Il existe peu de films documentaires béninois. Ce genre cinématographique encore méconnu concentre pourtant de véritables atouts pour le développement du pays.
En effet, « faire du cinéma documentaire c’est parler de nous, c’est aussi livrer notre message au monde. »
Retour sur le parcours souvent difficile, de professionnels qui tentent de donner au cinéma documentaire, une existence dans le paysage cinématographique béninois.
Ma stupéfaction fut totale lorsque des amis m’annoncèrent la « nouvelle » lors de mon retour à Cotonou au mois de juin 2012 dernier. Comment se faisait-il que Nous, acteurs du secteur de la cinématographie au Bénin n’avions pas eu cette information auparavant ? Comment avait-elle pu nous échapper dans un pays où, pourtant, plus aucune salle de cinéma n’était censée fonctionner depuis des lustres et où les initiatives dans le domaine se comptent sur les doigts d’une main ?
Quoiqu’il en soit, un lieu de projection existe aujourd’hui dans le quartier de Cadjèhoun à Cotonou dans laquelle sont projetés des films européens et américains.
En effet au Bénin, il est très difficile de voir des films béninois ou africains en général, le même sort est réservé au cinéma documentaire.
Pourtant, c’est un puissant outil de réflexion, d’éducation en plus d’être un médium d’affirmation de soi.
Le cinéma du réel nous permet de comprendre et d’habiter le monde
Le cinéma du réel ou cinéma documentaire, nous aide à comprendre et habiter le monde en le rendant visible.
Il investit les champs culturel, citoyen, éthique, politique et donne à voir des uvres cinématographiques singulières et novatrices. Il témoigne des réalités du monde actuel, fait dialoguer les cultures et les populations et nous invite à la réflexion sur nos sociétés.
Le cinéma documentaire reste cependant un cinéma marginal en Afrique et particulièrement au Bénin.
En effet le festival Quintessence, le festival Numérique de Cotonou ou encore BeninDocs (Festival International du 1er Film Documentaire) sont les trois principales manifestations portées par des acteurs culturels locaux qui proposent une programmation de films documentaires. Elles se concentrent dans les 3 grandes villes du Sud du pays (Ouidah, Cotonou et Porto Novo). Les festivals sont le rendez-vous des initiés avant tout : la plupart des festivaliers sont soit de jeunes étudiants (fréquentant bien souvent l’Institut Supérieur des Métiers de l’Audiovisuel de Cotonou), soit des Béninois ou étrangers issus des catégories socio-professionnelles les plus aisées. Toutefois, un véritable effort est fait de la part de certaines structures pour organiser des projections en plein air dans différents quartiers afin d’emmener le cinéma hors des centres culturels (Institut Français, Centre culturel Chinois, etc.).
Ce constat n’est en rien étonnant car en l’absence de salle de cinéma, la principale difficulté rencontrée par le cinéma dans le pays, comme dans la plupart des pays du Sud, est la diffusion. Les festivals à l’instar de ceux cités précédemment, s’affirment de plus en plus comme des alternatives offrant des opportunités de formation professionnelle, de diffusion de films et de rencontres, faute de politique de soutien forte au secteur à l’échelle de l’Etat.
Bien que des efforts soient faits par le Ministère en charge de la culture à travers la Direction de la Cinématographie pour la définition d’une politique nationale, les politiques culturelles n’ont pas encore été accompagnées de plans d’actions concrets en termes d’aide à la production, la formation et la diffusion.
Les uvres produites sur le sol béninois – documentaires comme fictions – ne trouvent que peu de place sur un marché intérieur quasi-inexistant (les télévisions sont encore très peu associées à la production cinématographique dans le pays). Idem sur le marché international : elles ne traversent les frontières du pays que si elles répondent à des normes internationales bien précises. Le non-respect de ces normes a été longtemps un obstacle majeur à la promotion des productions béninoises dans le secteur.
S’il a le mérite d’exister, le soutien de l’Etat aux cinéastes est insuffisant. Le Fonds d’Aide à la Culture a été créé par le décret n°92-242 du 24 août 1992 en vue de « la réhabilitation du patrimoine culturel, la stimulation de la création artistique et littéraire et la diffusion de la culture nationale sur le plan international ». Doté d’un milliard de francs CFA (environ 1,5 million d’euros), ce fonds concerne le spectacle vivant, les arts plastiques, le cinéma et l’audiovisuel, le patrimoine culturel et la littérature.
Bien que le montant du fonds ait quasiment triplé en quelques années, l’État consacre moins de 1 % du budget national au développement des arts et de la culture (2).
Heureusement des films sont produits. Obalé le chasseur, le film du béninois Faissol Fahad Gnonlonfin, en est un exemple. Le jeune réalisateur, cadreur et producteur a participé au programme de formation à l’écriture et à la production Africadoc (3). Son premier film, une coproduction France/Bénin/Niger, est sorti en DVD en 2012. Il est aujourd’hui diffusé dans plusieurs festivals à travers le monde.
