La première partie de cet entretien est l’article n°8434 et la troisième est l’article n°8484.
Le projet WikiAfrica a été lancé en 2006 : quel bilan et regard rétrospectif portez-vous, aujourd’hui, sur votre initiative ?
Wikiafrica a été l’une des premières initiatives lancées par lettera27, avec « Dagoretti », un projet de soutien aux enfants des rues, porté par Amref Italie à Nairobi. WikiAfrica a grandi avec la fondation et ses contacts, il est d’abord parti d’Italie pour acquérir, avec le temps, une dimension plus internationale.
Le rapport rédigé par des chercheurs, au début de l’année 2007, avec Marco Aime e Stefano Allovio, à l’époque directeurs scientifiques du projet, a démontré la pénurie de documentation disponible sur l’Afrique dans Wikipedia, la nécessité de renforcer les articles existants et de produire un nouveau groupe d’articles. Traduire dans des langues africaines le matériau déjà disponible sur Wikipedia – comme il avait été envisagé initialement – n’a pas paru la meilleure stratégie : le risque étant de diffuser des contenus faibles et lacunaires. Les directeurs scientifiques du projet ont ainsi proposé de mettre l’accent sur la version italienne de Wikipedia et de commencer à produire un premier groupe d’articles clef capables de susciter la curiosité, de fournir un matériau intéressant pour les enseignants et de toucher des thèmes centraux lorsque l’on observe l’histoire et la culture du continent africain.
En même temps, en mars 2007, WikiAfrica a soutenu financièrement le Ars & Urbis International Workshop, une rencontre de dix jours organisée par le centre d’art Doual’art à Douala pour produire des recherches, images, vidéos, interviews et essais sur Douala et ses institutions culturelles. Le workshop a permis de recueillir et produire des contenus pour le livre – catalogue Douala in Translation, de créer des connexions entre les centres d’art et les maisons de production musicale hip-hop de la ville. À cette occasion, nous avons organisé une présentation de Wikipedia, ce qui a permis la préparation de rubriques sur des artistes et organisations qui opèrent au Cameroun. Les sites de Doual’art et iStrike Foundation (un wiki) hébergent cette documentation en français et en anglais.
Cecilia Paraluppi et Adama Sanneh, deux chercheurs investis dans le projet, avec l’aide de Lucia Franceschi, bénévole de la fondation, se sont concentrés sur la littérature : ils ont pris contact avec des maisons d’édition et des auteurs afin de soutenir WikiAfrica en offrant chacun une phrase. Dix-neuf écrivains ont ainsi participé à l’initiative, parmi lesquels on peut citer Emmanuel Bou, Jorge Canifa Alves, Mbaye Dieng, Emmanuel Dongala, Gabriella Ghermandi, Pap Khouma, Michel Koffi, Kossi Komla-Ebri, Sindiwe Magona, Louise Mpacko Radaelli, Ndjock Ngana, Alvaro Santo, Wole Soyinka et Cheikh Tidiane Gaye. Quatre phrases – notamment celles de Cristina Ali Farah, Tsitsi Dangarembga, Tahar Lamri et Igiaba Scego – ont été sélectionnées et publiées sur des cartes postales et e-card : les cartes postales ont été distribuées dans cinq mille carnets Moleskine en Italie tandis que les e-card peuvent être expédiées à travers le site de lettera27. Enfin, les biographies des auteurs ont été rédigées sur Wikipedia et leurs citations ont été insérées dans les wikiquotes. En 2008 nous avons lancé une nouvelle édition de cartes postales en collaboration avec Paola Splendore, avec les phrases d’Ingrid de Kok, Karen Press, Abdourahman A. Waberi et Tsitsi Dangarembga.
WikiAfrica commence ainsi en 2007 à produire des contenus, à faire en sorte que des experts et institutions s’investissent et se confrontent à ses aspects critiques et à ses atouts.
