L’action de la médiathèque qui ouvrira ses portes cette année s’inscrit tout naturellement dans le prolongement du Festival et de la Maison des auteurs. Tandis que découvrir des auteurs, leur donner une audience, les faire connaître est avant tout la mission du Festival, favoriser leur épanouissement artistique, susciter et encourager la création est celles de la Maison des auteurs, préserver leurs empreintes, leurs histoires, garder les traces du passé pour mieux garantir aux écrivains le devenir de leurs oeuvres, voilà celle de la médiathèque. C’est ainsi que Catherine Pont-Humbert qui travaille pour France Culture a été chargée de réaliser pour la médiathèque une collection radiophonique qui s’intitule Mémoires sonores de la francophonie.
Conserver la trace de paroles d’auteurs présents à Limoges le temps d’un festival, telle a été la définition d’origine de la collection » Mémoires sonores de la francophonies « , initiée en 1996 par la Bibliothèque multimédia, avec le soutien du Festival des Francophonies et le parrainage de France Culture.
On peut s’interroger sur la juxtaposition dans un même titre du mot » mémoire » et du qualificatif » sonore « . La voix est éphémère, fugitive et volatile. C’est sa beauté et sa force que d’être dans l’instant. Oui, mais elle a également, comme l’écrit, cette faculté de fixer, à un moment donné, un récit, une histoire, un témoignage qui sera écouté plus tard, qu’on pourra se repasser autant de fois que nécessaire, comme un texte sur lequel on revient, qu’on relit à l’envi.
Ecouter l’enregistrement d’une voix, sa trace, sa mémoire est tout aussi émouvant et significatif que la saisir au moment où elle s’énonce.
Depuis deux ans, je mets donc en mémoire des voix d’auteurs avec méthode et organisation certes, mettant en oeuvre un savoir-faire et une pratique d’entretien, mais avec également le sentiment d’un profond décalage par rapport à mon expérience de la radio.
Puisqu’il s’agit d’une collection, j’ai préparé un conducteur d’entretien qui donne une certaine cohérence à l’ensemble et qui permet de retrouver d’un enregistrement à l’autre des rubriques identiques. C’est un cadre qui donne les règles du jeu. Et cependant, bien sûr, chacun des entretiens est singulier, le dosage d’information, d’émotion, de confidence, voire de confession est à chaque fois nouveau et imprévisible.
Tout commence gare d’Austerlitz à Paris : depuis deux ans, j’y prends le train pour Limoges vers la fin du mois de septembre, chargée des livres d’auteurs que je ne connais pas la plupart du temps, que j’ai découverts dans leurs textes et que je vais rencontrer le temps d’un entretien.
Je me déplace à leur rencontre. Ils ont été avertis de mon arrivée. Ils m’attendent donc. La première année, j’ai été étonnée et émue de l’intensité de cette attente. Les trois écrivains en résidence à la Maison des auteurs avaient été mis en condition de telle sorte – aussi parce que c’était la première fois – qu’ils étaient très conscients de l’importance de ce moment. Il a fallu dénouer les tensions, faire tomber l’image un peu formelle de cette rencontre qui s’était fabriquée dans leur esprit, et prendre le temps de se parler avant de pouvoir commencer à travailler ensemble. Ainsi l’habitude a été prise de se rencontrer avant le moment de l’enregistrement et, de fil en aiguille, de repas partagés en spectacles vus en commun, quelque chose s’est installé qui ne durera que le temps du festival, chacun le sait, mais qui n’en a pas moins de prix. Parce qu’un festival, quel qu’en soit l’objet, est toujours un moment détaché du flux quotidien, un peu hors du temps, une sorte de raccourci concentré ; les rencontres y ont une épaisseur singulière. Une familiarité s’y créée qu’il faut vivre pour ce qu’elle est.
