Faustin Linyekula a eu une formation de comédien au ccf de Kisangani bien qu’il soit danseur chorégraphe. Pendant 2 ans, de 1989 à 1991, il a suivi une formation d’acteur assez physique, avec Maître Mwambaye et Alain Mollot (metteur en scène parisien qui a étudié et enseigne la méthode de Jacques Le Coq). De 91 à 93, Faustin a continué à bosser sur le théâtre avec des copains s’appuyant sur des adaptations de Molière et Marivaux. C’est vraiment en 1995 qu’il a son premier cours de danse contemporaine dans un stage au Kenya, un pays où il est parti en 1993, un peu sur un coup de tête. Sa rencontre avec Opiyo Okach, mime kenyan, et Afrah Tenambengen, jeune danseuse classique de 18 ans à la recherche d’autre chose, éthiopienne de mère et allemande de père donne un tournant tout autre à sa carrière : c’est la naissance de la compagnie » Gaara « . Le FIA lui a donné la possibilité de mettre ses pieds dans la capitale pour la toute première fois de sa vie en animant un stage de danse contemporaine.
Peux-tu faire un état de lieu de la danse à partir de cet atelier ?
C’est vrai que c’est pour moi une première à Kin, vu que j’ai plutôt grandi à Kisangani…J’essaie de voir ce qu’il y a car je suis intrigué que mon pays qui fait danser toute l’Afrique soit absente du concert culturel africain, voire mondial. En deux jours, ce serait présomptueux de ma part d’en dire un mot mais je pense que tout est à faire, tout est à construire.
Partant du principe que tout le monde est doué et que tous les mouvements se valent, quel serait d’après toi le vrai problème de la danse contemporaine alors ?
La création . Je pense que tout le monde n’est pas apte à tout faire…Mais je reconnais l’existence d’un potentiel réel, sauf que le talent sans la technique ressemble à un tas d’argile difforme, non modèle.
Le premier problème c’est que les gens n’ont pas accès à la formation, et le deuxième c’est que les besoins ne sont pas identifiés. Sur le plan humain surtout, l’enseignement est limité et daté par rapport au champ actuel, vaste et actualisé. Ce que je fais ici par exemple, je donne des outils susceptibles d’être appliqués avec n’importe quelle technique, quelle que soit l’école d’où l’on vienne, celles de Germaine Acogny compris. Et les difficultés économiques des danseurs se résument à une absence de minimum de bien-être matériel qui constitue un frein à la création.
En observant ce travail d’atelier, j’ai eu l’impression que les femmes ne se font pas trop remarquer…
Je l’ai aussi constaté et me suis aussi posé la question. Par pure spéculation, je me demande si c’est un problème culturel ou autre chose comme la place dominante de l’homme. En Occident, sur une troupe de dix danseurs, huit sont de femmes. Ici c’est un manque terrible…
La danse, contemporaine ou autre, serait-elle liée au physique, à la physionomie ?
Non pas nécessairement. La danse est une forme vivante, elle est la vie même et ne peut être confinée dans un type de corps, au contraire…On peut être gros, mince, grand ou petit
cela compte peu… L’essentiel étant de faire ressortir la singularité de chacun dans le groupe. C’est l’esprit même des exercices que je propose.
Penses-tu que 4 jours sont suffisants pour mettre en valeur ou à profit les dispositions de chacun des participants ?
Pour la mise en valeur comme tu dis, non. Ce temps ne me permet que de leur faire prendre conscience des outils dont ils ont besoin pour leur art, de les bombarder d’informations. A eux de les compléter seuls par des recherches, s’ils en ont le courage.
C’est vrai que dans l’art, une certaine sensibilité ajoutée aux stages, ateliers et formations apportent un plus dans la technicité de l’artiste, comment arrives-tu à déceler voire gérer dans cet atelier ceux qui sont passés par là ?
Le groupe n’est pas homogène du tout, mais je propose un même travail pour tous et c’est alors l’expérience de corps de chacun qui joue à ce moment.
Le travail que je propose est une mise à nue, un retrait des masques. C’est pourquoi je préfère travailler avec des gars qui sont ‘vierges’c’est à dire qui viennent vides et vidés de tout, ceux-là accueillent et assimilent mieux ce qui leur est proposé. Les autres ont déjà leurs habitudes, leurs tics à retravailler.
Je propose un travail technique basé sur la danse ‘release’développée aux USA. Celle-ci prône le relâchement, c’est le contraire de ce que propose les stages qui axent tout dans la tension.
Quel message aimerais-tu faire passer concernant ton art ?
La danse, par rapport à la scène, c’est important de le souligner, est un langage spécifique qui peut tout traduire. La mémoire du corps est, à mon sens, la plus fidèle. Et par rapport à notre société où tout nous a été confisqué, identité surtout, il ne nous reste que le corps, dernier rempart de la liberté. La rue me donne ce spectacle où tout le monde tient à mettre en valeur son corps par des fringues, des bijoux ou une coiffure extravagants. Il faut donc creuser chez soi son originalité. Le corps et la danse nous aide à atteindre l’universel. Et si on ne l’atteint pas, c’est souvent parce qu’on a tendance à vouloir exister par rapport au regard des autres et aux ingrédients d’ailleurs. C’est un peu le problème que rencontre les oeuvres africaines à l’extérieur…C’est à nous de dire qui nous sommes et ce que nous voulons.
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