Tristes métaphores

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Du 6 au 15 novembre derniers s’est déroulée la « semaine de l’Angola » sous l’égide de l’ambassade de la République Angolaise à Paris. Semaine de manifestations culturelles ponctuée de concerts, défilés de mode, mais aussi de séminaires littéraires, économiques et politiques. Les plasticiens n’étaient pas en reste, réunis pour une exposition « Métaphores Angolaises », surtout métaphore du peu de considération accordée aux artistes angolais.

Les bras sont tendus, multiples, émergeant de tous les côtés de la toile. Les regards avides, déterminés, sont baignés dans l’incandescence de couleurs rouges-orangées. Le mouvement des mains et des visages, l’ondoiement des lignes, le format de la toile donnent une tonalité particulière à « Clameur pour la paix », tableau d’Alvaro Macieira peintre confirmé de la scène picturale angolaise.
Tout comme les autres œuvres exposées, plus d’une cinquantaine – censées être représentatives de la production plastique angolaise de cette dernière décennie – la clameur du peuple angolais ne recevra que l’écho des pas pressés, indifférents, des bureaucrates qui ne font que passer dans ce froid couloir de la Grande Arche de la Défense à Paris. Triste métaphore de l’indifférence, à l’image de celle suscitée par le demi million de victimes de la guerre civile qui ravage l’Angola depuis 25 ans.
Ce qui ne laisse en revanche pas indifférent, ce sont les ressources naturelles encore peu exploitées du pays. L’exposition « Métaphores Angolaises », tout comme les autres manifestations culturelles (concert, séminaires, défilés de mode) qui ont accompagné la « semaine de l’Angola », ne doit son existence qu’à la signature, le 9 novembre dernier à Paris, d’un protocole d’accord entre la Sonangol (Société nationale angolaise de pétrole) et le groupe français TotalFinaElf qui devrait permettre au groupe français d’exploiter au large des côtes angolaises, le plus grand champ pétrolier en eau profonde de la planète. L’Angola pourrait ainsi devenir, d’ici une décennie, le premier pays africain producteur de pétrole devant le Nigeria (2 millions de barils par jour) et atteindre en 2015 le même niveau de production que celui des Emirats Arabes Unis.
Si la signature d’un juteux contrat économique peut permettre la mise en avant de la diversité et la richesse culturelle d’un pays, tant mieux ! Le drame c’est que, loin d’être mise en avant, la culture devient souvent prétexte, faire valoir pour masquer d’autres intérêts non avoués. Dans le cadre de cette signature, il est de meilleur ton de parler de la musique et de la peinture angolaise plutôt que de revenir sur les affaires de trafics d’armes et d’influence dans lesquelles des noms comme ceux de Charles Pasqua, Pierre Falcone ou Jean-Christophe Mitterrand ont été cités lorsque éclatèrent ces fameuses « affaires ».
Comment rendre compte d’un pan de la culture angolaise quand celle-ci est livrée à un public fantôme dans des conditions désastreuses ? Avant d’échouer dans un couloir froid (où certaines toiles n’étaient même plus accompagnées d’informations de bases concernant le nom de l’artiste, la technique utilisée et la date de réalisation), les œuvres avaient d’abord été présentées en grandes pompes deux jours durant dans la Grande salle du Futur (Grande Arche) sous l’égide de l’ambassade d’Angola à Paris. Pourquoi avoir poursuivi l’exposition dans un lieu qui n’en est pas un, au risque de discréditer le travail des artistes et celui, sérieux, du commissaire de l’exposition, Adriano Mixinge, spécialiste des arts plastiques de son pays ? (cf son interview dans Africultures 28)
Une fois de plus, la forme désastreuse de cette exposition en dit long sur l’indifférence, voire le mépris avec lesquels sont traitées les œuvres des artistes africains. Une fois de plus, les œuvres ont été reléguées derrière un bar, au fond d’un couloir dans lequel on échoue parce qu’on a rendez-vous dans une salle attenante ou parce qu’on s’est perdu dans le dédale de la Grande Arche. A côté des artistes angolais, le peintre (et cinéaste) sénégalais Moussa Séné Absa, actuellement exposé dans la salle du restaurant « Le Totem » dans l’enceinte du Musée de l’Homme à Paris, peut s’estimer heureux. Ses œuvres ne sont bien entendu pas exposées au musée, mais il faut quand même y pénétrer pour accéder à la salle du restaurant.
Que restera-t-il des aquarelles aux couleurs vives d’Antonio Gomes Gonga, habitées par des personnages mi-hommes mi-animaux inspirés de la mémoire collective des Kimbundu et des Bakango ? Qui aura vu les corps emmêlés et encordés de Quissanga dont le pinceau s’acharne sur des regards cernés, comme harassés par le poids des choses ? Qui aura perçu les « Confidences intimes » d’un Domingos Barcas, travaillant sur la matière dont il sature ses toiles granulées, dans lesquelles sont fondus des morceaux de jutes comme des morceaux de vie ?
De cette présentation hétéroclite et inégale de la production plastique angolaise se dégagent les images d’une société meurtrie et épuisée par des années de conflit au cœur duquel les hommes survivent plus qu’ils ne vivent – quand la mort n’a pas tout envahi, comme dans la gravure « Morte à massacra » de Kida, où s’entrechoquent des œufs éventrés de croix noires. Pourtant, par-delà la mort et la souffrance, émergent ça et là des signes revigorants de lendemains plus chantants. Ils puisent à la fois dans les icônes de la tradition, mais aussi dans les symboles universels telles la fécondité ou la maternité revisités chez Quissanga. Force de vie encore dans les thèmes de la rencontre et du rassemblement exprimés dans les œuvres de Dom Sebas qui sont comme un défi entonné à la face d’un pays déchiré.
Pas moins de onze artistes ont été sélectionnés, un catalogue édité dont la préface est signée par l’ambassadeur de la République d’Angola à Paris, Assunçao dos Anjos, présentant « Métaphores Angolaises » comme « la première exposition collective d’artistes angolais en Europe, en cette première décennie du XXIème siècle ». Une exposition qui avait donc l’ambition d’une certaine envergure, anéantie de fait par le choix d’un espace mal approprié et par une présentation peu rigoureuse d’œuvres multiples, à l’image de la société angolaise, multiethnique et multiculturelle, dont les artistes qui en ont « une vision profondément introspective », sont des témoins privilégiés. Des mutations de la société et de l’évolution des arts plastiques angolais de ces dernières années, les passants distraits de la Grande Arche n’auront rien perçu, au point que « Quem acusa » (qu’il accuse), sculpture sur bois de Tona Antonio Tomas Ana (dit Tona), a servi de porte manteau à des hommes d’affaires affairés. Qui a dit que l’art était inutile ?

///Article N° : 127

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Les images de l'article
© Antonio Gomes Gonga - 2001
Clameur pour la paix, de Alvaro Macieira
© Afonso Massongui





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