les nuages est une résidence poétique écrite à l’encre de son attachement pour l’art adorable où il excelle et son appartenance très prononcée à ce que Jean-Claude Awono appelle « La patrie du beau ». La syntaxe de ses poèmes, comme une nuit d’ivresse sonore, soulève les fibres de l’âme en y créant des rebondissements radieux qui montent, montent et tombent sans cesse comme des vagues vermeilles. Chaque strophe, chaque vers de cette poésie est un mouchoir, un bouquet lyrique, un éventail de nuages sur l’itinéraire de la vie. Le poète manipule les mots avec une aisance supérieure et une précision remarquable. Car il sait, autant que Sengat Kuo, que : « Les mots sont des totems ». Il ne faut jamais dire, simplement pour dire, sinon on tombe dans le piège du non dire. Il écrit alors : « Le mot est porte-image ». C’est dire qu’avec un mot, on peut raconter le monde dans sa diversité unifiante. On peut remonter le cours de la vie virgule après virgule. Les longitudinaux discours deviennent alors écrasant pour un auditoire désormais sorti du moule de la précision et de la concision. Tout le monde sait quels vastes horizons explorent les mots tels que : « classicisme », « naturalisme », « colonisation »…C’est précisément ici qu’il faut dire avec Cossy que « Le mot est la rétine de la pensée ».
Les maisons / Les nuages est aussi un théâtre charmant où les vocables sont des personnages et les lecteurs un parterre intelligent. La mise en scène est simple et l’intrigue déroule son pagne sensible sans emphases. Le scénario est construit avec des poteaux poétiques tirés de la beauté des choses qui nous environnent. Ceux qui comme moi, ont déjà assisté à une représentation, pour rien au monde, ne voudraient rater la prochaine occasion. Pendant la représentation, le parterre reste debout, les yeux fixant la merveilleuse gestuelle des phonèmes et de monèmes qui se succèdent sur la scène blanche des pages. Cossy Guenou donne toute son énergie, toute sa personne au travail combien laborieux de la construction des poèmes. « J’aime bâtir des poèmes / Comme d’autres écrivent des maisons ».
On remarque par ailleurs, une grande parenté du poète avec Ronsard, le poète de la pléiade, lorsque ce dernier écrivait ses sonnets à Hélène lui demandant de « cueillir dès aujourd’hui les roses de la vie », parce que demain courbe le soleil de la beauté. Dans le même ton, cossy écrit « L’avenir t’attendait / Pour mieux ternir ton sourire ».
Voici un poète exceptionnel, rarissime, un architecte du verbe, un peintre d’une autre nature un peu comme Léonard de Vinci l’est pour la Joconde, et qui promène partout sa plume comme on promène un balai dans des rues sales pour inventer un autre monde, un espace différent, une espèce d’El Doraldo Voltairien où les nuages sont des maisons. L’usage d’une lexie n’est pas hasardeux pour lui. Il sert à bâtir une parole. Et soigner le langage devient une exigence première pour la germination de la beauté où Cossy Guenou prospère :  » J’ai la beauté facile et c’est heureux ». Le poète enseignant de français au Togo sait tisser les mots comme des bouquets de fleurs, créant ainsi une sorte de Bikutsi verbal qui s’enracine dans la langue française.
