En réponse à la loi du 23 février 2005 qui fut finalement abrogée suite aux violentes critiques qu’elle suscitait en France, les textes réunis sous la direction de Catherine Coquio dans l’ouvrage collectif « Retours du Colonial ? disculpation et réhabilitation de l’histoire coloniale française », constituent un plaidoyer très solidement argumenté contre « un retour aux heures noires de l’idéologie coloniale »
Parmi les 18 contributions de cet essai, on retiendra particulièrement (outre la généreuse préface de Catherine Coquio suivie de son analyse sur « Dix petits nègres : retour d’une comptine », co-écrit avec Aurélia Kalisky) dans la section 1 « Histoires, droits, politiques », la brillante démonstration de Philippe Hauser : « Le mensonge comme opérateur politique », ainsi que le cri de colère du philosophe et romancier sénégalais Boris Boubacar Diop à propos du « discours impardonnable de Nicolas Sarkozy », prononcé à Dakar le 26 juillet 2007 devant un parterre d’étudiants de l’Université Cheik Anta Diop.
L’analyse de l’historien Pascal Blanchard, « L’impossible débat colonial » qui ouvre la section II, « Mémoires et représentations » tente de fournir quelques clés historiques et politiques pour comprendre comment la France est restée le seul pays occidental ayant un passé colonial « à s’être délibérément rangé du côté d’une nostalgie coloniale et de l’oubli institutionnalisé ».
Alice Cherki, dans « Confiscation des mémoires et empêchement des identifications plurielles », expose, à travers l’histoire des relations franco-algériennes, la façon dont la mémoire des populations, des deux côtés de la Méditerranée mais pour des raisons diamétralement opposées, a été confisquée et ensevelie dans des livres scolaires qui, à travers une sorte de « guerre des mémoires », d’un côté minimisaient ou niaient les violences coloniales et de l’autre mythifiaient l’héroïsme de tout un peuple en lutte pour sa libération.
Dans « La colonisation chez des écrivains africains depuis 1990 », Bernard Mouralis, considère la colonisation comme une sorte de monument, représenté sous diverses formes dans les villes africaines, « qui ne cesse de poser la question lancinante de la nature respective de l’indépendance et de la colonisation, ainsi que celle de leur liaison ou de leur parenté ». À partir de ce préalable, son analyse, à travers de nombreux exemples puisés dans la littérature contemporaine, tente de « cerner le projet des écrivains africains qui, aujourd’hui encore, se réfèrent à la période coloniale. »
Nils Andersson aborde, pour sa part, les présupposés à une véritable « communication » entre deux mondes : « Pour qu’une autre histoire, non amputée, soit possible, la construction de soi du colonisé est indissociable de la déconstruction du colonisateur ».
À partir de son roman « Moze », paru en 2003, Zahia Rahmani, décrit comment furent traités les « supplétifs » des armées coloniales, et plus particulièrement les Harkis, ces « soldats singuliers de l’armée française durant la dernière guerre de France en Algérie. ». L’auteur stigmatise « l’oubli historique » que les autorités de la V° République ont manifesté à leur égard après leur exil forcé en France.
Alain Deneault, élabore une sévère critique d’un ouvrage du fiscaliste Edouard Chambost (1)et analyse quels sont « Les symboles coloniaux au service de l’humour noir offshore », à travers le lieu symbolique que représente l’île fiscale dont l’exotisme nostalgique reste un ersatz estampillé de l’imaginaire néo-colonial dans la pensée affairiste.
La section III aborde la thématique « Postcolonial et Francophonie ». Dans la première partie, trois éminents universitaires, Marc Nichanian, Françoise Vergès et Tiphaine Samoyault analysent et présentent une approche critique du concept « postcolonial » vu à travers les travaux d’Edward Said sur la question, l’éternel débat sur la « postcolonialité » et les réticences françaises à l’égard des études postcoloniales. Trois textes bourrés de références bibliographiques qui laissent pourtant le lecteur dans l’expectative, les analyses faisant la part trop belle à des querelles de chapelles entre spécialistes anglo-saxons et français critiquant leurs différentes approches respectives.