WikiAfrica suscite de la curiosité auprès des chercheurs qui travaillent sur l’Afrique : nombreux sont ceux qui soulignent l’importance de donner une visibilité à l’héritage historique du continent ainsi qu’à sa production culturelle contemporaine. Si le rôle de Wikipedia en tant que source d’informations est admis, son potentiel en tant qu’espace de partage et de construction de connaissances est souvent négligé ou peu exploré. Celui qui s’aventure pour la première fois à insérer des contenus se frotte aux règles stylistiques de Wikipedia, son langage et son éthique. Les administrateurs de Wikipedia Italie s’activent pour assister les nouveaux arrivés mais parfois les difficultés rencontrées par les nouveaux usagers sont telles qu’ils se découragent et s’en éloignent. Il est fréquent que ceux qui ont des connaissances approfondies sur l’Afrique ne soient pas toujours à l’aise avec un usage actif de Wikipedia, et vice-versa. Enfin, la difficulté de garantir une réelle direction scientifique des contenus promus par WikiAfrica est en train d’émerger, contenus qui sont destinés, à juste titre et inévitablement, à être constamment re-élaborés par nimporte quel usager de Wikipedia.
En mai 2007 je suis devenue la nouvelle directrice scientifique du projet. Pour répondre aux questions soulevées grâce au travail de mes prédécesseurs, nous avons élargi les mailles du projet et commencé à travailler simultanément sur plusieurs fronts : rapprocher de WikiAfrica le plus vaste nombre d’usagers et réseaux ayant des compétences scientifiques sur l’Afrique, soutenir des recherches inédites qui puissent converger vers elle, promouvoir l’usage du copy right qui permettent à Wikipedia d’utiliser les sources déjà existantes, lancer le débat sur le potentiel et les limites de Wikipedia, créer des occasions de formation à ses outils et expérimenter des interfaces différentes pour contribuer à Wikipedia.
WikiAfrica devient ainsi un projet qui ne produit plus directement des articles sur Wikipedia, mais soutient leur production à travers réseaux, recherches, publications et événements. Dans la nouvelle rédaction du projet, nous insistons sur l’importance de promouvoir des langues et langages différents, en soutenant la création et la diffusion de textes, citations, images, audio, vidéos, à travers Wikipedia mais aussi à travers les autres projets Wikimedia.
L’édition de Festivaletteratura de Mantova de 2007 marque la première présentation publique de WikiAfrica. lettera27 y organise cinq workshops pour rendre visible le fonctionnement de Wikipedia et créer ainsi en direct de nouvelles rubriques pour l’encyclopédie : pendant que les intervenants font leurs exposés et que le public intervient avec questions et commentaires, une rédaction Wikipedia insère en temps réel ces contenus sur Wikipedia. Durant le festival notre programme axé sur la littérature est aussi présenté et certains des auteurs qui ont fait don d’une phrase en soutien à WikiAfrica participent aux rencontres.
WikiAfrica est ensuite invité au LitCam, la campagne d’alphabétisation promue par la Foire du Livre de Francfort, et a collaboré (avec Wikimedia Italie) à un workshop organisé à Pise par Jama Musse Jama dans le cadre du programme annuel « Cartellone AfricAfrica » (lancé par la commune de Pise et par CentroNordSud). Grâce au travail de Vanessa Lanari et de Coquelicot Mafille – nouvelles collaboratrices de lettera27 – nous avons ouvert des pages du projet WikiAfrica en anglais et en français. En octobre 2007 est lancé le projet Chimurenga Library, en janvier 2008 le projet Confini : I saperi dell’Africa in movimento (NDR : Frontières : les savoirs de l’Afrique en mouvement), dirigé par Alessandro Triulzi et coordonné par Marco Guadagnino. La collaboration avec Moleskine se renforce : la société double son soutien à lettera27 et les modalités de collaboration s’amplifient : la fondation est soutenue par Detour et The Undiscovered Letter, et WikiAfrica est présenté dans le cadre du projet Detour à l’Art Directors Club de New York, au Centre Pompidou de Paris et au Musée du Design de Berlin.