Major Asse Eloundou
Roman
Isaac Bazié, La traversée nocturne, Ed. Malaïka, Ottawa, 231 pages
Lorsqu’une plume rêve, c’est un monde qui s’imagine. Quand elle s’atèle à décrire le réel dans toute sa crudité, c’est un drame qui se joue sur fond d’orgue émotionnel. Le but premier de l’engagement littéraire est connu de tous : dépeindre la réalité telle qu’elle s’offre aux yeux, qu’elle soit hideuse, humiliante ou, tout simplement, désespérée. Mais il arrive parfois que, malgré une volonté de l’auteur de ne point céder au défaitisme, l’on perçoive, à travers les conditions malaisées des personnages, une putréfaction du vécu dont l’ombre s’étend sur l’œuvre toute entière, si bien que les mots peuvent s’assimiler à des peaux de bêtes en décomposition, qui ne servent plus qu’à protéger le foie, le cœur et les poumons de la dissolution finale. La traversée nocturne est le cri que lance Isaac Bazié. C’est un roman sombre, à tel point obscur que les rares signes comiques de l’œuvre n’enlèvent rien à l’amertume ambiante. Voici l’histoire :
Wona est un quartier mal famé, au cœur duquel se dresse une fabrique de cuir dont l’odeur martyrisante se mêle à celle non moins nauséabonde des marres chargées d’écailles et de têtes de poissons avariés. A côté de cet enfer se hisse un petit paradis, Wona 3000. C’est là que se dénombrent les villas cossues et autres véhicules de luxe qui font la fierté de leurs propriétaires, les « ventripotents ». Vourma est le personnage central de l’œuvre. Licencié abusivement par Drabo, le directeur de la fabrique, il ne vit que pour jalouser la caste des bourgeois. Ekio, sa femme, maintient le ménage en vie grâce au commerce de fruits et de légumes, commerce tout aussi minable que le gîte qui les abrite. Leur fils a hérité du caractère rogue du père : Edmond est grincheux, geignard, irrévérencieux. Cette amertume quasi-foncière, le fils de Vourma la doit à l’injustice dont il est le témoin, et qui a enraciné ses serres dans toutes les sphères de la société ; la fabrique de cuir en est d’ailleurs l’un des exemples les plus criards, puisque Drabo, le directeur, a gravi les plus hautes marches de sa profession sans mêmes en connaître les contours les plus élémentaires. Non content d’avoir éventré les caisses de la fabrique dont il dirige les destinées et d’avoir sur la conscience le licenciement de deux ouvriers, il nourrit un dessein d’exil. Le roman se déroule, enrichi par le génie narratif de l’auteur qui, parallèlement, conduit le lecteur au coeur des scènes de rites initiatiques qui viennent rappeler l’attachement de l’Afrique à ses mœurs originelles. Puis, c’est la tragédie : en une même nuit, l’épouse de Vourma échappe de justesse à un viol, tandis que ce dernier se fait agresser dans une ruelle. Nuit noire, qui marque le triomphe de l’inhumanisme et de la félonie. Le lendemain ne sera pas moins émouvant, puisque le fils succombera aux griffes de la justice populaire après qu’il eut vengé l’injustice faite à son père en dérobant à Drabo l’argent qu’il aura lui-même volé à la fabrique.
Calvin Ekena Onana
Mongo Beti, Trop de Soleil tue l’amour, 2000, 251 pages, éd. Julliard
Vivre, en Afrique, c’est précisément végéter dans l’ère du temps sans jamais pouvoir éviter les ronces d’une vie qui revêt plus des allures d’une épreuve que d’une partie de plaisir. Si la vie en Afrique n’est pas un rêve, assumer des fonctions de journaliste dans ce continent revient le plus souvent à accepter le malheur comme alternative permanente.
Quel événement pourrait donner des couleurs à la taciturne existence de Zamakwé, journaliste politique dont la déontologie n’a d’égal que l’amour du Jazz, cette musique aux vertus extasiantes qu’il accompagne de grandes rasades d’alcool ? Le cours de sa vie n’est-il pas aussi indolent que celui de son pays où il ne se passe presque jamais rien ? En réalité, il se passe bien de choses au Cameroun, nous fait savoir l’auteur. Mais les évènements, de quelque nature qu’ils puissent être, sont savamment masqués pas les soins d’une police qui, apprend-on, est interdite d’enquête ! Le héros de l’oeuvre est confronté à un statu quo obsédant, jalonné de querelles et d’interminables réconciliations avec Bébète, sa compagne. Sa vie s’écoule, nonchalamment arc-boutée entre deux articles, jusqu’au jour où il est découvert dans son logis un cadavre qui marquera le début d’une kyrielle d’ennuis face auxquels le journaliste aura bien peu de répit : soupçonné à tort, il est frappé, outragé, suspecté d’un meurtre dont il n’est pas l’auteur.
