A quand l’Afrique ? entretien avec René Holenstein

De Joseph Ki-Zerbo

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 » J’ai fait toutes mes études avec des manuels français. Il n’y avait rien dans le programme concernant l’Afrique. Petit à petit, cette exclusion m’est apparue comme une monstruosité « .’A quand l’Afrique ?’, aurait pu interpeller alors celui qui deviendra le premier africain agrégé d’histoire à la Sorbonne et dirigera plus tard deux volumes d’une monumentale histoire générale du continent, publiée par l’UNESCO. Faire connaître l’histoire mondiale à partir d’une perspective africaine : tel fut le premier combat de Joseph Ki-Zerbo.
Dans ce long entretien, cet historien et homme politique burkinabé revient sur son parcours d’intellectuel et d’homme d’action, engagé dès la première heure dans la lutte pour les indépendances africaines. Ki-Zerbo rappelle ainsi comment, conquis par le  » non  » de Sékou Touré – trop isolé à son goût – il a sans tergiversation abandonné la sécurité d’un poste de professeur à Dakar pour se rendre en Guinée au lendemain de l’indépendance. Créateur du principal parti d’opposition burkinabé, il revient aussi sur son immersion précoce dans un marxisme qui  » affichait un volontarisme capable de transformer les sociétés « .
De ses maîtres à penser – Césaire, Senghor, Depestre… -, Ki-Zerbo se souvient avoir appris  » un regard alternatif sur l’Afrique, un regard sans complexe « . Un regard qui se heurte aujourd’hui à des dirigeants africains  » malheureusement convaincus qu’il n’y a pas grand chose à tirer de la culture africaine  » et qui  » se jettent à corps perdu dans les valeurs occidentales.  » Soulignant que  » s‘agissant d’un vrai développement, il faudrait le poser en des termes alternatifs « , Ki-Zerbo réitère l’importance de se départir des logiques mimétiques. Des logiques portées par cet insatiable rêve d’Occident, dont un exemple semble résumer la portée : ces embouteillages de Mercedes qu’il n’est pas rare de rencontrer au Burkina Faso, pourtant classé parmi les pays les plus pauvres au monde.
Prix Nobel alternatif pour ses recherches sur des modèles originaux de développement, Ki-Zerbo réaffirme son combat pour un échange culturel équitable avec le Nord, qu’il exhorte à avoir  » suffisamment de bon sens et de modestie pour comprendre qu’il peut apprendre quelque chose des pays du Sud.  » Autre cheval de bataille : favoriser un  » développement endogène « , à l’échelle du continent.  » La libération de l’Afrique sera panafricaine ou ne sera pas « , avance Ki-Zerbo, dans la lignée du visionnaire  » Africa must unite  » proféré par Kwame Nkrumah.
Constatant les dégâts de l’ajustement structurel imposé par la Banque mondiale, Ki-Zerbo en appelle à  » ne pas se laisser enfermer dans le réductionnisme économiciste « . Un réductionnisme qui fait de l’éducation et de la culture les deux grands oubliés des politiques de développement. Au grand désarroi de celui qui n’a eu cesse d’affirmer la place centrale de l’éducation, aujourd’hui malmenée par une ardente politique de privatisation, qui frappe également de plein fouet le secteur de la santé. Ki-Zerbo s’en prend à l’aide internationale, en partie  » abandonnée à des groupes mafieux « . Il fustige le clientélisme des dirigeants africains et revient sur la lutte contre l’impunité des crimes politiques et économiques – lutte dans laquelle il s’est illustré récemment autour de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo.
Si, au fil de ces entretiens, Ki-Zerbo aborde un certain nombre de thèmes classiques sur-revisités, on lui saura gré de l’avoir fait en cherchant à les interroger à la lumière du vécu quotidien des peuples africains, trop souvent oubliés des discours de développement.
Charge contre l’Occident et contre les dirigeants africains, A quand l’Afrique ? est aussi une exhortation à destination des jeunes, invités à poursuivre la lutte pour imposer la  » renaissance du continent « .

A quand l’Afrique ? entretien avec René Holenstein, Editions de l’Aube, 2003, La Tour d’Aigues, 198 p., 19,50 euros.
Cet ouvrage est co-édité en Afrique par Eburnie (Côte d’Ivoire), Ganndal (République de Guinée), Jamana (Mali), Presses universitaires d’Afrique (Cameroun), Ruisseaux d’Afrique (Bénin), Sankofa et Gurli (Burkina Faso), grâce au soutien de la Direction du développement et de la coopération du Département fédéral des Affaires étrangères de la Suisse et de l’Alliance des éditeurs indépendants.///Article N° : 3143

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