En 2008, nous avons participé à AfroPixel pendant la Biennale de Dakar, à la Foire du Livre de Cape Town et à nouveau au Festivaletteratura de Mantoue. Une bourse d’étude a enfin été attribuée à Jenny Mbaye pour sa recherche sur l’industrie musicale Hip Hop en Afrique occidentale (en particulier à Ouagadougou et à Dakar), une contribution a aussi été donnée pour la réalisation du projet « Far Western », promu par Anna Rispoli et Christophe Meierhans, au Soudan.
Ces deux années ont ainsi permis à la fondation de se constituer un premier réseau et de choisir les différentes organisations avec lesquelles nous voulons travailler. Le projet « Confini » a d’ailleurs acquis une telle dimension qu’il est devenu un programme indépendant par rapport à WikiAfrica et nous réfléchissons actuellement à créer un autre champ d’intervention dans le secteur de la téléphonie mobile. Si au départ il était essentiel de participer au plus grand nombre d’événements et festivals pour faire la connaissance de partenaires potentiels, aujourd’hui nous sommes plus intéressés à prêter notre attention à des projets et événements spécifiques afin de construire des relations sur la longue durée. Cela nous permet de travailler de manière plus efficace et de développer des initiatives plus solides, capables d’être reproductibles ailleurs. Ce temps nous a servi pour nous définir d’une façon plus précise, pour décider comment choisir les initiatives que nous voulons soutenir.
Quels sont les critères sur lesquels vous vous appuyez pour décider de financer un projet ?
La fondation a décidé d’adopter douze critères : 1. cohérence avec ses missions (en particulier, l’attention des projets à l’accès aux savoirs, au partage des connaissances et au développement des réseaux ; lettera27 travaille pour l’instant sur l’Afrique subsaharienne et peut financer des projets qui ont des finalités non lucratives, même s’ils peuvent être promus par des structures qui ne sont pas nécessairement à but non lucratif) ; 2. claire identification et investissement des destinataires des projets (le but étant d’identifier les bénéfices qu’une initiative peut produire) ; 3. fiabilité des partenaires (la fondation est surtout intéressée à créer des partenariats avec des structures déjà actives à l’intérieur de réseaux et donne la priorité aux organisations avec lesquelles elle a déjà collaboré) ; 4. faisabilité des projets ; 5. continuité sur la durée (minimum deux – trois ans) ; 6. reproductibilité (capacité des projets à transférer des pratiques et à être adaptés à d’autres contextes) ; 7. innovation dans les modalités opératives et dans les contenus ; 8. libre partage du matériel produit par le projet (participation à initiatives plus vastes liées à l’Open Access et adoption de licences Creative Commons CC-BY-SA ou GNU Free Documentation License) ; 9. diffusion et dissémination (communication et diffusion du projet et de ses résultats à travers des compétences narratives) ; 10. claire identification des objectifs et résultats avec indicateurs qualitatifs et quantitatifs ; 11. structure et gestion efficace des budgets, planification, phases opératives, pratiques de soutien et monitoring ; 12. capacité du projet à faire du fund raising, en combinant ressources existantes et nouvelles.
Quel impact peut avoir un tel projet sur la société italienne contemporaine, particulièrement tendue ces dernières années entre une nécessaire compréhension de ce continent qui semble débarquer (littéralement, hélas) « à l’improviste » sur le territoire et diverses formes de rejet ? Les workshops et les événements que vous organisez et auxquels vous participez (notamment le Festival de la Littérature de Mantoue) peuvent se lire aussi en ce sens ? Pourriez-vous nous parler de ces expériences publiques, en particulier le travail développé avec les écrivains africains (de deuxième génération, aussi) ?