Ils viennent d’univers et de pays différents ; ils ont des passés lourds ou légers, des souvenirs heureux ou tragiques, l’envie de parler d’eux ou le souci de taire certaines choses. De plus, chacun en est à un stade différent de sa vie et de son oeuvre. Certains, très jeunes, inexpérimentés, m’ont dit avoir ressenti pour la première fois à Limoges, qu’on leur reconnaissait un statut d’écrivain. Un pas pour eux avait été franchi, bouleversant. D’autres, engagés dans leur travail d’écriture depuis plusieurs années ont une pratique plus aguerrie de la parole, de l’explication de ce qu’ils font, du sens qu’ils donnent à leurs expériences. Dans un cas comme dans l’autre le seul critère d’intérêt de l’entretien est l’authenticité. L’entretien est réussi si la personne qui est en face de moi se laisse aller à réfléchir, à penser à haute voix, se laisse guider vers des chemins de traverse, sans chercher à me livrer un discours tout fait, déjà servi plusieurs fois. Ce qui se sent et s’entend tout de suite.
Dans certains entretiens, la part accordée à la biographie est pratiquement nulle parce que je sens qu’il faut glisser très vite, parce que les silences sont trop longs et qu’il faut les respecter. Dans d’autres, la vie est l’oeuvre, et tout est imbriqué de telle sorte qu’il est impossible de démêler le vécu de l’écrit. Certaines questions pertinentes avec un auteur perdent tout sens avec un autre. Il n’en reste pas moins qu’une écoute globale de la collection demeure cohérente. Les singularité s’enrichissent mutuellement dans la rencontre.
Les écrivains sont des gens soucieux de l’épaisseur des mots ; ils manipulent avec aisance la matière du langage ; ils sont des professionnels de la phrase bien montée et bien balancée, du moins devant une feuille de papier ou devant un écran d’ordinateur. Mais ils perdent souvent ce savoir-faire devant un micro et y gagnent en émotion. Plonger instantanément dans le flux et le reflux d’une existence relatée par bribes, se laisser entraîner dans un univers, c’est vivre totalement la puissance des mots. Dans l’intimité du studio, chacun des auteurs venus se raconter m’a donné cet instant de parole qui, dans certains cas, est devenu un partage, lorsque nos deux paroles se sont rencontrées, entrecroisées dans la surprise de ce que l’autre disait et dans l’envie de poursuivre le dialogue.
J’ai le souvenir, la deuxième année, d’un beau moment d’émotion lorsqu’à une question qui touchait un point sensible, un auteur a eu dans la voix des sanglots auxquels je n’ai bien sûr pas touché. Je ne fais aucun montage, ou presque, sur ces entretiens, ils sont livrés bruts à l’écoute. Le montage ne m’apparaît justifié qu’en cas de répétition ou de lourdeur trop prononcées, lorsqu’une réponse avant de retomber sur ses pieds, de trouver les mots justes, se cherche dans un écheveau d’hésitations, d’allers et retours confus.
Ce qu’il y a de commun entre le théâtre et la radio, c’est l’éphémère. Ce sont des paroles de l’instant, de l’immédiateté, faites pour être vécues sur le moment.
Les écrivains présents à Limoges sont pour l’essentiel des auteurs de théâtre. La rencontre théâtre / radio est presque naturelle.
Aujourd’hui la collection compte une vingtaine d’entretiens. Elle commence à avoir un sens. Elle en aura davantage encore dans quelques années (et peut-être pourrait-on imaginer une sorte de deuxième volet » dix ans après « , reprendre des entretiens avec les mêmes et voir les évolutions ou les permanences dans leurs propos).
Elle constitue en tout cas une sorte d’introduction à des oeuvres dont on peut imaginer toutes sortes d’usages. De la simple curiosité à une utilisation pédagogique en passant par le pur plaisir de l’écoute.. Loin de l’irrépressible dégradation de la parole dont nous sommes aujourd’hui témoins et parfois acteurs, de cette insidieuse façon dont elle se trouve quotidiennement rabattue dans l’insignifiance, diluée dans une soupe sonore où tout se vaut et s’équivaut, il y a dans l’écoute de ces paroles-là, tout simplement un respect de l’autre, une restitution de la parole.
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