Simon Njami érige des « Afriques [en] Capitales »

Print Friendly, PDF & Email

Commissaire d’exposition incontournable – Africa Remix, La Divine Comédie, Après Eden, la Biennale de Dakar – mais aussi l’un des fondateurs de la Revue Noire, Simon Njami prend ses quartiers à La Villette au printemps. Dans le cadre de la seconde édition du Festival pluridisciplinaire 100 % de La Villette, il signe l’exposition Afriques Capitales qui revisite, en photographie, vidéos, installations, le concept de la ville. Rencontre.

Afriscope : Pour l’exposition Afriques Capitales, vous avez choisi des artistes africains du continent, comme la photographe éthiopienne Aida Muluneh, le Congolais Sammy Baloji, l’artiste visuel ivoirien Ouattara Watts. Mais aussi le plasticien français Alexis Peskine, le maroco-britannique Hassan Hajjaj, ou encore les oeuvres d’artistes américains ou caribéens tels que Joseph Kosuth ou Lavar Munroe. Comment s’est opéré le choix des artistes ?
Simon Njami : Le continent africain est au centre de plusieurs langues et de plusieurs histoires. À l’image du Pavillon africain de la Biennale de Venise (2007) qui présentait les oeuvres de Miquel Barceló par exemple, je ne peux pas limiter l’Afrique à un bout de territoire, ce ne serait pas juste, tout comme l’enfermer dans des schémas politiques incertains. Lorsque j’évoque l’Afrique,j’évoque un continent multiple marqué par une large diversité créative et des Histoires. Il m’importe toujours d’insister qu’il n’y a pas « une » mais « des Afriques ».

Comment s’articule Afriques Capitales avec l’exposition Vers le Cap de Bonne Espérance qui ouvre à Lille le 6 avril prochain ?
Elles sont en dialogue. L’une est concentrée sur la ville et l’autre sur le voyage avec tous les échos politiques et sociaux actuels. À travers cet aller-retour entre ces villes françaises, j’attache bien évidemment une importance particulière à ce que mes propos fassent réfléchir sur la question de l’autre et du déplacement, à un mois des élections présidentielles.

Comment voyez-vous une sorte d’effervescence parisienne qui met à l’honneur les artistes issus du continent africain ?
D’une certaine manière cela m’amuse. Paris présente un certain engouement qui, je l’espère, bénéficiera aux artistes avant tout. Réponse l’année prochaine, si cela se maintient ou non.

Pouvez-vous revenir sur votre collaboration avec Dominique Fiat?(1)
Dominique Fiat travaille un projet de biennale intitulé « Africa Aperta » que j’encourage vivement. Lors d’une rencontre à Dakar, elle m’a présenté à Didier Fusillier (NDLR : Président de l’Établissement public du parc et de la grande halle de la Villette depuis 2015)  et nous nous sommes orientés vers l’idée de ce projet d’exposition. C’est donc dans le cadre de ses recherches en vue de cette biennale qui n’a pas encore vu le jour, que l’exposition Afriques Capitales a été pensée.

« L’Afrique est à la fois très âgée et très jeune. C’est du choc géologique de ces deux états que sortira une Afrique moderne. (…) l’Afrique est […] en mutation perpétuelle. Une montagne en formation » écriviez-vous dans le catalogue de l’exposition Africa Remix en 2005. Cette montagne de l’Afrique moderne est-elle encore en formation ?
Oui, l’Afrique est au coeur d’une modernité dont elle négocie les termes elle-même. Dans son ensemble, les pays du continent sont indépendants depuis près de soixante-dix ans ; ce qui représente beaucoup et peu d’années à la fois. En ce qui concerne l’art, nous sommes passés du primitivisme à l’art contemporain, en cohérence avec cette Afrique plurielle. Les artistes se déterminent parfois sur des définitions déjà élaborées, et ce n’est pas l’idéal.Ce qui est primordial, c’est que l’Afrique se dote de ses propres outils, tout en inscrivant ses artistes sur ses propres marchés ; et que des foires d’art contemporain voient le jour sur le continent de manière stable et durable. Cela prend du temps, car il y a toute une dimension éducationnelle soutenue par les acteurs de l’art qui est à penser et à élaborer. Dans mon discours inaugural de la Foire de Johannesburg, j’ai affirmé ne pas reprocher aux peuples d’Afrique d’avoir leurs trésors au Louvre ou au British Museum. En revanche, si les plus jeunes générations doivent faire le même parcours pour admirer des oeuvres de Pascale Marthine Tayou, Yinka Shonibare ou Bili Bidjocka, ce sera la faute des Africains qui doivent comprendre que la culture et l’art comptent.

Vous avez été commissaire général des Rencontres africaines de la Photographie de Bamako (2001 et 2003) ainsi que de la Biennale de Dakar (2016). Que constatez-vous de l’évolution des scènes artistiques dakaroise et bamakoise ? (1)
A ma grande déception, ces scènes artistiques n’évoluent pas comme elles le devraient. Par rapport aux grandes attentes, je regrette toujours un peu les résultats de ces plateformes considérées aujourd’hui comme des centres majeurs de la création contemporaine sur le continent africain. L’inertie artistique entre les biennales déséquilibre ces scènes est symptomatique, ce qu’illustre par exemple le fait que la photographie ne se soit pas installée de manière pérenne à Bamako.  Cela dit, il est nécessaire de tenir en compte des moments difficiles qu’a connus le Mali ces dernières années. De manière générale et paradoxale, le manque d’implication des Etats africains dans les affaires culturelles a généré de multiples initiatives novatrices d’acteurs culturels qui ont voulu changer la donne, et qui ont appris à se débrouiller seuls. Cependant, il est important de souligner qu’à l’issue de la dernière Biennale de Dakar, Macky Sall,  président de la République a répondu à une longue demande des artistes : désormais, la capitale sénégalaise dispose d’un espace dédié à l’art contemporain. Le continent a besoin d’ancrer les choses, c’est comme cela que différentes initiatives suivront.

Est-ce qu’un retour de la Revue Noire est envisagé en 2017 ? (1)
Nous travaillons et réfléchissons toujours. Quand nous serons prêts, nous sortirons quelque chose mais nous ne sommes pas pressés.

 

—–Quand et où ?
Afriques Capitales ce sont plus de dix productions réalisées pour cette exposition et plus d’une soixantaine d’artistes. Visible du 29 mars au 28 mai dans le cadre du festival transdisciplinaire 100 % Villette.
Grande halle de la Villette, 211 av. Jean Jaurès, Paris 19e lavillette.com/evenement/festival-100-2017/

 

(1) Les questions suivies du (1) sont publiées exclusivement sur la version numérique et non sur la version papier de cet entretien paru dans le magazine Afriscope n°50

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire