New York : les Noirs, une famille…

Print Friendly, PDF & Email

19 balles pour Amadou Diallo
« Nous sommes une famille. Je t’aime mon Dieu – et je m’aime. » Des paroles chantées lors de la réunion de protestation menée par le Révérend Sharpton, contre le verdict du procès Diallo. Un verdict qui acquitte les quatre policiers responsables de la mort d’un jeune immigré Guinéen de 22 ans, à New York.
Février 1999, Amadou Diallo est tué de 19 balles, devant son immeuble du Bronx, par quatre officiers en civil. Motif ? Sa description semblait correspondre à celle d’un homme recherché pour viol. Le jeune homme est interpellé, alors qu’il rentre du travail, tard le soir. Désorienté, il fait un geste pour saisir ses papiers d’identité dans son portefeuille. L’instant d’après, les policiers déchargent 41 balles. Il était non armé, et innocent. Bref, une énorme bavure policière.
La foule réunie autour de Sharpton se donne la main et chante dans le calme. Il y a des embrassades et des regards lourds. Ils sont quelques centaines, presque exclusivement des Noirs. C’était le 15 avril à Harlem, dans le fief du Révérend.
Sharpton est un peu le nouveau Martin Luther King, le second Jesse Jackson du moment. Présent au procès, aux côtés de la famille de la victime, il s’est posé comme leur porte-parole, et bien au-delà, comme celui de toute la communauté noire. Car l’affaire Diallo, qu’on se le dise, est devenue la cause de tous. Sharpton en a fait son cheval de bataille, au nom des droits civiques. Pour lui, c’est « encore » un Noir victime de racisme et de la brutalité policière. Et des manifestations comme celle du 15 avril, il y en a eu des dizaines, depuis le verdict de février. A chaque fois, le même cri de rage contre le département de police, mais plus directement, contre le maire Giuliani. « Cela montre qu’un homme noir dans ce pays est une espèce en danger », déclare un habitant du Bronx, présent à l’une des manifestations. « Quand je marche dans la rue, je dois donc craindre, à tous moments, qu’ils me tirent dessus aussi ». Une ironie amère que beaucoup affichent, comme lors de la marche à la mairie, où certains dans la foule brandirent leur portefeuille, en clamant aux policiers en service : « Allez-y, tirez ! Je suis Noir, ça doit être justifié ». On pouvait lire sur l’une des pancartes « 41 balles, ça n’est pas une erreur ».
Le cas Diallo fait suite à un certain nombre d’histoires du même genre, où un Noir est abattu par des forces de police. Cette fois, l’injustice est trop criante (ces 40 coups de trop) pour être contenue. Diallo parle donc pour l’ensemble d’une minorité, au sein de laquelle les frontières sont effacées. Les parents de la victime ont trouvé à leur arrivée dans le pays un formidable élan de solidarité de la part de la communauté noire américaine. La mort d’Amadou a posé la race comme thème de ralliement entre les deux groupes. Kadiatou Diallo, la mère, dit qu’elle comprend mieux la colère que les Américains ressentent face à la question raciale. « C’est le produit d’années passées à combattre le racisme », dit-elle. « C’est compréhensible. On connaît tous leur histoire, la frustration qu’ils ont subie. Maintenant, nos destinées ont été liées », dit-elle des Afro-américains et des Africains, comme elle, « car maintenant, nous avons vu, nos yeux sont grand ouverts, et nous pouvons mieux comprendre ce genres de problèmes ».
Comme une ironie du sort, quelques semaines à peine après le fameux verdict, un nouveau cas d’abus policier intervient dans la communauté noire. Le jeune Patrick Dorismond est tué par un officier, à la sortie d’un bar de Manhattan. Lui aussi était non armé. Il appartenait à la communauté haïtienne de Brooklyn, et sa mort, comme celle de Diallo a créé un large mouvement de protestation. Une foule d’environ 1000 personnes traverse le pont de Brooklyn, pour se rendre à la mairie et protester à nouveau contre Giuliani. Tout au long de la marche, on chante les noms d’Amadou Diallo, Patrick Dorismond et Malcom Ferguson – une autre victime de la violence policière cette année.
Noirs américains et Noirs immigrés
La façon dont les Noirs américains ont pris part aux récents événements tragiques donne le sentiment que les populations africaines et haïtiennes sont parfaitement acceptées par le groupe « black ». On a défendu leur cause avec la même rage que si cela avait été l’un des leurs. Il est certain qu’un rapprochement a eu lieu. Mais, quelle place est réellement faite aux populations immigrées dans ce monde « black » ? Il est vrai que les différentes communauté noires vivent séparées. Les Haïtiens, les premiers, ont eu beaucoup de mal à s’intégrer. Mais cela n’est pas tant un fait de race qu’un fait de langue. Les immigrés de la Caraïbe anglophone (Jamaïque, Barbade, Trinidad) ou d’Afrique anglophone (Nigeria, Ghana) se sont plus facilement fondus au paysage noir américain. Pourtant, beaucoup parlent encore d’un racisme ambiant qui persiste, ou disons, d’une sorte de condescendance à l’égard de ces « autres Noirs ». En tant qu’Africaine à New York, mon sentiment est que les choses évoluent. Du racisme, il y en a partout. Certains continueront à regarder de haut les immigrés. Mais ça n’est pas ce que je vois de prime abord chez les Noirs américains en ce moment. Non, ce qui est très marquant, au contraire, c’est cette vague de « retour aux sources », cet intérêt pour la culture africaine, chez un grand nombre d’entre eux. La mode surtout change. Les tissus et l’artisanat africains ont un grand succès. « C’est notre culture, à nous aussi », disent certains, « il faut juste qu’on apprenne à la retrouver ».
Ce qui est sûr, c’est que l’affaire Diallo a créé une unité nouvelle. La mobilisation a été générale, et tous avaient le même mot d’ordre à la bouche : « nous sommes une famille ».
Et du côté des arts ?
Le musée d’art africain de New York a lancé une exposition sur les cheveux dans la culture africaine. Plus de 170 pièces qui explorent les différents rôles de la chevelure dans les sociétés traditionnelles. Des masques et statues du Congo la présentent comme un indicateur de rang social et symbole religieux. Dans les cultures australes, elle revêt des pouvoirs spirituels et surnaturels. Et du côté de l’Afrique de l’Ouest, elle constitue un important élément d’ornement. L’exposition fait ensuite place aux styles contemporains de coiffure, et trace le lien entre Afrique et Amérique. « La diaspora africaine a adopté de nombreux styles de coiffure, traditionnels et modernes, originaires du grand continent, et trouvant leur route vers les Caraïbes et les Etats-Unis », indiquent les organisateurs. Des photographies montrent les différents styles, et comment ils voyagent d’un continent à l’autre : tresses, dreadlocks, afros.
Un événement riche et complet, qui parle pour tous les Noirs d’Afrique, des Caraïbes et des Etats-Unis. Un regret pourtant : que le public ne soit pas représentatif du sujet exposé. « Les Noirs ne viennent pas. Même le dimanche, quand c’est gratuit, il ne viennent pas ! » me confie un employé du musée, originaire des Caraïbes anglophones. « C’est triste« , ajoute-t-il, « notre culture est tellement riche, regardez ! Mais ce n’est pas nous qui en profitons« .

///Article N° : 1460

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article
"Attention les Afro-américains, ces objets sont considérés comme des armes par la police quand vous les tenez en main!" © Mike Luckovich (Atlanta Journal-Constitution)





Laisser un commentaire