En Afrique, la télévision a depuis longtemps supplanté le cinéma. Clips musicaux, journaux d’infos et séries TV sont autant d’événements qui réunissent les familles autour du petit écran. Qu’en est-il actuellement en Algérie ? Quelle série est à la mode ? Quelle influence joue-t-elle sur la population ? Valorise-t-on les productions locales ou se nourrit-on essentiellement de programmes étrangers ? Cette semaine, Salim Aggar, rédacteur en chef du quotidien en langue française L’Expression, réalisateur et fondateur des Journées cinématographiques d’Alger, décrypte pour nous son petit écran.
Quelle est, à ce jour, la série TV locale qui a rencontré le plus grand succès en Algérie ?
Salim Aggar : La série qui a remporté un grand succès en Algérie est très ancienne. Elle s’appelle El Harik (Dar Sbitar) réalisée dans les années 1970 par Mustapha Badie et adaptée du roman de Mohamed Dib, La grande maison. Cette série locale en noir et blanc a remporté un immense succès car elle parlait de la souffrance sociale du peuple face la colonisation française. La série raconte le quotidien de plusieurs familles algériennes vivant dans une grande maison. Deux stars algériennes se sont illustrées dans cette série : Chafia Boudraa, qui interprète le rôle principal d’une mère courage et Biyouna qui avait seulement 17 ans et interprétait une jeune fille effrontée.
L’Algérie n’est pas un producteur de série ou de feuilleton télévisés, comme l’Égypte, la Syrie ou la Turquie aujourd’hui. Elle produisait un feuilleton par an. La raison est simple, l’Algérie était un pays de cinéma ou de téléfilms. Le genre de la série et du feuilleton n’était pas une priorité dans les années 1970-80. En 1999, avec la dissolution des entreprises de cinéma, la majorité des techniciens et réalisateurs se sont convertis dans l’audiovisuel. Dans les années 2000, nous avons commencé à produire des feuilletons à la sauce algérienne. Le premier à utiliser le genre à la perfection est Djamel Fezzaz qui a su utiliser le principe de lutte des classes entre les riches et les pauvres. Aujourd’hui, avec l’aisance financière de l’Algérie et la multiplication des recettes publicitaires, la télévision algérienne est arrivée à produire 15 feuilletons locaux par an, principalement pour le mois sacré du Ramadan (mois de jeûne pratiqué par les musulmans une fois par an, NDLR).
Quelle est, à ce jour, la série étrangère qui mobilise le plus de spectateurs ?
S.A. : La première série américaine à avoir envahi la société algérienne, c’est Dallas. L’Algérie est le premier pays au monde où Dallas fut diffusée (1). En récompense aux efforts et implications actives et du rôle mené par le gouvernement algérien pour parvenir au dénouement de l’affaire de la prise d’otage de l’Ambassade américaine en Iran (le 14 février 1979, NDLR), les USA offrirent à l’Algérie la diffusion du feuilleton Dallas gratuitement et en version française. Ce qui n’était pas du goût de la France, qui avait dû acheter à prix fort la série avant les algériens. Dallas a eu un impact considérable sur la société algérienne et les habitudes sociales. L’Algérie qui était un pays socialiste découvrit graduellement le capitalisme.
De quels pays viennent la majorité des séries TV et pourquoi ?
S.A. : Dans les années 1980, la majorité des séries venait des États-Unis. Après Dallas, les algériens découvrirent Le Nord et le sud, Le riche et le pauvre mais surtout Racines. Cependant, le pays le plus présent dans le paysage audiovisuel algérien dans les années 1980-90 était l’Égypte. Tous les jours à 19h, les algériens et surtout les algériennes avaient rendez-vous avec le mousselssel (feuilleton en arabe). La série égyptienne était imposée par le gouvernement algérien dans le cadre de l’arabisation de la société algérienne. Mais au milieu des années 1990, les algériens découvrirent les séries brésiliennes dont la première à entrer dans les foyers algériens était Isaura. La télénovela brésilienne a eu un succès important. Plus tard, les algériens découvrirent les séries mexicaines, espagnoles, coréennes, syriennes et aujourd’hui turques.
Quelles thématiques plaisent particulièrement aux téléspectateurs ?
S.A. : La thématique préférée des algériens, c’est la lutte des classes. Le combat éternel entre riches et pauvres, noir contre blanc, savants contre ignorants. Les algériens ont toujours été du côté des opprimés. L’amour et le bien-être sont aussi des sujets qui reviennent.
Qui consomme essentiellement ces séries TV ?
S.A. : Les femmes au foyer et les jeunes filles sont les plus grandes consommatrices de feuilletons en Algérie. D’ailleurs, il faut juste regarder le choix des programmateurs télés : 13h pour les femmes au foyer et 19h pour les femmes actives et les étudiantes. La femme demeure la première cible des feuilletons.
Les chaînes TV favorisent-elles la production locale de séries TV ?
S.A. : En Algérie, l’ouverture audiovisuelle n’a été effective qu’en 2012. Avant, seule la télévision publique ENTV diffusait des feuilletons et des séries étrangères. Les jeunes télévisions privées algériennes tel que Echourouk TV, Beur TV ou Dzair TV ont opté pour les sitcom, moins coûteuses et moins lourdes pour fabriquer des feuilletons locaux. A l’heure actuelle, les télévisions privées sont incapables de produire un grand feuilleton ou une série locale.
Avec l’arrivée du câble et du satellite, observez-vous un changement de comportement de la part des téléspectateurs ?
S.A. : Depuis 2006, et l’arrivée des chaînes arabes comme Abou Dhabi, MBC ou encore Dubaï TV, les téléspectateurs algériens découvrent les feuilletons turcs. L’arrivée de ce nouveau genre de feuilleton venant d’un pays musulman avec un dialecte arabe différent que celui de l’égyptien a fortement influencé le changement du comportement du téléspectateur algérien, mais aussi du téléspectateur arabe. Le feuilleton turc a indéniablement séduit le monde arabe. Ce sont des feuilletons diffusés par des chaînes du Golfe et doublés par des comédiens syriens.
Qu’en est-il d’Internet ? Assistez-vous à l’émergence de séries TV diffusées sur YouTube ou d’autres plateformes vidéo ?
S.A. : Au Maghreb et principalement en Algérie, Internet n’est pas très développé, seulement 3 millions de connectés en Algérie. Les jeunes algériens, quand ils sont connectés, ne s’intéressent pas aux séries ou aux feuilletons, car le piratage est développé. Toutes les séries sont téléchargées et vendues en DVD sur les étals des marchés.
Quels seraient, selon vous, les ingrédients essentiels pour qu’une série marche en Algérie ?
S.A. : Les ingrédients essentiels pour qu’une série marche en Algérie sont l’action, les stars et l’Histoire. Les séries qui marchent sont les séries historiques, avec comme toile de fond une histoire romantique. Mais aussi les séries sociales où on évoque la lutte des classes, comme Dallas, Racines ou encore Le riche et le pauvre.
Propos recueillis par Claire Diao
(1) Lire à ce sujet, la très riche étude (en anglais) Interacting with » Dallas « : Cross Cultural Readings of American TV d’Elihu Katz et Tamar Liebes de l’Hebrew University of Jerusalem et de l’Annenberg School of Communications de l’Université de Caroline du Sud (p.57)///Article N° : 12637