Omovo est un jeune passionné de peinture qui a poussé comme une herbe folle dans un monde glauque et sans pitié d’une banlieue crasseuse de Lagos (l’histoire se situe sur le plan historique pendant et juste après la guerre du Biafra, Ben Okri avait alors une dizaine d’années). C’est dans une famille déchirée, avec une mère décédée, un père fraîchement remarié qui a chassé ses deux fils aînés, une belle mère aux intentions venimeuses et accapareuses, que le jeune Omovo essaie par tous les moyens de donner un sens à sa vie et de trouver des raisons d’espérer. La première branche à laquelle il s’agrippa avec une volonté féroce fut justement la peinture. Cette passion allait vite se nourrir des douleurs passées et présentes : » Omovo s’enferma dans la peinture. Cela n’était plus un passe-temps d’enfance. Après la mort de sa mère, c’était devenu un monde rempli de sensations étranges. Avec le départ de ses frères, la peinture devint une passion. Une façon d’explorer les significations cachées de sa vie et d’affronter les paysages de miasmes qui l’entouraient… » Omovo avait le don de voir ce qui échappait au commun des habitants de ce ghetto grouillant à la fois de vie et de désespoir. Et son regard d’artiste fin et sensible a vite fait de découvrir la terrible solitude et la misérable vie de couple de la jeune et belle Ifeyiwa mariée de force au vieux et brutal Takpo. Ifeyiwa, elle, vit tout de suite en Omovo, une lumière capable d’éclairer un quotidien sombre et peut-être un avenir incertain. Cet amour dangereux, Omovo et Ifeyiwa vont y plonger avec une frénésie incroyable. Il leur permettra, pendant les courts instants de son accomplissement, d’oublier les noirceurs du monde qui les entoure avec ses combines, ses relations faussées, sa violence, son tissu social déchiré, ses oppositions inconciables. Mais la terrible réalité va vite les rattraper. Sa passion charnelle pour Ifeyiwa et sa peinture, Omovo le savait, n’étaient qu’un acte de survie. Qui au bout du compte allait immanquablement se fracasser sur le mur de l’intolérance et de la fatalité dans une société où personne ne semble imaginer qu’il puisse exister ces « autres chemins vers la mer » dont parlait un poème d’Omowo… Ce roman, écrit en 1981, alors que l’auteur vivait encore au Nigeria, a été réécrit ces dernières années et bénéficie donc de la grande maîtrise et de l’affirmation du style de Ben Okri. Un texte à la limite du réalisme, clair, au rythme soutenu, avec un fort souci du détail. Du très bon Ben Okri. Le Nigérian est sans conteste, l’auteur africain qui monte…
Un amour dangereux, De Ben Okri, traduit de l’anglais par Jean Guiloineau, Ed. Christian Bourgois, 526 p., 160 F.///Article N° : 223