Résîliences

De Catherine Boudet

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Le premier recueil de poésie de cette jeune Réunionnaise membre de la revue littéraire mauricienne Point barre est à découvrir de toute urgence pour l’étourdissement qu’il procure. En une cinquantaine de courts textes en vers libres, l’auteur libère une parole semblable, l’image est d’elle, à la lave du volcan « feux liquides déversés des antres du ciel « (21). Longtemps contenue et brûlante quand elle est brusquement libérée, elle se jette dans « la mer sel de souffrance » (37) « en trouant l’éphémère en noces gigantesques de feu et de sel » qui représente l’ « union absolue des titans » (23). L’île, à peine dissimulée au cœur du titre qui place le volume sous le signe du tragique à surmonter, fournit au texte à la fois les images tropicales des ravines, de l’orchidée, de la mangue, des letchis et goyaviers, mais aussi et surtout celles des forces naturelles incontrôlables et destructrices, le cyclone, les hautes terres, le feu, la « clameur indéchiffrable de la mer » (7). Celles-ci, placées sous le signe de la démesure, expriment « ce monde en péril » (7) mais surtout le péril intérieur qui ronge la narratrice et qui prend sa source dans l’absence de l’aimé. Brûlent alors le regret et le souvenir, circulent toutes les images de la perte, du départ, de la solitude : « je nomadise / les steppes glacées de l’absence / je cavalcade en d’épistolaires chevauchées / les désertiques royaumes / de la désespérance » (38). L’autre, perdu, aimé puis haï, omniprésent, tour à tour tutoyé et vouvoyé, est l’absent responsable de l’ « horreur hurlante » (44), de la « lente épouvante » (45) qui placent la narratrice dans « l’œil du cyclone » (44). Les mots, tantôt claquent comme des remparts aux pierres juxtaposées (« Vomissures de ravines en rébellion / Injures de boue et de galets / nuits de trombes de peur et de rafales ») (22), tantôt sont distillés lentement (« Buvons la nuit / Hybride ensorceleuse / pour conjurer l’anamnèse ») (31) car le Verbe devient « couteau sacrificiel » (54). Il s’agit de chercher la paix dans l’oubli, dans l’ « attente au-delà des mots » (45), dans la dissolution de soi (« m’annihiler / le visage vers la lumière ») (51). Hélas et heureusement, la « blessure sans nom » (52) qu’est le « tango inachevé / de l’amour retenu » (12) fait naître une écriture parfaitement achevée où l’île et la mer offrent toutes les images nécessaires à ce drame qui s’achève par : « je chercherai en vain / l’odeur de la terre / et le son de la voix aimée / dans les archipels dévastés / de la résîlience » (60). Catherine Boudet a réussi à exprimer la fragilité de l’être brisé en réinvestissant l’énergie née de l’antagonisme des forces en présence dans la minuscule « île-coquille » (47), « île vénéneuse / à mon cœur épiphyte » (29) délivrée de ses clichés exotiques pour être élevée au rang de personnage dramatique. Parvenu « au terme du cycle noir des holothuries » (59), le lecteur ébloui a compris qu’ « il est une île en perpendiculaire contradiction / avec le goût de la mangue verte » (59), habitée par une jeune femme-poète parfaitement capable de mener à bien toute traversée en très haute mer. Reste à chacun à monter dans son embarcation.

Catherine Boudet, Résîliences, Paris, l’Harmattan, « Poètes des cinq continents », 2007, 60 pages, 10,50 euros, ISBN 978-2-296-04239-1.///Article N° : 7610

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