Fillette, Fillette

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La cinéaste Monique Mbeka Phoba nous propose une nouvelle extraite de son recueil en préparation, un texte aux fortes références cinématographiques, une sorte de « hors champs » de « Soeur Sourire » (Stijn Coninx, 2009), qui rêve de devenir missionnaire pour aller s’occuper des petits Noirs en Afrique et d' »Au risque de se perdre » (Fred Zinnemann, 1959), où une nonne l’a réellement fait. Et d’autres films tout aussi connus où l’Afrique sert de « paysage »…

Elles aimaient rire. Elles se mangeaient des tartines de rire frais, généreux, folâtraient dans les champs, se chamaillaient en comparant, tout excitées, les motifs de leurs foulards neufs, leurs menues breloques ou en évaluant âprement la hauteur de talon de leurs chaussures de sortie. Tout ce qu’elles se dépêchaient de cacher sous leurs jupes, d’un geste vif, à la moindre alerte. Ce qui n’empêchait pas les bonnes sœurs de beugler un bon coup. Et de farfouiller jusque dans leurs culottes pour dénicher l’objet du délit. Même si l’une d’elles, parfois, malgré ses cornettes sévères, se laissait attendrir et le leur rendait en catimini.
Cette chère sœur Astrid couvait ses négrillonnes avec un regard embué, genre Audrey Hepburn dans : « Au risque de se perdre ». C’était pas une histoire de nonne belge aussi, et aussi au Congo, par-dessus le marché ? Un genre de sœur sourire, sans guitare, mais à bicyclette. Le roi, la Foi, la liberté, chantaient les sages petites filles noiraudes, en tablier, à chaque lever de drapeau belge. Mais, à y regarder de plus près, une de ces petites filles si sages guettait sa voisine de gauche. Avec un pinçon tout prêt et des yeux en : « Fusillez-moi cette pétasse ».
Gertrude contre Godelive : le combat des 2 G. Cela avait été le match, toutes ces années, le match du siècle, Ali contre Foreman, c’étai du pipi de chat à côté. Non pas à coups de gants de boxe, mais d’encensoir, d’éructations mais d’Avé Maria, de directs du gauche, mais de génuflexions.
Les gentilles négresses. Comme elles s’y entendaient à faire assaut de bonnes manières, jouant magiquement de leurs couverts au souper (« Vous avez vu, chuchotait sœur Astrid, prête à défaillir, pas une seule goutte de sauce hors de l’assiette »), détachant les syllabes de leurs actes de contrition et exhibant le blanc de l’orbite tout en levant au ciel des yeux mourants. Il ne manquait à la déclaration de leur sainteté qu’une apparition de la Vierge, mais c’était quand même un coup qu’elles préféraient se garder dans la manche, une pierre pour la soif. Et puis, pas question de se voir enfermer jusqu’à la fin de leurs jours, à la merci de fidèles énamourés et vouées à sainte Thérèse. Entre elles, c’était un pacte tacite, pas de concurrence sur ce terrain-là..
Car, le couvent, en fait, elles en avaient plus qu’assez. Et des ave Maria et des noster Pater.
Et de la Brabançonne. Mais pas de sœur Astrid.
***
Son rire qui montrait ses dents et faisait voir jusqu’à sa glotte. Elle arpentait les rues avec gourmandise et tentait de dissimuler son ardeur un peu indécente. Dès qu’elle se sentait isolée des connaissances ou pouvait s’écarter des apartés mesquins des autres étudiantes, elle chantait avec volupté.
Ce n’était pas une très belle voix, même si elle ne chantait pas faux. Toujours la même tonalité. Mais, elle chantait avec confiance, enfouie dans les mots des chansons. Ses chanteuses préférées, Barbara et Juliette Gréco, bien entendu : « Si tu crois, fillette, si tu crois ah ah, xavaxavaxa va durer toujours la saison des a, saisons des amours, fillette fillette ce que tu te goûoûoûreuh ! ».
Elle était à la fin de ses études d’assistante sociale et son grand amour du moment avait la gueule de bois. Gérard, ou était-ce Steve (elle les confondait toujours. En tout cas, une gueule à l’Antoine pas trop nette « Ma mère m’a dit d’aller me faire couper les cheveux » et les parents bourges de rigueur) aurait voulu qu’elle ait un afro comme Angela Davis et elle avait les cheveux tressés. Bon, c’était pas à la mode, mais ça le serait un jour. Et puis, il l’emmerdait avec ses exigences d’enfant branché. Elle, elle aimait bien, à un moment, prendre le temps de se caller entre deux cuisses dodues et d’écouter des paroles de chez elle sans souci, pleines de ah et de oh, de ces gens dont elle s’éloignait petit à petit, mais le moins rapidement possible, d’où le rite des tresses une fois tous les deux mois. Et, avec les tresses, l’odeur du makayabu ou du makemba dans ces boutiques de coiffeur du Matonge, où une casserole pas lavée traînait toujours quelque part…
Leur discussion avait dégénéré ou les choses étaient mûres pour qu’ils se séparent. En tous cas, comme raison de rupture, c’est vrai que c’était un peu court…
Elle s’était un peu promenée en ville ce jour-là, se demandant à qui elle allait demander à loger quelque temps ou quel amour sommeillant sous les cendres elle allait tisonner le temps de. Et elle l’avait revue, en photo, dans un journal en vitrine. Elle ne sait plus comment elle s’était retrouvée dans un café, le journal à la main et buvant littéralement chaque syllabe de cet article assez bref : « Le ministre de … du Congo, accompagné de son épouse, est arrivé hier à Bruxelles, pour une visite officielle ».
Bien sûr, elle avait changé de style. Et vieilli. Mais, elle avait toujours son regard faussement candide. Sœur Astrid.
***
Sœur Astrid avait des cheveux d’or. Qui les avait vus… À quelle occasion voit-on des cheveux de nonnes ? Leurs ablutions sont le secret le mieux gardé du couvent : où voir leurs cheveux, l’arrondi de leurs épaules, le bombé de leurs seins, le galbé de leurs cuisses.
Mais, cela se sut, un jour, s’affirma et se reconfirma haut et fort, par on ne sait quel sortilège, sans qu’on sache qui était à l’origine de ce conte et bien au-delà des murs du couvent. Soeur Astrid avait des cheveux d’or, de miel, mousseux, crèmeux. Qui pourrait obtenir, ne fût-ce qu’un fil de cette toison cachée, roulerait carrosse toute sa vie.
La comptine plaisait, même sans fondement réel.
Bref, pour cette raison ou pour une autre, sœur Astrid était leur préférée. Même si son poignet n’était pas moins habile à manier le martinet…
***
Elle haussa les épaules et se décida pour la Grand-Place. Pleine de touristes et de rencontres possibles, pourquoi s’encombrer d’un amour passé. La vie s’étalait devant elle comme une forêt du Mayombé. Pleine de surprises et de découvertes.
Elle s’éloigna, en se grattant le cuir chevelu. Ses cheveux la démangeaient. Elle avait intérêt à refaire un tour au Matonge. Ou à adopter la coiffure d’Angela Davis. Au fait, pourquoi pas ?…
Ce serait plus simple.

///Article N° : 8646

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Soeur Sourire
Au risque de se perdre





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