Quelques images du foot féminin en Afrique

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Les Déesses du stade de Delphe Kifouani (2011) et Ladies’ Turn d’Hélène Harder (2012) présentent les enjeux du football féminin, le premier au Congo Brazzaville, le second au Sénégal. Les difficultés pour se faire accepter, puis pour se faire payer, s’ajoutent à la volonté de gagner et aux rivalités sur le terrain propres à tout documentaire sportif. On y retrouve des joueuses pleines de jeunesse, d’espoir, de force de caractère. Elles vivent ensemble et partagent leurs repas, s’écoutent, se conseillent.
La question de l’homosexualité est loin d’être centrale. Elle est évoquée par le documentaire de Delphe Kifouani. Après de longs passages sur le mode de vie et les matchs des joueuses, on assiste à une conversation entre deux d’entre elles : « Celui qui me traite de lesbienne, je lui réponds : tu m’as déjà vu coucher avec ta mère ? Tu me traiteras de lesbienne le jour où je sortirai avec ta petite sœur. Là, je te donnerai raison. Je ne suis pas ta petite sœur, tu ne peux pas me traiter de lesbienne. Que je le sois ou non, c’est ma vie privée », explique-t-elle à sa camarade qui dit avoir souvent ce problème. « Si la nature veut que tu sois différent, tu le seras. » La conversation suit son cours sur les rêves de richesse et d’Europe, où la deuxième voudrait devenir « homme d’affaire ». La première la corrige mais non, c’est bien « homme d’affaire » qu’elle veut être, pas « femme d’affaire » : question de style, comme sur le terrain de foot. Un peu plus tard, la deuxième dit à une joueuse qu’elle a vu son ex-petite amie enceinte, et l’a interpellée : « tu as changé de bord, tu es allée chercher un homme pour te mettre enceinte ? ». Est-ce la même fille qui explique aux autres que les joueuses les plus impressionnantes de l’équipe adverse sont des hermaphrodites, dotées des deux sexes, qu’elles n’ont pas leurs règles ? Difficile à dire, car aucune n’est jamais nommée.
Si Les Déesses du stade mentionne l’homosexualité supposée de certaines joueuses, sans pour autant aller jusqu’à l’affirmer étant donné les conséquences potentielles, Ladies’ Turn préfère rester sur le terrain du féminisme et de l’affirmation de soi en tant que femme. Soucieuse de préserver la vie privée des joueuses, Hélène Harder et l’association Ladies’ Turn se gardent d’évoquer la question de l’homosexualité et dénoncent plutôt la pression d’arrêter le foot pour se marier et procréer, ou tout du moins se conformer aux attentes sociales : « Le football, c’est pas pour les femmes », « Allez cuisiner au lieu de courir après le ballon ». Les filles comprennent bien que c’est délicat, car quand on joue au foot, « il y a beaucoup de choses qui se déplacent », et les garçons s’attendent à ce qu’elles arrêtent de jouer pour les épouser. L’une d’entre elles estime que le foot est leur « priorité », « c’est le ballon notre petit copain. »
Ladies’Turn
présente une association qui promeut le football féminin dans les quartiers populaires et de ce fait, rencontre les instances gouvernementales pour obtenir des subventions. Les réactions sexistes sont légion et on ne peut s’empêcher d’admirer la retenue et l’humour de ces femmes face au machisme le plus élémentaire. À l’Agence de presse sénégalaise, un journaliste sportif reformule l’idée que le football peut développer la confiance en soi : « Tu penses que les Sénégalaises, parce qu’elles jouent au football, vont être plus à même de contester la suprématie des hommes ? Je ne dis pas que les hommes dominent les femmes, mais la société est phallocratique. (…) Je suis un homme sénégalais, et si une femme a trop de confiance en elle… Si je dis 1 et que ma femme dit 2 ? » Réaction amusée de Seyni, organisatrice de Ladies’ Turn et capitaine de l’équipe nationale : « Catastrophe ! ». Le journaliste préfère que les femmes soient féminines, en tout cas la sienne. Mais que veut sa femme ? demandent les joueuses. « Elle veut ce que je veux, elle veut que je l’aime, n’est-ce pas ? »
Cette scène illustre à merveille les propos introductifs de Diaby, organisateur de Ladies’Turn et coach de l’équipe nationale : « la première difficulté du football féminin, c’est l’acceptation de la pratique au niveau de la société ». Le basket-ball est mixte, de même que l’athlétisme, mais pas le football. La fille de Diaby commente : « Pour moi c’est un sport de garçon, c’est pas pour les filles. (…) Elles ressemblent plus à des garçons qu’à des filles. Moi je ressemble plus à une fille qu’à un garçon. » La caméra d’Hélène Harder commente aussi : il s’agit bien de perception, car ces filles qui discutent de l’absence de moyen en se servant de l’ataya ou en se tressant les cheveux sont loin de ressembler à des garçons, excepté par leur détermination à jouer au football et à s’affirmer : « Nous les femmes, on veut avoir le même statut que les hommes. »
