Village de Guiembé, Côte d’Ivoire.
Né en 1919, classe 1939, matricule n° 27264.
Six années de service, 2ème Bataillon de Marche.
Silué Namble touchait une pension de 28 000 FCFA tous les 6 mois (280 FF).
Namble Silué est mort le 31 novembre 98. Il a été enterré 3 mois plus tard, après avoir été » formolé « .
Son neveu raconte :
» Lorsqu’il était très heureux dans sa vie, je le vois, il est là, il se lève, il prend la photo de de Gaulle, il se promène dans le village. Il présente la photo de de Gaulle aux gens, il leur dit : » Voilà un brave garçon, c’est lui qui nous a encadré pendant la guerre. Vraiment il était un brave garçon « . Il ne cessait pas de faire les éloges du Général de Gaulle. Vraiment c’était un passionné du Général de Gaulle. »
» Quand il est mort, je ne sais pas si c’est sous forme de traumatismes qui revenaient dans sa tête, de films qui revenaient dans sa tête, mais souvent cette nuit-là il appelait les noms de ses coéquipiers que nous même on ne connaît pas. Il disait » Attaque-le ! « , ou bien » Ils nous attaquent, passe par ici ! « , ou bien « Cachez-vous par-là « . C’est ce qu’il disait. Nous, on ne comprenait plus rien. En tout cas, c’était une scène de guerre. Il était presque inconscient. Je ne sais pas ce que cela symbolise réellement, ces films qui repassaient dans sa tête avant de mourir. »
Tuabou, région de Bakel, Sénégal.
Né vers 1922
» J’ai été recruté ici à Tuabou. J’étais obligé : on ne pouvait pas refuser. On était obligé de partir : personne ne veut rejoindre la mort. Ils sont passés par la liste des impôts pour identifier les gens qui doivent partir : c’est grâce à cela qu’ils ont eu des informations sur nous et qu’ils nous ont pris par la force. Pour moi, c’est inoubliable parce que mes enfants n’ont pas de papiers en France. J’ai fait l’armée presque quatre ans, mais malgré tout ce que j’ai fait pour la France, la France ne m’a pas été reconnaissante. J’ai des contacts avec mes enfants, mais ils vivent péniblement là-bas. A Paris. »
Gandé, Sénégal.
Classe 43.
» Pendant la guerre il y a les gendarmes militaires qui sont derrière les militaires. Il y a du monde. Tu ne peux pas reculer. Et pour aller où ? Il y a des gendarmes derrière vous. Devant c’est dangereux. Derrière c’est dangereux. Il faut continuer. Et même si je cours en France, là-bas, où je pourrais aller ? Il y a la mer. Où je vais monter ? Où ? Quel bateau je vais prendre ? Si on n’est pas mort, on n’est pas mort, si on meurt, c’est fini. Vous êtes comme les compatriotes qui sont morts « .
Village de Tuabou, région de Bakel, Sénégal.
Né en 1916. Engagé volontaire le 30.09.40. N° de matricule : 239 40
» Je me suis engagé volontaire à Dakar et on est parti au Maroc. J’ai fait deux ans et demi au Maroc sous les ordres de Montgomry. Après, j’ai quitté le Maroc pour la France et à la fin de la guerre j’ai cherché du travail là-bas. Au Havre, j’ai réparé des navires. Pendant 10 ans. »
Burkina Faso. Bobo Dioulasso
Pension : 28696 FCFA / 6 mois (286 F)
A eu trois marraines de guerre : Madeleine, Louisette et Jeanne
» Le chef de canton a reçu l’ordre de faire venir les robustes à Kaya : quand les Français veulent quelque chose, ils passent par ce chef-là. Donc il a reçu l’ordre de faire venir tous ceux qui sont capables d’être mobilisés. Le chef de canton, lui, c’est le responsable coutumier. Un Mossi ne peut pas refuser ce qu’il dit. Le chef du canton a dit que si tu disparais, tu t’évades ou quelque chose comme ça, on va attraper ta femme ou ton papa. On est parti nombreux à Kaya. A Kaya, ils ont maintenant choisi ceux qu’ils veulent, et ils ont laissé les autres. »
» Ensuite, on est partis à Bobo où on a fait 8 mois, en formation. Le matin à l’école et le soir des exercices. Jusqu’à 8 mois. Si on ne comprenait pas, on te frappait. Qui nous frappait ? Mais les anciens. Ce sont les anciens qui frappaient. Après, on a pris le bateau à Abidjan jusqu’à Bordeaux. Direct. Nous, on est descendus du bateau le lendemain et on est partis à Libourne. Là-bas il y avait beaucoup de chevaux. On s’occupait du nettoyage et de tout le harnachement des chevaux. J’ai fait ça là-bas 8 mois, avant d’aller au front. »
» Après Libourne, c’est la guerre. Sur la frontière de la Belgique. Les chevaux de bataille, c’est moi-même qui m’en occupe. Les chevaux tiraient les canons. Six chevaux par canon. C’est ça que nous faisions. Les Allemands ont fait un cercle autour de nous et ensuite ils nous ont pris. Au début, quand on nous a attrapés nouvellement là, les Allemands pensent que les Noirs, l’Africain, si on le tue, il se relève. C’est-à-dire que nous, on est des immortels, quoi ! Donc, sur place, ils ont commencé à tuer beaucoup d’Africains. Pour voir si c’était une réalité. »
Région de Korhogo, Côte d’Ivoire.
