Après avoir salué le Mauricien Edouard Maunick et le Malgache Jacques Rabemenanjara, la maison d’Alioune Diop célèbre le Congolais Jean-Baptiste Tati-Loutard Homme de culture, critique littéraire et artistique, Jean-Baptiste Tati-Loutard (1938) entre en littérature en 1968, avec les Poèmes de la mer. Un recueil, qui, comme l’indique son titre est une ode à la mer. Le poète se remémore son enfance au bord de l’océan Atlantique, médité sur le nombre de vies ensevelies dans l’océan au moment du douloureux commerce des esclaves, etc. Mais les poèmes de la mer sont surtout connus du public par sa postface roborative dans laquelle le poète congolais engage un dialogue critique avec Léopold Sédar Senghor sur la notion de la négritude, plus précisément sur son essentialisme. Un an plus tard, il publie Les Racines congolaises, qui l’installent comme l’une des voies poétiques du continent, appréciées par ses pairs. En témoigne cette lettre de Léopold Sédar Senghor écrite au moment de la parution de son sixième recueil, Le Dialogue des plateaux, que les éditions Présence Africaine reproduisent en annexe de ses uvres complètes : « La lecture de ce recueil, écrit l’enfant de Joal, m’a confirmé ce que je pensais déjà : que vous êtes, avec M. Félix Tchicaya U Tam’si, le meilleur poète du Congo. En effet vos poèmes sont striqués de ces images analogiques qui sont « paroles plaisantes au cur », et vous y ajoutez, souvent, pour le « plaisir de l’oreille », des « paroles mélodieuses ».
On a souvent, à cause de la fameuse postface critique des Poèmes de la mer, opposé Senghor à Tati-Loutard. Or, s’il est un poète sur le continent africain auquel Tati-Loutard peut s’identifier, c’est certainement Senghor. L’un et l’autre sont d’abord d’éminents philologues et pédagogues, avant d’être des poètes. Tous les deux sont des poètes modernes alliant la critique et la pratique poétique, toujours à l’affût du mot juste. Cependant, là où Senghor se pose en père de la négritude et de la critique négro-africaine, avec tout ce que cela suppose de « suffisance », Tati-Loutard, lui, opte pour l’aphorisme comme mode critique. Ce qu’il appelle la vie poétique : une méditation à l’aide des fragments sur la relation entre l’art et la vie, sur le statut du poète dans la société contemporaine, etc. Et c’est particulièrement dans la pratique de cet art poétique que Tati-Loutard innove dans le champ littéraire africain. Voilà pourquoi, il faut saluer l’initiative de Présence Africaine de regrouper en fin de volume tous ces aphorismes semés dans différents recueils. Poète méditatif, au verbe cristallin, célébrant la mer, la femme, l’amitié, hanté par la fuite du temps, Tati-Loutard ne bénéficie pas encore auprès des francophones de l’audience qu’il mérite.
Né en 1938 au Congo-Brazzaville, il mène depuis un demi-siècle une double carrière politique et littéraire. S’il a publié des romans, nouvelles et essais, il reste essentiellement poète, incontestablement le plus grand poète francophone de l’Afrique subsaharienne à l’heure actuelle.
Jean-Baptiste Tati-Loutard, Oeuvres poétiques, Présence Africaine, 2007, 606 pages, 23 euros.///Article N° : 6829