Ségou, au fil de l’eau

Entretien de Marian Nur Goni avec Françoise Mauris / 2

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Suite de l’entretien [ article n°8634] avec Françoise Mauris, responsable d’un projet d’échanges artistiques et pédagogiques dans la ville de Ségou au Mali.
Dans cette deuxième partie, elle évoque le projet qui a vu le jour en 2009 : Ségou, au fil du Niger.

Comment le deuxième projet « Ségou, au fil du Niger » a-t-il pris corps ?
La rencontre avec Nathalie Milan et Judith Frydman, responsables de la programmation du Festival de l’Oh ! du Conseil Général de Val-de-Marne, a été déterminante. Le Niger étant le fleuve invité d’honneur de l’édition 2009 du Festival, elles nous ont proposé une collaboration qui s’inscrirait dans le cadre d’un échange artistique et pédagogique entre jeunes maliens et jeunes français.
Elles connaissaient notre travail pour l’avoir découvert à Ségou en 2008 et étaient intéressées aussi bien par le résultat que par la démarche. C’est de cette demande qu’est né Ségou, au fil du Niger.
Quels sont les aspects nouveaux de cette suite ?
Les enjeux liés à l’éducation artistique et au principe d’un réel partenariat avec les structures maliennes étaient les mêmes, avec cette fois-ci des objectifs spécifiques liés à la perspective de l’échange et de la correspondance. Il s’agissait d’établir une relation entre deux ateliers photographiques, de mettre en perspective les regards des jeunes maliens et des jeunes français sur leur environnement et d’instaurer, par le biais de la photographie, un dialogue interculturel autour de la thématique de l’eau.
L’objectif étant de réaliser des diaporamas à Ségou, d’organiser des projections publiques pour le Festival sur le Niger, et de produire une exposition croisée pour le Festival de l’Oh !
Quelles étaient les attentes des acteurs maliens ?
La première résidence avait été une sorte de test et, compte tenu des résultats positifs, le souhait des acteurs maliens était de poursuivre pour confirmer et transformer l’essai. La réalisation de l’exposition avait rendu concret le principe d’éducation artistique et les principaux intervenants concernés n’étaient plus à convaincre. Le voyage préparatoire que j’ai fait en juillet 2008 m’a permis de constater que le réseau de collaborateurs était prêt à s’investir sur une nouvelle proposition. Pour renforcer leur participation, il m’a semblé nécessaire d’avoir, en plus du partenariat avec le CFP à Bamako, un relais à Ségou et j’ai proposé à Mamadou Sangaré, directeur de l’espace culturel « le Mieruba », d’être le coordinateur local du projet. De ce fait, une dynamique a été entretenue, l’information a mieux circulé et le dialogue ne s’est pas interrompu. Et dès début janvier, chacun s’est remobilisé.
Est-ce que les contraintes économiques ont eu un poids conséquent sur le programme, comme pour la première édition ?
Avec le soutien du Festival de l’Oh !, de la coopération allemande et de Fujifilm, nous avons pu mettre en place un atelier photographique à Ségou avec Harandane Dicko en janvier, et un atelier à Villeneuve-Saint-Georges avec Aliette Cosset en mars, mais nous n’avons pas eu les moyens de faire intervenir une équipe d’artistes, encore moins de les faire voyager (ce que nous avions envisagé dans un premier temps).
Malgré tout, un dialogue à distance et en images s’est instauré entre Harandane Dicko et Aliette Cosset – qui avaient tous deux participé à Ségou, ville d’architecture. Parallèlement, les deux enseignants, Amahdou Khassoum Touré et Béatrice Gérard, ont engagé une correspondance – via Internet – entre leurs deux classes, toujours autour de la thématique de l’eau.
Comment les ateliers se sont-ils déroulés ?
À Ségou, sept élèves du lycée Cabral, qui avaient déjà suivi un atelier photo en 2008, ont été volontaires. Six garçons et une fille – de seize à dix-neuf ans – ont consacré leurs week-ends et leur temps libre au projet (une trentaine d’heures de travail, réparties sur quatre journées et deux demi-journées). Grâce au soutien de Fujifilm, chaque élève avait à sa disposition un appareil numérique. Le fait qu’ils aient déjà eu une initiation en 2008 a permis d’avancer beaucoup plus vite, ils étaient très motivés et ils ont rapidement progressé sur le plan technique et artistique.