Né en 1917, matricule n° 10894.
» Je pensais même mourir et il s’est trouvé que je ne suis pas mort. Je me suis relevé. Puis les brigadiers allemands se sont occupés de moi, m’ont mis dans une voiture et m’ont soigné. Après, là où on a été amenés, il n’y avait pas d’eau ni à manger. Pendant huit jours, on n’a rien eu à boire et à manger. Certains sont morts par manque d’eau. Alors les Allemands sortaient ceux-là. Ils ont aligné les morts au bord d’une grande maison, comme ça, là. J’ai voulu me cacher pour voir ceux qui étaient morts mais les Allemands n’ont pas voulu. Puis on a marché toute la journée, ceux qui étaient survivants, jusqu’à la nuit. Le lendemain, on est rentrés dans un camp de prisonniers. Alors on a bu de l’eau, on nous a donné à boire d’abord. Puis les Allemands nous ont rassemblés et ils nous ont filmés. Nous, on ne connaissait rien où on était. On était fatigué. C’était chaud, quoi ! ».
Grand Bassam, Côte d’Ivoire
Né en 1922, classe 42/43, matricule 97633
« De la part des Français on attendait au moins de la reconnaissance, au retour. Mais vous savez, moi, quand je suis arrivé ici
chacun avait droit à 3 m. de tissu. Et comme j’avais une famille, j’ai eu droit à 6 m. de tissu. Je n’avais pas droit à du pain. J’ai été obligé d’avoir des tickets de pain. C’est
Maintenant ce sont des petites choses qui n’ont l’air de rien, mais c’est choquant. Comme quand vous étiez pour la fête du 14 juillet : on a défilé avec tous les enfants et après le commandant nous a dit : » vous n’êtes pas invité « . J’ai été obligé de sortir ma carte de combattant et seulement alors ils m’ont accepté. C’était en 46 ou 47. On attendait de la part des Européens une reconnaissance. Surtout que l’on était fonctionnaire. Non pas avoir le pas sur l’Européen, mais une reconnaissance. Les administrateurs, ce qu’ils ne voulaient pas, c’est qu’on soit assimilé. »
Dikodougou. Côte d’Ivoire.
Né en 1924, classe 44, matricule n° 12 942.
» En 1944, j’étais à Bouaké, puis à Bamako. J’ai pris le bateau à Dakar pour aller en France. J’étais appelé. Non, on n’était pas content. Mon père n’était pas d’accord. J’ai fait trois ans et j’ai arrêté. Mais après, mon père était content de moi. Toujours il me disait de m’engager et je répondais non. Au retour, on m’a appelé pour continuer. J’ai dit que non. Ils m’ont appelé au bureau de Korhogo, ils m’ont dit : » Quoi ! Tu n’as qu’à y retourner ! « . J’ai dit : » Non, mon père est là bas, tout seul. Je ne peux pas aller encore « . Je n’ai pas tiré une balle là bas. J’ai gardé des prisonniers allemands en France, seulement. »
Kayes, Mali.
Né en 1920 à Tombouctou, matricule n° 12940.
» Aujourd’hui, nous sommes là. Seulement tout ce qui nous vexe actuellement, c’est que la France nous a complètement abandonnés. Elle a oublié les moments les plus durs de sa Libération. Combien sont ceux qui sont tombés sur le champ d’honneur ? Nous, les rescapés, ils doivent s’occuper de nous. Maintenant ce que nous touchons comme pension, ça ne vaut rien pour le train de vie d’ici. Egalement nous sommes écurés parce que nous avons parmi nous des gens qui se foutent de nous. Parce que nous avons combattu pour la France. Oui, parmi les Africains. Parce que nous avons combattu pour la France. »
Sanbagoré, région de Nioro du Sahel, Mali
Né en 1909, classe 29, matricule 68026
Incorporé au 2° RTS pour 4 ans le 03.03.29. Passe ensuite au 14° RTS le 17.05.29. Libéré du service le 05.03.33. Se retire dans son village.