« Quand tu vois notre détermination sur le terrain, tu vois qu’on aime le foot. »
Ladies’ Turn présente le foot comme avant tout une lutte féministe sans espoir de réussite financière. « Si une fille me dit : je veux faire du football mon gagne-pain, je lui dis : t’as pas de chance, faut vraiment arrêter et faire autre chose. Les filles jouent au football que par amour, par passion, il n’y a pas autre chose, absolument rien du tout ». À l’inverse, les joueuses de Delphe Kifouani espèrent un recrutement national ou même en Europe, dont elles envient les salaires qui se comptent en millions d’euros alors qu’elles se plaignent de la baisse des primes et de la nécessité de mieux manger pour garder la forme physique. Pour cela, l’entraîneur les prévient : « au niveau national, on ne passe pas les tests si on a consommé du chanvre, ou si l’on est trop masculine. » Alors qu’elles admirent les muscles de la footballeuse brésilienne Marta sur internet, elles ne semblent pas s’inquiéter de ce que ces salaires qui les font rêver sont ceux d’hommes et non de femmes.
Dans Difficult Love, un documentaire de Peter Goldsmid et Zanele Muholi sur l’art photographique de Zanele Muholi (2010, disponible sur internet), la photographe se rend chez des amies où elles discutent de la nécessité de se mobiliser contre l’homophobie et contre les viols correctifs, alors que des victimes physiquement meurtries témoignent. Cette scène de discussion sur la stratégie à adopter est illustrée d’images de football féminin photographié par Zanele Muholi. On voit les filles jouer et les garçons applaudir et sauter de joie. Deux hommes s’expriment face à la caméra pour condamner les viols, « même si la femme est une lesbienne. » Une femme plus âgée explique avoir chaud au cœur de voir des hommes supporter les joueuses, qu’il ne faut pas en vouloir à tous les hommes à cause de ceux qui violent. Cette déclaration est immédiatement suivie de celle d’une femme qui vient de gagner le match et s’exprime en anglais : « Je suis tellement fière d’être une lesbienne noire, qui joue au foot, c’est mon sport à moi et j’y jouerai toujours. Thanks, peace up ! » lance-t-elle à la caméra. Elle ressemble point pour point aux joueuses des documentaires de Harder et Delphe, mais on est en Afrique du Sud et le contexte légal est tout autre. On mesure dans ces paroles d’affirmation de soi la force de la loi, alors même que la réalité sociale n’est pas si différente. Ladies’ Turn, sans jamais évoquer l’homosexualité de joueuses qu’il s’agit bien évidemment de protéger, revendique tout autant que Les Déesses du stade et Different Love le droit d’être soi-même, en évitant les catégories, en laissant planer le doute sur la sexualité des unes ou des autres, en ne commentant pas les attitudes masculines et parfois aussi très féminines des joueuses, en évoquant la pression au mariage et à la procréation. L’image qui s’en dégage est d’une grande force et bien des joueuses européennes s’y reconnaîtront, les questions n’étant pas si différentes de l’autre côté de la Méditerranée où le football reste un sport d’hommes. J’ai moi-même entendu dire que les joueuses en équipe de France féminine devaient garder les cheveux longs pour des raisons de marketing. Je ne pourrais affirmer que c’est vrai, mais le fait est que leurs coupes ne paraissent pas des plus adaptées à la pratique du sport de haut niveau (voir à ce sujet l’article de Nolwenn Le Blevennec du 3 septembre 2009, « Sportives et homosexuelles : le grand tabou », pour Rue89). Cela correspond en tout cas aux pratiques dans les petits clubs où les lesbiennes constituent une grande proportion des joueuses, mais où peu s’affichent en tant que telles.
Dans toutes les cultures, le sport et l’expression corporelle sont très fortement différenciés entre hommes et femmes. Dans la plupart des pays africains, le football est une véritable institution, y accéder constitue donc un enjeu politique fort. Comme l’explique Seyni en introduction de Ladies’ Turn, « où que tu sois, quoi que tu fasses les gens trouveront toujours quelque chose à dire… maintenant il faut le prendre dans le bon sens et faire ce que tu as envie de faire ».
Le jour où le football sera véritablement mixte, sans doute les femmes et les hommes seront-ils un peu plus libres.

///Article N° : 11968

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Les images de l'article
Anne Crémieux © DR





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