Dans l’idée de l’échange avec les Français, une attention particulière a été portée au rapport de l’humain à l’eau et aux différentes activités des Ségoviens sur les rives du Niger. Harandane Dicko a proposé un sujet à chacun : la pêche, le maraîchage, le sable et la fabrication des briques, les pirogues, la lessive, la toilette des animaux et des humains… Les prises de vue le long du fleuve ont alterné avec des séances de visionnage et de critique et avec des séances plus techniques (comment décharger les cartes mémoire, comment classer les photos sur l’ordinateur…). Ensuite, ils ont fait collectivement la sélection des photos pour le diaporama destiné aux élèves français et aux projections publiques à Ségou.
Après s’être intéressés en 2008 à l’architecture de leur ville, ils ont été cette année sensibilisés à la question de l’eau qui est localement un véritable enjeu. Par le biais de la photographie, ils ont été amenés « à regarder et à voir » différemment : la beauté du fleuve mais aussi les déchets accumulés sur ses rives, les cadavres d’animaux flottants et – à peine plus loin – des enfants qui se baignent et qui boivent…
Ils vont continuer à travailler sur ce thème, avec leur enseignant et par la poursuite de la correspondance.
Et en France ?
Les actions pédagogiques du Festival de l’Oh ! concernent les collèges du Val-de-Marne et c’est avec l’une des classes partenaires que l’échange a eu lieu, au collège Pierre Brossolette de Villeneuve-Saint-Georges. L’atelier s’est déroulé sur une trentaine d’heures entre le 30 mars et le 10 avril 2009.
Les élèves de cette classe de 4è, qui travaillent sur la thématique de l’eau avec un médiateur scientifique du Festival depuis le début de l’année, ont découvert avec la photographe Aliette Cosset une tout autre approche.
Comme pour leurs correspondants maliens, il s’agissait de les initier à une technique, de les aider à repérer les codes de la production d’images afin de favoriser leur expression artistique et leur permettre d’affirmer leur propre regard. Ils ont suivi des séances d’initiation à la photographie numérique, des séances d’analyse d’images et de présélection pour le diaporama et l’exposition.
L’enjeu pour eux était de répondre aux photos du Niger par leurs photos de la Seine et de la Marne.
La relation d’échange a été, de toute évidence, très motivante et a permis aux élèves français comme aux élèves maliens d’élargir le champ de réflexion, de découvrir un ailleurs.
Revenons à Ségou… Après une exposition en 2008, vous avez cette année organisé des projections publiques : comment cela s’est-il passé ?
Une collaboration avec le Cinéma Numérique Ambulant (CNA – Mali) nous a permis d’organiser trois soirées de projections en plein air, pour le Festival sur le Niger, dans les meilleures conditions. Cette équipe très professionnelle dispose en effet de tout le matériel nécessaire (grand écran, vidéoprojecteur, sonorisation, groupe électrogène).
Harandane Dicko a réalisé deux diaporamas des photos des élèves qui étaient diffusés en première partie : « Ségou, ville d’architecture » (huit minutes) et « Ségou, au fil du Niger » (six minutes). En deuxième partie, nous avons projeté le film « Faro, la reine des eaux » du réalisateur malien Salif Traoré. Ce film – en bambara, sous-titré en français – est une fiction contemporaine qui a été tournée en 2006 à Sékoro, un village de pêcheurs à dix kilomètres de Ségou. J’avais choisi ce film pour le lien thématique avec notre projet sans savoir qu’il n’avait pas encore été diffusé dans la région. L’ayant appris, nous avons décidé de faire une projection supplémentaire au village de Sékoro (à laquelle 1500 spectateurs ont assisté !).
Les projections à Ségou ont rassemblé près de trois cents spectateurs chaque soir et les élèves étaient très impressionnés de voir leurs photos diffusées sur grand écran, devant un public de ségoviens et de festivaliers.
Quels impacts de la première expérience avez-vous pu percevoir ?