Rappelé sous les drapeaux le 11.12.39
» Quand on est revenu au village, tout le monde était joyeux, content de voir leurs parents qui ne sont pas morts à la guerre, qu’on est revenu sain et sauf. Quand on a quitté ici, on ne parlait pas français. On est parti en France et on a appris à parler le français. J’ai commencé à écrire aussi. Maintenant j’ai perdu la mémoire, sans quoi je pourrais écrire un peu. Je ne suis pas passé par l’école. J’ai appris avec les camarades français et par les camarades africains qui savaient. »
» Quand je suis revenu ici, j’étais le seul lettré dans le village. Quand les impôts arrivaient, c’est moi qui écrivais la comptabilité pour le chef. S’il y a tant de sommes à payer
C’est moi qui faisais tout. Voilà : quand je suis revenu, il y a eu un respect, de la part de mes parents, de la population civile. J’étais considéré, j’étais le seul à avoir voyagé, qui est parti en France, qui a fait la guerre, qui est revenu, qui connaissait la vie, ce qu’il faut faire, ce qui est bien, ce qui n’est pas bien. J’étais le seul qui connaissait ça. »
Korhogo, Côte d’Ivoire.
Né en 1917, classe 1937, matricule 10850.
» Le recrutement ? Mais
On est bien obligé. Parce que le médecin vous mettait à nu. On n’a plus rien. Plus de boubou. Le médecin vous met à nu pour pouvoir bien contrôler : la bouche, tout. Il faut que tu sois en bonne santé. Il m’a mis apte, que je suis bon. Quand le docteur a fini avec vous, vous êtes encore tout nu. Pas de caleçon. Rien. Après, il y a le sac : là on met un papier blanc et un papier rouge et on les roule. Tu les mets dans le sac. Tu mets la main dedans et puis ils disent d’attraper un de ces rouleaux : » Sortez-le ! « . Et les hommes disaient : » Allez, dépêche-toi ! On t’attend, mon vieux ! Fais-en sortir un ! « . Alors tu es fâché et tu en prends un. Alors si tu en sors un tout blanc, tu restes, et si tu en sors un tout rouge, dans le tirage au sort, si tu sors un tout rouge, on t’habille tout de suite. Oui j’ai pris le rouge, j’ai pas fait exprès pour en attraper un rouge. Voilà. Il est tout rouge. Les camarades qui ont pris blanc, ils reprennent leurs habits que le docteur leur avait enlevés et puis ils s’en vont au village encore. Toi qui as pris rouge, tu as la chéchia. C’est ça que les Tirailleurs sénégalais portent : c’est la chéchia rouge. Il y en a qui sont contents et il y en a qui ne sont pas contents. Si j’étais content ? Mais étant jeune j’avais pas 20 ans encore étant jeune on était content. Mais on nous a pas dit que l’on va partir à la guerre. C’est le service militaire d’abord : la guerre est déclarée après notre arrivée. On est parti en France en 37/38. Vers la fin de 37, parce que l’on est arrivé vers l’hivernage, au moment du froid. Il n’y avait pas encore la guerre. »
» Nous ne pouvions pas savoir ce que les Français pensaient de nous. Sauf quand on est partis à la guerre. Le moment où on va à la guerre, il y a les vieux, il y a les vieilles femmes, des vieilles Françaises. Elles pleurent. Nous, quand on va vers la frontière allemande, les gens nous donnent des pull-overs, ils nous donnent des habits, des choses résistant au froid. En pleurant. On est très chargé. Mais ce qu’on a pu porter, on l’a pris. Parce que des fois il y en avait trop. Des fois il y en a trop. Des cadeaux, à manger, un lapin, quelque chose que tu peux porter. S’il y a une place dans la musette, tu prends. Et puis tu t’en vas. C’est comme ça. Les vieilles femmes, les vieux papas pleurent. Ils ne peuvent pas marcher et pourtant ils sont à côté de nous-même. Le Français dit : » Bonne chance, bonne chance mon fils. »
Bobo Dioulasso, Burkina Faso.
Né en 1918, classe 38, matricule n° 36195.
Pensionné : 28696 FCFA par semestre (286FF).
» On a enlevé les culasses des fusils, mis en tas avec les pelles-bêches et tout. On a fait un trou pour camoufler tout. Après on a été mis par colonnes par trois. L’endroit où on est partis encore, je ne connais pas ce village. Ils ont mis du fil barbelé tout près d’un marigot ; nous étions là-bas maintenant. Bon, le moment où nous étions là bas, on ne mange pas. On nous donne pas à manger. Il n’y a rien, rien à manger. Nous, on a commencé à manger l’herbe, l’herbe qu’on peut manger. Avec des feuilles. On appelle ça de la salade sauvage. Nous on a mangé ça. Après quelques jours encore, ils sont venus nous appeler là-bas pour nous amener
Moi je ne connais pas ce pays
C’était pas loin de Nancy. Oui, nous sommes partis maintenant pour travailler dans l’usine. Il y a toutes les sortes de travaux là-dedans. C’était une grande usine. Les Allemands là ont fait sortir tous les Européens, les civils. C’est les prisonniers qui font ce travail maintenant. Il y a quelques patrons qui donnent les ordres aux prisonniers, qui nous montrent le travail qu’on doit faire. Tous les Européens qui ont été là, on les a fait quitter. Peut-être qu’on les a amenés en Allemagne, on ne savait pas. »
Nioro du Sahel, Mali.
