Point de vue individuel et liberté absolue

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Art et politique : le cas du Cameroun

Un visage en larmes, emprisonné derrière un grillage de ficelles en coton, dont le ton gris et noir de l’acrylique accentue la tristesse. C’est, ainsi que le désigne le titre de la peinture, Monsieur le Ministre de la Culture du Cameroun. L’œuvre d’Alioum Moussa, réalisée au cours de Squat’art two en février 2002, sur une encastre du mur, à l’intérieur de la vieille bâtisse squattée par les artistes plasticiens, ne cache pas l’intention de son auteur : dénoncer la « présence fictive » de leur ministre de tutelle, que l’on n’aperçoit que très rarement aux rendez-vous de créations et de manifestations culturelles.
« Il y a une grande distance entre les responsables culturels et les artistes, notamment les plasticiens de ce pays. Ces responsables ne sont pas au courant des choses, ils ne sont pas sur le terrain », explique le jeune plasticien de 27 ans, qui affirme avant tout exprimer un point de vue personnel, même si celui-ci se confond à la revendication collective de la communauté des artistes qui se dit très souvent abandonnée par les autorités culturelles du pays. « Même si j’adhère au cri lancé par les plasticiens – car occuper un lieu abandonné et commencer à y travailler est un cri -, cette peinture est un ressenti personnel », indique Alioum Moussa.
Un récidiviste… En mai 1998, au cours du Festival national des arts et de la culture, organisé à Ebolowa, dans le sud du pays, Alioum Moussa ne s’était pas contenté de serrer la main du ministre de la Culture pendant sa visite des stands : il s’était attelé à lui expliquer en détails, et en des termes souvent fort peu diplomatiques, le sens de « danse autour du feu », la toile qu’il avait ramenée de son septentrion natal. « Le tableau représente deux danseurs autour d’un feu. Seulement, ces danseurs portent des costumes bantous (les populations du sud du pays, ndlr), avec des colliers et des parures tels qu’on en voit chez les gens du sud. Ce tableau était le prolongement de vue d’un artiste de l’Extrême-Nord que je suis, sur le reste du pays. Alors que nous, nous sommes culturellement coupés du reste du territoire national. Il n’y a aucune prise en charge des valeurs culturelles et des créations artistiques du Nord, ni même leur diffusion à la télévision et à la radio. Autour de moi, les gens étaient ébahis et un peu gênés que je sois aussi direct. Et je peux même vous dire que le plasticien Kouam Tawaoundjé, qui conduisait le protocole, me pressait d’en finir », se souvient Moussa.
Il faut dire qu’au Cameroun, les artistes plasticiens bénéficient d’une sorte d’immunité qui les autorise à critiquer et dénoncer, et même questionner d’un point de vue critique le passé, sans pour autant être inquiétés. « Rien ne m’empêche d’exprimer ce que je ressens, je me sens tout à fait libre de me prononcer sur tout ce qui se fait dans la cité, quitte à ce que cela ait des effets après », reconnaît Alioum Moussa.
Reste que ces œuvres critiques n’ont jusqu’ici jamais donné suite à quelque acte de réprobation. Que les arts plastiques soient encore élitistes n’y est certainement pas étranger. Quel intérêt aurait-on en effet à censurer ou interdire des œuvres qui ne sont vues que par une poignée de personnes ?
Goddy Leye, dans une installation vidéo, questionne la colonisation du Cameroun par l’utilisation abusive d’un traité de protectorat entre certains chefs sur la Côte littorale et la puissance germanique. La nation colonisatrice passera outre les termes de ce traité, circoncis à une zone précise, pour coloniser le reste du pays. Pascale Martine Tayou, recourt à la provocation et à un humour caustique pour critiquer et même sensibiliser. En 1993, à l’occasion de l’opération « Fights against aids » initiée par La Revue Noire, le plasticien camerounais propose une série de panneaux, des espèces de poupées en assemblage de bois et autres matériaux hétéroclites, qui restituent avec fort réalisme, entre autres détails, les attributs intimes de l’homme et de la femme. Ainsi, des verges tantôt visibles, tantôt recouvertes par d’énormes chaussettes de laine (la capote n’est pas bien loin), les pubis chatoyants, ou des bustes féminins, collages de tétines de biberons en caoutchouc, auraient pu choquer les esprits pudiques. Au cours de la soirée de présentation qui a eu lieu à Yaoundé, le plasticien, passé maître dans l’art de la dérision, a simplement déclaré : « Vous dites ce que vous voulez, mais quand je vois toute la merde qu’il y a autour de moi, pourquoi voulez-vous m’empêcher de faire caca ? »
Politique, société ou sexualité, le créateur camerounais montre ce qu’il veut, des choses qui le touchent de façon personnelle. Aidé en cela par le désintérêt des autorités et même d’une grande partie de la population pour les arts plastiques…

Yvonne Monkam, journaliste camerounaise, licenciée en Lettres bilingues de l’université de Yaoundé, est correspondante d’Africultures et responsable de l’édition Cameroun d’Amina (supplément de 8 pages). Auteur de Bindi-Bindi (album illustré pour enfants), 1999, éd. Clé, Yaoundé.

///Article N° : 2224

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