Dans le statut il est clairement indiqué que l’un des objectifs de lettera27 est de promouvoir une attitude consciente et active, en particulier dans l’opinion publique et dans les institutions des pays les plus riches. Les destinataires des activités de la fondation ne sont donc pas seulement les bénéficiaires actifs de ses financements mais aussi les bénéficiaires indirects. Les initiatives promues par la fondation doivent fournir des outils d’analyse et d’approfondissement qui amplifient le nombre d’usagers, génèrent des échos et un effet levier capable d’avoir un impact sur l’opinion publique. Cet aspect du travail est très clair dans le projet WikiAfrica : si de nouveaux contenus, usagers et perspectives modifient l’encyclopédie la plus grande au monde, l’opinion publique et les programmes des institutions des pays riches seront influencés par ces nouveaux savoirs.
lettera27 porte d’ailleurs une attention particulière à l’Italie qui est le pays où se situe son siège et le contexte dans lequel la fondation a vu le jour. Depuis 2006, chaque année, le Festivaletteratura de Mantoue est l’occasion de présenter à plus de 70 000 visiteurs italiens le programme et les activités de lettera27. Outre le fait que c’est l’un des festivals de littérature les plus prestigieux d’Italie, Festivaletteratura est aussi une plate-forme privilégiée où il est possible d’interagir avec le public : depuis toujours la manifestation investit la ville entière, met en activité une « armée » de centaines de volontaires, appelle des passionnés qui viennent de l’ensemble du pays, le tout dans une atmosphère gaie et propre à l’écoute. On va à Mantoue pour rencontrer ses écrivains favoris, poser des questions, connaître les dernières nouveautés. Pour lettera27 c’est un privilège d’être partie prenante de cet événement car c’est le lieu idéal pour expliquer ce que l’on fait, planifier ce que l’on fera et rencontrer des personnes curieuses et attentives qui, avec leur présence, renouvellent chaque année leur soutien à nos programmes.
En plus, le Festivaletteratura de Mantoue a été le point de départ de Confini : I saperi dell’Africa in Movimento (NDR : Frontières : Les savoirs de l’Afrique en mouvement), l’un des plus amples projets que lettera27 soutient actuellement. Confini regroupe le travail de différentes personnes et institutions qui travaillent, en Italie, sur les routes des migrants, cela sous la direction d’Alessandro Triulzi (professeur à l’Université Orientale de Naples et l’un des plus importants historiens de l’Afrique en Italie) et la coordination de Marco Guadagnino (chercheur spécialisé sur l’Afrique et les nouvelles technologies). Les déplacements produisent des glissements, des victimes, des transformations, des accueils, des enrichissements et des pertes. Gabriele Del Grande avec son site Fortress Europe recueille la mémoire des victimes des frontières : un travail méticuleux qui transforme les statistiques en noms et visages de notre présent. Publié dans un site en dix-sept langues, les nouvelles des journaux deviennent autres, elles dénoncent la gravité de la situation et fournissent des informations aux familles des disparus. De ce point de vue, le travail de l’association sur la vidéo est très intéressant : Dagmawi Yimer, en particulier, a produit une série de courts-métrages et documentaires. Le film Come un uomo sulla terra (NDR : Comme un homme sur terre), réalisé par Dagmawi Yimer même, qui donne la parole à des histoires rencontrées par Asinitas, a été présenté à l’intérieur du Milano Film Festival.
Des écrivains et chercheurs originaires d’Afrique, ou liés à ce continent, ont participé à Confini.
À côté d’Alessandro Triulzi, Gabriele Del Grande, Paola Splendore (professeur de littérature africaine anglophone à l’Université « La Sapienza » de Rome), Alessandra Di Maio, Federica Sossi, Marco Carsetti (responsable de l’association Asinitas), Federica Sossi, Marco Aime, Livia Apa, Elio Grazioli, Itala Vivan, Gaston Kaboré, Sami Tchak, Nuruddin Farah, Abdourahman A. Waberi, Cristina Ali Farah, Igiaba Scego, Bili Bidjocka, Sylviane Diop, Tahar Lamri, Simon Njami ont été invités dans le cadre des événements organisés par lettera27 durant le Festivaletteratura de Mantoue.
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