Au niveau des élèves, nous avons constaté à la fois une progression en terme de qualité des photographies et une meilleure compréhension de la proposition, de ses enjeux et de sa finalité. D’où une demande de perfectionnement et d’accompagnement dans l’apprentissage qui s’est exprimée cette année, avec pour certains des perspectives – ou, tout au moins, des désirs – de professionnalisation.
La diffusion du documentaire « Studio Cabral », organisée par le lycée pour l’ensemble des élèves ayant participé à la résidence de 2008, a permis aux élèves d’exprimer leur intérêt et leur désir de renouveler l’expérience (aussi bien en photographie qu’en écriture).
Concernant le réseau de collaborateurs, nous avons là aussi ressenti une plus grande confiance qui s’est traduite par un engagement concret dans le projet. Il y a eu de vrais relais, notamment pour la diffusion de l’information et pour la communication (messages sur les radios locales, affichage, inscription au programme du Festival sur le Niger…). Grâce aux artistes et aux compétences locales, il a été possible de réaliser sur place les bandes-sons des diaporamas (enregistrement des poèmes et d’une chanson originale), les tracts d’information, un book sur Ségou, ville d’architecture présenté à la Galerie d’exposition du Festival…
Outre le fait qu’il nous a permis de résoudre mille et un problèmes techniques ou logistiques, l’engagement des collaborateurs est surtout la marque d’une appropriation progressive de la démarche.
Des initiatives, comme l’organisation par l’association des photographes de Ségou de leur première exposition ou l’accueil de plasticiens en résidence à l’atelier du sculpteur Amahiguéré Dolo, l’engagement d’Harandane Dicko par le Festival sur le Niger en tant que photographe officiel sont autant de signes de la synergie créée localement. Il faut maintenant l’entretenir et la développer, en profitant de tous ces acquis.
À l’issue de la première édition, l’idée qui frayait son chemin était de faire de Ségou une ville pilote pour des projets d’éducation artistique et de résidences d’artistes au Mali.
Depuis, le projet a pu se renouveler dans une nouvelle configuration. On en êtes-vous maintenant par rapport à cela ?
Ces deux éditions sont en effet des étapes vers un projet pérenne de résidences d’artistes.
Au-delà de l’intérêt événementiel de chaque résidence, l’objectif à terme est de créer les conditions d’un accueil permanent d’artistes à Ségou pour, à la fois, soutenir la création, développer des actions d’éducation culturelle et artistique et favoriser les échanges interculturels.
Le principe d’un développement culturel local – basé sur une reconnaissance de la convergence des arts, de la culture, des savoirs et de l’économie – est aujourd’hui partagé par beaucoup. De ce fait, le projet de résidences d’artistes à Ségou suscite l’intérêt des politiques et des acteurs maliens avec lesquels nous avons pu échanger (le Ministre du Tourisme, le directeur du Musée National de Bamako, les membres de la diaspora malienne, les responsables culturels des coopérations européennes…).
C’est avec l’association française La Maison des Suds – qui a pour but la promotion de l’art, de la culture et des échanges interculturels – et en partenariat avec le CFP que nous poursuivons le travail, étape par étape.
Justement, quelle sera la prochaine étape ?
L’exposition croisée est en cours de réalisation.
Intitulée Fleuves en regard : correspondance photographique entre le Niger et la Seine, elle témoignera de l’échange Ségou / Villeneuve-Saint-Georges et elle sera présentée du 15 au 30 mai 2009, à l’Hôtel du Département de Créteil et les 27 et 28 juin 2009, à l’escale d’Ablon.
Conçue par Aliette Cosset et produite par le Festival de l’Oh ! l’exposition (dix kakemonos – tirage sur bâches 2m/1m) proposera une mise en perspective des images réalisées par les élèves. Après le Val-de-Marne, l’exposition circulera au Mali, en juillet 2009, de Bamako à Ségou.
Quant à 2010… on y travaille !

www.festival-oh.org
http://www.cfp-bamako.org////Article N° : 8645

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atelier Aliette Cosset
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atelier Harandane Dicko
atelier Harandane Dicko
atelier Harandane Dicko
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