La seconde partie de cette troisième section, « Francophonie : lire, écrire, éditer », s’avère plus concrète grâce aux extraits choisis par les contributeurs dans les ouvrages des auteurs africains eux-mêmes.
« Écrire l’Afrique, penser l’histoire : du postcolonialisme chez Yambo Ouologuem, Ahmadou Kourouma et Achille Mbembe », la contribution de Anthony Mangeon est à cet égard exemplaire dans la mesure où il s’interroge à partir des représentations, des analyses et des interprétations plus ou moins convergentes que ces trois grands auteurs africains proposent sur la relation coloniale, sur son histoire et sur sa postérité.
Dans « Écriture postcoloniale, écritures de soi
», sous-titrée l’écriture au féminin dans la littérature antillaise, Laure Coret aborde la question du « retour du colonial » (
) « sous un angle particulier mais découlant logiquement de cette lecture de la problématique : l’écriture du genre, féminin / masculin. ». On peut cependant regretter que Laure Coret se soit limitée à appuyer sa démonstration à partir de deux romans écrits par des hommes, « L’Isolé Soleil » de Daniel Maximin et « Texaco » de Patrick Chamoiseau
Dans Qu’est-ce qu’un auteur « francophone » ? Eloïse Brezault brosse un aperçu du paysage éditorial français qui maintient la littérature francophone dans une sorte de « ghetto littéraire » « à la marge de la littérature française, qui reste l’instance de référence et de légitimation en matière de publication d’une uvre. » Cet état de fait a provoqué récemment, à l’initiative du festival « Étonnants Voyageurs » de Saint-Malo, la réaction d’une cinquantaine d’écrivains francophones dans un manifeste publié chez Gallimard en mai 2007 sous le titre « Pour une littérature-monde », dans lequel ils expriment leur volonté de replacer le monde et son histoire au cur d’une littérature écrite en français qui abolirait les frontières entre écrivains français et francophones.
L’écrivain tchadien Koulsy Lamko enfonce le clou à propos des « Leurres et lueurs de la francophonie » avec son texte intitulé « Comme un cur obsédé » dans lequel il résume parfaitement la situation des auteurs africains écrivant en français : « Je souhaiterais être clair sur ce sujet. La langue française est désormais un butin de guerre, un acquis de l’histoire, un outil qui permet l’ouverture sur d’autres peuples. Mais comment accepter et sublimer ce fait acquis de l’histoire par la réinvention de nouveaux principes fondamentaux, de nouveaux rapports enfin dégagés du prisme du colonisé et du colonisateur ? Comment briser le carcan de la victimisation et de la domination pérennisées, comment sortir des enclos qu’elle fabrique sans une remise en cause profonde de l’outil qui en confectionne les liens
»
Cet ouvrage salutaire, publié avec le concours du Centre national du livre, a pu être réalisé à partir des actes du colloque « Retours du colonial ? » qui s’est tenu les 12 et 13 mai 2006 à l’assemblée nationale et à l’EHESS à l’initiative de l’Association internationale de recherche sur les crimes contre l’humanité et les génocides (Aircrige, http://aircrige.free.fr).
1. « Guide des paradis fiscaux face à 1992 », Sand, Paris, 1990.Les auteurs :
Boubacar Boris Diop, Zahia Rahmani, Koulsy Lamko, Tiphaine Samoyault, Pascal Blanchard, Françoise Vergès, Marc Nichanian, Gabriel Périès, Bernard Mouralis, Nils Andersson, Alice Cherki, Philippe Hauser, Sévane Garibian, Alain Deneault, Anthony Mangeon, Laure Coret, Aurélia Kalisky et Eloïse Brezault.
« Retour du colonial ? », 380 pp, copyright Librairie de l’Atalante, 2008///Article N° : 7643