Théâtre et fraternité au Togo : un festival d’avenir

Entretien de Sylvie Chalaye avec Daniel Komla AYIDA

Directeur du festival
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Le festival de théâtre de la fraternité que dirige au Togo Daniel Komla Ayida n’est pas un festival de plus dans le paysage théâtral africain.

A côté des MASA, FITMO et autres FITEB, le FESTHEF a su conquérir son originalité et une légitimé artistique qui n’est pas fondée sur le quantitatif, ses moyens ne permettant pas la grosse artillerie d’un MASA. Ce festival est encore tout jeune, il soufflera sa sixième bougie en août 2001. Mais il a su construire peu à peu son identité en défendant d’abord une logique de rencontres et d’échanges, échanges de compétences, échanges d’idées, avec un forum et des débats autour des questions que pose la création théâtrale en Afrique. Ce festival a tablé sur la confraternité ; loin d’être la vitrine du meilleur théâtre qui se fait sur le continent, le Festhef se veut d’abord un espace de stimulation intellectuel et artistique qui encourage les jeunes créateurs africains. Daniel Komla Ayida nous rappelle les étapes d’un festival qui a su prendre le temps, qui a choisi de grandir à son rythme et qui atteint aujourd’hui l’âge de raison avec une édition centrée autour des problèmes que pose la diffusion des spectacles sur le continent.
En quelques années, le Festhef est devenu un rendez-vous international. Comment s’est faite cette évolution ?
Le Festival de la fraternité est né en 1993 à l’initiative de jeunes créateurs et artistes togolais dans l’intention de combler le vide qui existait dans le secteur artistique au Togo. Ce fut d’abord à l’échelle d’une région, avec la préfecture de l’Avé. C’est là qu’eut lieu la première édition avec quatre groupes de théâtre togolais. Les perturbations politiques d’alors n’encourageaient guère les activités artistiques, mais le désir de rencontre et d’échange était vif, et les imaginations ont fait contre mauvaise fortune bon coeur…
L’idée d’un festival avec des rendez-vous réguliers était-elle déjà dans l’air ?
Il n’était pas alors question de mettre en place une manifestation durable car les moyens a priori ne suivaient pas. Ce n’est qu’en 1995, que nous avons pu mettre en réseau les initiatives, grâce notamment à l’émergence de nouvelles jeunes compagnies. Nous avons alors eu envie de nous réunir à nouveau, cette fois à Assahoun, une ville à cinquante kilomètres de Lomé au sud. A partir de là l’idée d’un vrai festival est née : la ville qui s’est emparé de l’événement et s’est organisée pour accueillir au moins la moitié des participants en famille. Le programme était conçu autour des rencontres artistiques et de la formation, car la plupart des compagnies du Togo manquaient de formation artistique appropriée, aussi ceux qui avaient eu la chance d’être formés encadraient les jeunes comédiens des troupes amateurs.
Comment êtes-vous passé à la vitesse supérieure ?
La troisième édition a été l’édition de la consécration, nous avons développé une information autour de l’événement. Nous avons soumis des dossiers à des partenaires financiers, notamment l’Union européenne et la Coopération française, qui ont accepté de soutenir le festival. C’est à ce moment que nous avons pu commencer à inviter des compagnies extérieures au Togo. Dès 1997, le lancement international du festival s’est mis en place et nous avons étendu la manifestation.
Mais vous avez toujours gardé l’enjeu des formations.
Bien sûr, nous avons eu la participation de la France, avec une compagnie qui est venue encadrer des artistes togolais autour de la mise en scène, des techniques d’expression corporelles, domaines où les comédiens africains n’ont pas encore assez d’expérience. En 1999, le cercle s’est encore élargi avec la participation de vingt compagnies de divers pays africains et une compagnie française. Et le début d’une collaboration artistique suivie avec la France a vu le jour.
2000 a également été une étape importante pour le festival…
C’est en effet avec l’édition 2000 que le festival est devenu annuel. Nous avons eu plus de moyens pour prendre en charge les comédiens, inviter des artistes, des professionnels et ce cinquième rendez-vous a vu une quinzaine de pays participants. Nous avons par exemple fait venir de France le Théâtre de l’Unité, une compagnie de théâtre de rue qui a animé un atelier et qui a eu un grand retentissement auprès des comédiens togolais. On connaît encore mal le théâtre de rue en Afrique et il a pourtant d’incroyables ressources.
En plus des ateliers, il y a eu un forum consacré à « La renaissance africaine » et un jury international a également décerné des prix de mise en scène et d’interprétation, sans oublier l’écriture. Globalement cette édition nous a confortés dans l’idée que nous pouvions tenir le pari de concevoir un événement théâtral de qualité autour d’un programme de réflexion qui permette réellement aux artistes de débattre des sujets qui leur sont chers.
Quel est le nouveau chantier que vous ouvrez pour l’édition 2001 ?
Nous avons un grand projet de concours des écritures contemporaines pour encourager les jeunes auteurs africains. Nous avons une centaine de pièces à promouvoir et cherchons d’ailleurs un partenaire éditorial. Beaucoup de créations ne tiennent pas encore assez compte du texte et nous voulons promouvoir une vraie synergie entre mise en scène, écriture et jeu. C’est pourquoi nous tenons tant à faire se rencontrer dramaturges, metteurs en scène et comédiens, et que nous nous sommes associés au projet des « Ecritures vagabondes » de Monique Blin. Nous aimerions pouvoir réaliser une résidence d’écriture pour jeunes auteurs qui seraient encadrés par des aînés.
Quel sera le sujet du forum de cette sixième édition ?
« Vivre de son art ? » sera la grande question de l’édition 2001. Nous souhaitons réfléchir notamment aux circuits de diffusion en Afrique. Pour les metteurs en scène, les dramaturges, les comédiens, les créations n’ont pas de suivi, il n’y a pas de politique de diffusion suffisamment importante et tout ceci nous paraît être un énorme gaspillage. Les artistes ne vivent pas de leur art et il est pourtant essentiel aujourd’hui de donner confiance aux créateurs, de sortir de l’éphémère, de ces créations sans lendemain, en travaillant précisément sur des réseaux de diffusion.
Vous défendez les écritures contemporaines, mais vous avez reconstitué un village africain pour accueillir l’édition 2000. Est-ce une contradiction ?
La modernité a besoin d’une assise pour se construire. Nous demandons à l’Afrique contemporaine de s’exprimer, mais nous ne perdons pas de vue ces valeurs intrinsèques qui font notre tradition et notre histoire. Nous avons ouvert un village avec gargottes, paillotes, cours à l’africaine, arbres à palabre, groupes folkloriques, veillées de contes… et revendiquons l’identité africaine de cette convivialité que nous souhaitons au coeur du festival.
Comment définiriez-vous la spécificité du FESTHEF ?
C’est avant tout le contact, ce n’est pas un festival qui invite des artistes à venir faire une prestation avant de repartir ; c’est un festival d’échange, de brassage, de rencontres. C’est un festival qui appartient aux artistes.

Lire l’article de Camille Amouro sur le dernier FESTHEF dans Africultures 22, p.81.///Article N° : 1941

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