Pour la danse contemporaine africaine, la question de la transmission fait l’objet d’une riche réflexion.
En 1977 s’ouvrait à Dakar MUDRA Afrique, première école panafricaine du spectacle sous la direction de Germaine Acogny et première étape pour Léopold Sédar Senghor « vers la création d’une danse nouvelle, négro-africaine, mais sentie, goûtée par tous les hommes, de toutes les civilisations différentes ».
Vingt ans après, toujours grâce à l’énergie inlassable de Germaine Acogny, renaissait l’école fermée en 1985, devenue École des sables à Toubab Dialaw (cf Africultures 42).
Vingt ans et plus pour que se développent ici et là, de Ouagadougou à Kinshasa ou à Nairobi, de nouvelles initiatives sous l’impulsion de jeunes créateurs. Nourri, bien que résolument affranchi des techniques des aînés, naissait un désir de transmettre autrement
Pour Salia Sanou, Opiyo Okach ou Faustin Linyekula, désireux de développer des projets dans leur pays, la transmission s’est imposée comme une nécessité, face à l’extrême dénuement structurel et à l’absence de tout courant contemporain.
« As-tu jamais vu quelqu’un sortir du feu et y revenir ? », l’avait mis en garde l’un de ses oncles. Faustin Linyekula est pourtant retourné au feu et développe depuis plus d’un an au sein des Studios Kabako – lieu d’échanges et de recherche – un travail sur la durée autour de « l’être sur scène » : qu’est-ce qu’un corps qui bouge et respire face à d’autres corps qui regardent ? Il s’agit de former des interprètes et de fournir grâce à l’improvisation, doublée d’une base technique organique, les outils nécessaires à la création. Avec l’espoir que se développe une réelle présence chorégraphique à Kinshasa d’ici cinq ans. Car s’il y a incontestablement, pour ce jeune chorégraphe, un savoir-faire technique en Afrique, il manque cruellement de danseurs et d’artistes à même de renouveler les techniques acquises et de questionner et prolonger les propos des chorégraphes.
Et il s’agit bien là d’une préoccupation commune à cette génération.
Les transmetteurs sont avant tout des artistes
Pour Salia Sanou, les deux notions sont complémentaires : « La transmission représente pour moi la perpétuation d’une idée, elle est la continuité d’une vision, cette vision qui se personnalise et qui devient collective au fil des temps. Il est fondamental dans le parcours d’un artiste de transmettre en créant, de redonner ce qui a été reçu et digéré. »
des artistes qui ouvrent des chemins vers la création. Transmettre « un état d’être, un état de corps ouvert à la créativité » pour Salia, « une énergie intérieure, l’instant de « l’excorporation », de la naissance de la danse » pour le danseur congolais Chrysogone Diangouaya.
L’analyse du mouvement prime sur le symbolique. Les mouvements se valent, l’important est ce qu’on en fait. Le premier travail de Faustin à Kinshasa a été « d’apprendre aux danseurs à regarder autour d’eux, à s’approprier l’ici et l’instant. »
Venu du théâtre et du mime, Opiyo Okach a lui-aussi développé une formation sur le long terme à Nairobi au sein du programme Génération 2001. Délaissant la technique, l’enseignement proposé entend dépasser « la surface architecturale de la danse pour aller vers l’intériorité ». Interroger les sources du mouvement, l’intention, l’articulation entre le corps et le mental : quel est le sujet ? quels sont les territoires à explorer ?
Exit le cours académique, ce que mettent en place ces jeunes chorégraphes relève avant tout d’un processus de partage et de recherche en commun : « apprendre en apprenant » résume Chrysogone. La philosophie de Salia est ainsi toute dans ce frottement, cette confrontation, cette perpétuelle remise en question : « Le jour où je pourrai affirmer que j’ai trouvé ce que je cherche, je signerai la fin de ma carrière artistique ».
Une posture pas toujours bien comprise en Europe ou aux Etats-Unis. Opiyo s’est ainsi souvent heurté à la difficulté de proposer un réel travail d’atelier. « Les danseurs viennent non pas pour un travail de recherche, mais pour des cours, pour apprendre des mouvements concrets, des séquences de pas africains à même d’enrichir leur vocabulaire. Ce malentendu se nourrit bien sûr d’une image biaisée de la danse africaine, image par ailleurs entretenue par de nombreuses écoles en Europe. Pour beaucoup, un cours de danse africaine se résume à l’appel des percussions, les enchaînements, l’énergie dépensée et une saine fatigue
En fait, les danseurs réellement intéressés par des processus de composition ou de réflexion sur le mouvement viennent rarement dans nos ateliers, simplement en raison de l’étiquette africaine ! Il nous appartient donc, à nous comme aux structures qui nous invitent, de changer cette image de la danse africaine en montrant que nous développons chacun dans des territoires qui nous sont propres des formes artistiques à part entière. »
La position de Faustin est à cet égard radicale : « L’enseignement ne m’intéresse en Occident que si est évacuée mon africanité. Je ne transmets pas de la danse africaine, mais une réflexion personnelle sur l’interprétation. »
Car tout est là, ces artistes nourris de multiples influences et développant des travaux personnels transmettent-ils, créent-ils de la danse africaine ? Quels rapports entretiennent-ils avec les danses traditionnelles de leur pays ?
Dans un pays où la grande affaire est de survivre, où la misère matérielle est permanente, Faustin montre peu d’états d’âme face aux bagages traditionnels : « Pour moi, la pérennité des danses traditionnelles n’est pas un problème. Elles mourront un jour comme toute chose. Ce qui est important aujourd’hui, c’est de donner aux danseurs comme au public un morceau de rêve : les gens ont ici assez pleuré, il faut apaiser le cours du temps et ouvrir d’autres fenêtres sur le monde. »
Héritage encombrant pour certains, richesse spirituelle pour d’autres.
Plus qu’à la danse traditionnelle, Opiyo s’est attaché au rituel, comme source de spécificité des corps, une recherche qui des « Rituals of the Rock » à « Abila » innerve ses différentes créations. « J’avais besoin de trouver en moi-même quelque chose de différent par rapport à tout ce que j’avais appris ailleurs et d’explorer cette singularité, surtout dans une ville comme Nairobi où la relation à la tradition est complexe et difficile. »
Ouverte sur la création, partagée, remise en question, la transmission est surtout un moyen pour les artistes africains de rompre leur isolement, de multiplier les rencontres et les repères pour mieux se placer au cur du monde. Et Salia de témoigner : « Les huit dernières années, nous avons assisté à des échanges entre chorégraphes occidentaux et danseurs africains, ce qui s’est avéré très constructif. Il est nécessaire aujourd’hui que se rencontrent les structures de formation et de création, les chorégraphes et danseurs des différents pays du continent. L’Afrique doit écouter ce qu’elle a à dire. »
Remerciements Agathe Poupeney
Propos notamment recueillis dans le cadre de « Afriques : de la tradition à la modernité », un stage professionnel organisé en juin 2002 par le Centre national de la danse, avec Elsa Wolliaston et Chrysogone Diangouaya, Flora Théfaine et Patrick Acogny, Salia Sanou et Opiyo Okach, Germaine Acogny et Sophiatou Kossoko. ///Article N° : 2417