Scènes de famille à la kermesse militaire du 26 juin 2000

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L’Armée malgache a quarante ans en 2000. Fierté de la 2ème République, elle est peu à peu laissée à l’indigence par le régime Ratsiraka, hormis les corps d’élite. A la veille de la crise voici la première vitrine publique qu’elle offre depuis une vingtaine d’années : la kermesse du 26 juin, fête de l’indépendance. On y a un aperçu des familles de militaires qui pèseront dans le désengagement militaire de l’Armée pendant la crise de 2002.

21h. Il fait froid. Quelques enfants accompagnés longent le mur du quartier général de l’Armée. Ils portent des bonnets et les filles, des collants sous leurs jupes. La lumière est du jaune orangé des réverbères dans l’air coupant. La parade martiale de Mahamasina est depuis longtemps achevée. Les discours des Quarante ans de l’Indépendance repliés. Les élus ont fini de se montrer. Le nouveau maire était pour la première fois à la tribune du défilé face aux drapeaux de sa ville et du pays sous le Palais incendié. Nouveau millénaire.
Il est tard pour Tana. La nuit est très claire. Les gradins se découpent dans l’herbe rare. Les réceptions privées ont commencé. Les commentaires sur le protocole et les petites phrases assassines de l’indépendance prennent leur essor dans les salons. Les chaussures se couvrent d’une fine pellicule rouge ici. C’est l’hiver, la latérite battue est poudreuse. Disséminés parmi les stands du stade, un autre Tana traîne. La fête de l’Armée tire sur sa fin.
Un téléviseur diffuse en boucle les festivités militaires du jour. Une petite foule les suit silencieusement. Les palmes des bananiers ont des reflets violets sous le bleu métallique de l’écran. Les blasons sont exposés, des fanions, les armes. Indubitablement, l’Armée s’est refaite. De jeunes hommes observent chaque objet sans mot dire, sans échanger un regard. Des panneaux explicatifs présentent l’Armée, le stand est désert. Où sont les actions menées depuis quarante ans ? Une arme lourde soviétique et un aéroplane trône au milieu du stade. Des enfants les entourent, curieux.
Les gestes sont lents, les mouvements assourdis. Personne n’est pressé. La foule se précise, fluide le long des stands de hasard. Les paris déportent les groupes. Les hommes se font plus nombreux. Les femmes sont femmes malgré le froid. Elles sont parées et jouent. Les yeux sont rougis, les mains fébriles. L’argent est à fleur de poche, passe de mains en mains. Des exclamations silencieuses parcourent la foule en mouvement. Les derniers frissons du gain de la kermesse, pas de bal ce soir.
Au fond, les bars apparemment vides sont tenus par les familles de l’Armée. Debout, les gens mangent des brochettes. A la même heure que dans les salons, l’alcool circule. Son haleine embue l’air du soir. Les démarches, un rien floues, tracent son lit. Des abandons brusques aussitôt relevés le signent. Aucun dépasse la ligne invisible entre l’exposition et l’aire des jeux. Aucune surveillance est visible, sinon à l’entrée du stade.
Quelques papiers sur le sol et dans le froid vif. Les gens sont menus, les traits marqués. Les enfants sont gais, joueurs. Les vêtements chauds ouatent la scène non exempte de passions en recherche de fins. La musique elle-même semble s’absenter. Des concerts se donnent en ville. Pourquoi ces gens sont-ils là ? Ils ne suscitent pas de questions. Comme hors regard…
Me voici à étrenner, les quarante ans d’indépendance à la fin de la kermesse des quarante ans de l’Armée.

///Article N° : 2945

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