Trop de soleil tue l’amour est un roman qui explore, avec tact et grivoiserie, les ficelles de la faune politique du Cameroun. Doué d’un sens du comique et du critique difficilement égalable, Mongo Béti, de main de maître, survole la nébuleuse arcane politique de son pays, passant outre mesure les règles de bienséance – d’hypocrisie, pourrait-on dire- dans un pays où le gros de l’activité intellectuelle se résume en la rédaction de navets et autres motions en l’honneur de politiciens véreux, à tel point que cette oeuvre révèle le visage d’un Cameroun nu, dépouillé de ses écorces de vol, d’assassinats, de corruption, d’aliénation. Le style est franc, la verve courageuse, débridée. Ce roman classique ne surprend guère par sa valeur thématique, quand on sait qu’il est l’oeuvre de l’auteur de Main basse sur le Cameroun. À travers Trop de soleil tue l’amour, Mongo béti trempe les serres de sa plume dans la marre purulente des démocraties africaines, templiers des néo-colonialismes occidentaux ici reflétés par l’omniprésence de la France, à travers des institutions aussi inutiles que ridicules : Francophonie, France-Afrique… la France rendue coupable de bien d’horreurs, comme le démontre ce passage extrait de la cinquantième page du roman : « Les français nous sortent par les yeux avec leur francophonie et leur franc Cfa, et voila qu’ils se mettent à expulser nos frères de chez eux, et encore par charters entiers ; il est temps qu’ils nous foutent définitivement la paix ici et s’en aillent chez eux à leur tour. Après leur génocide du Rwanda, ils ne devraient même plus sortir dans la rue ».
Calvin Ekena Onana
Janis Otsiemi, Tous les chemins mènent à l’autre, roman, Ed. Ndzé / Walker Raponda, 2002, 112p.
Janis Otsiemi est un auteur gabonais né en juillet 1976 à Franceville, province du haut-ogoové. Avec ce roman, il a reçu le prix du premier roman francophone de l’Union gabonaise des enseignants pour la culture. Son écriture fait de lui l’une des voix les plus avisées de la littérature gabonaise de ces dix dernières années.
L’âme et le cœur sont indissociables. Si on vous transplante un organe, on vous greffe aussi, l’âme sera cet autre qu’il faudra retrouver coûte que coûte.
Drame psychologique. Une quête intérieure où la recherche du moi débouche sur la découverte de l’autre. Dans un hôpital de Libreville, le jeune Loye, victime d’un terrible accident de la circulation, émerge d’un traumatisme. Au moment même où il prend conscience de son amnésie, on lui apprend qu’il doit sa survie à la transplantation d’un rein provenant d’un donneur anonyme. De retour chez les siens, il part à la quête de lui-même, réaprennant son existence avec une sérénité renouvelée ; mais à la place du « moi », il ne découvre que « l’ombre », « Ce fléau qui embrume mon cerveau que je porte en moi ». Et le dédoublement finit par brouiller définitivement ce qui lui reste de personnalité. Le récit à plusieurs voix est étonnant. Le narrateur, avec une verve poétique et cristalline, est partagé entre un sentiment de rédemption et celui de révolte. Et il lance un cri d’alarme : « L’enfer, c’est moi sans l’autre ».

1. De Jean-Claude Awono : Flux et reflux d’une foulée de fous, Yaoundé, Presses universitaires de Yaoundé. 1999,80 pages. (ici FRFF)
De Mawussi Koutodjo : regard d’innocence, Lomé, Editions Agbetsi, 1998, 58 pages (ici RI)
Les Chaînes de la honte, suivi de chants de liberté, Lomé, Editions Agbetsi, 1999, 84 pages (ici CH)
Des deux : Deux Poètes pour un poème : Les mains de l’amitié, Lomé, Editions Agbetsi, 2000, 104 pages. (ici DPP)
Source : www.afrilivres.com///Article N° : 4224

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