Né vers 1922, classe 42, matricule n° 80859.
Ne touche pas de pension.
» Quand on rentrait dans les villages en Allemagne, les gens n’étaient pas habitués. Ils disaient : » Schweiss kommen, Schweiss kommen « . Ils nous parlaient comme ça. » Schweiss kommen » ça veut dire : » Les Noirs sont arrivés, les Noirs sont arrivés « . Les enfants parlaient comme ça, ils touchaient notre corps. Ils croyaient que l’on avait mis du savon ou quelque chose, de la peinture. S’ils font comme ça (il se touche du doigt), ils ne voient rien. Ils comprennent que c’est Dieu qui nous a fait Noirs. Oui, on était étonné. Nous on n’avait jamais vu d’Allemands, mais on a vu des Européens, les Français qui étaient avec nous. Mais les Allemands dans les villages disaient : » Nous on n’a jamais vu de Noirs « . C’est pour ça que les enfants ils viennent. Ils nous regardent comme de la viande, quoi : » Schweiss kommen, Schweiss kommen. »
Tapalaka, Côte d’Ivoire. Agriculteur, né en 1914, classe 34, mat. 82306.
Entre 34 et 36 il est en France (appelé le 21.01.34, libéré le 22.01.37).
Rappelé le 17.09.39, blessé en 40. Prisonnier de guerre n°17485, stalag n°133
» Nous étions très mécontents lorsqu’on nous a pris ici et arrivés à Abidjan beaucoup sont morts de chagrin. Parce qu’on ne voulait pas partir. Certains se pendaient parce qu’ils refusaient de partir, parce qu’ils avaient trop peur. Parce que leurs aînés (de 14/18) leur ont expliqué un petit truc : ils disaient que lorsque tu es à la guerre, celui qui est devant toi, c’est lui qui reçoit les balles. Donc, si quelqu’un veut se cacher derrière toi, tu le tues. Puisque tu n’es pas un arbre. »
Abidjan, Côte d’Ivoire.
Né en 1916. Appelé en 1939, matricule n°26126, prisonnier de guerre n°5177 (stalag n°184).
Pension : 28 000 CFA tous les 6 mois (280 FF).
» En 1937, on m’a pris et j’ai fait le recrutement. Oui, j’ai été obligé, appelé. Le 15 décembre 38, je suis à Abidjan. A Abidjan, j’ai fait 8 mois. Puis j’ai pris le bateau à Port Bouët, le 31 août 39. On a été à Casablanca, puis à Fès au Maroc, puis Oujda et Oran. A Oran, j’ai pris le bateau, un bateau de guerre jusqu’à Marseille. Et puis à Marseille, j’ai pris le train. Jusqu’à chose, comment
Rivesalt, puis Perpignan. »
» Puis on a pris le train pour aller au front. On a fait l’attaque avec les Allemands. Le 22 juin, j’étais fait prisonnier de guerre. Du 22 juin 40 jusqu’au 24 août 44, j’ai été prisonnier de guerre (
). Les Allemands nous ont pris. Quand il pleuvait, nous étions là dedans, quand il faisait froid, nous étions là dedans. Nous avons fait trois mois, puis on nous a parqués pour aller de l’autre côté. Mais c’était il y a longtemps, par où je suis passé, j’ai oublié. »
Village de Pangarikaha, Côte d’Ivoire
Né en 1915. Engagé volontaire, ex-prisonnier de guerre, matricule n° 3304
» Je suis de la classe 1936. Moi, j’étais volontaire. Je suis parti à Bouaké. Puis à Bouna. Puis à Abidjan. De Abidjan à Dakar. Puis en France : à Marseille et Perpignan. Ensuite la guerre a été déclarée et on a été à la guerre. En Belgique, à côté de la Belgique, là où il y a un grand village, Amiens. Vous connaissez Amiens ? La bataille de la Somme
Partout c’était l’enfer. Ici c’était l’enfer, à côté c’était l’enfer. A côté de la Belgique. »
» Moi j’ai été blessé. Vous n’avez pas vu mes papiers là ? Après on a été à Paris. Puis envoyés à Fréjus. Là-bas, on nous a donné des papiers, à Fréjus. (
) Je suis revenu en Afrique en 41. Ils m’ont payé. Mais pas beaucoup. Les anciens combattants, nous, ils nous payent pas beaucoup. »
///Article N° : 1208