Son cas reste cependant isolé. Malgré les efforts consentis, les autorités étatiques peinent à relancer l’industrie cinématographique béninoise.
Aussi, depuis plus d’une dizaine d’années, les cinémas ont fermés leurs portes successivement, leurs prix d’entrée ne concurrençant pas le prix des copies des films « Nollywood » (4) en provenance du Nigeria voisin.
Les initiatives locales encore peu nombreuses – comme celles portées par Africadoc Bénin, Jean Odoutan ou l’équipe de Danhbé Cinéma, etc. – tentent de donner au cinéma documentaire une existence.
C’est d’autant plus légitime et incontournable dans une époque où de plus en plus d’images arrivent de l’extérieur et circulent au Bénin sans qu’on ne les gère, ni ne les régule, sans qu’on ne se pose « la question essentielle du regard que l’Occident porte sur l’Afrique et les Africains. (…) » (5).
Les mouvements socio-politiques depuis les années 1990 au Bénin ont placé la question de la culture au cur des problématiques de développement : la culture représente un élément à la fois majeur et essentiel pour résoudre les difficultés d’ordre politique, économique, culturel et social.
Comme le souligne le réalisateur burkinabé Gaston Kaboré : « une société quotidiennement et quasi-exclusivement submergée par des images absolument étrangères à sa mémoire collective, à son imaginaire, à ses références et à ses valeurs sociales et culturelles perd peu à peu ses repères spécifiques et son identité ; du même fait, elle perd son aptitude fondamentale à imaginer, à désirer, à penser et à forger son propre destin. »
L’enjeu consiste pour les documentaristes africains, en la production et la diffusion d’images créées par eux-mêmes, traduction de leurs regards singuliers sur les réalités du continent.
En effet, le cinéma documentaire relève d’une fonction sociale, culturelle et politique, particulièrement en Afrique. C’est dans le désir de redéfinir l’Afrique pour elle-même et par elle-même à travers des thèmes qui prolongent la connaissance culturelle, historique et politique que le cinéma du réel devient un outil privilégié de transmission et de réflexion intellectuelle.
Les documentaristes deviennent en quelque sorte les porte-parole d’une partie de l’histoire de leur peuple.
Lors de la 10ème édition de Quintessence, sur les 64 films projetés pendant le festival seuls 18 étaient des documentaires. BeninDocs – Festival International du 1er Film Documentaire, premier festival consacré à la jeune création documentaire en Afrique a proposé au 300 festivaliers de Porto Novo, Cotonou, Grand Popo, Parakou (Bénin) et Paris (France) une programmation d’une soixantaine de films documentaires africains et sur l’Afrique.
On l’a vu, ces initiatives sont trop rares. Aujourd’hui, les enjeux sont nombreux : il s’agit d’encourager la production, la formation et la diffusion à travers la sensibilisation des populations, les jeunes particulièrement, aux métiers du secteur de la cinématographie.
Aussi, les associations doivent apprendre à travailler ensemble, à mutualiser leurs énergies afin d’être des acteurs incontournables de la (re)mise en route du secteur cinématographique béninois. Sans cela, elles ne pourront jouer le rôle d’experts pourtant nécessaire auprès des autorités étatiques compétentes afin de contribuer par leurs actions et leurs savoir-faire à l’élaboration d’un véritable plan de relance du secteur cinématographique qui soit assorti de mesures concrètes.
En revanche il est important de souligner que ces acteurs sont de véritables créateurs. Ils s’adaptent sans cesse à un environnement souvent difficile. Les acteurs de ce secteur sont multiples, de nationalités différentes et leurs intérêts parfois divergent. Oeuvrer pour la promotion du cinéma documentaire et par ce biais, défendre nos manières de faire, de sentir, d’entendre et de voir, relève d’un véritable défi.
Malgré tout, les partenariats de production, promotion et diffusion avec des partenaires locaux et étrangers représentent une opportunité de développement des activités de ces acteurs alternatifs du secteur.
Bibiographie
Ouvrages
BARLET Olivier, Les Cinémas d’Afrique des années 2000 : perspectives critiques L’Harmattan 2012, 440 p.
ELKAÏM Sarah, Et si l’avenir était au documentaire ? Découverte, dossier dirigé par Emanuelle PONTIE avec Alpha BARRY, Muriel DEVEY ET Sarah ELKAÏM,
KABORE Gaston, L’Image de soi, un besoin vital in L’Afrique et le centenaire du cinéma, Présence Africaine, 1995, P 21.
VOKOUMA François, Produire nos propres images…Malgré l’état de l’Afrique, in L’Afrique et le centenaire du cinéma, Présence Africaine, 1995, P 269
Revues
FRODON,Jean Michel, Le Triangle du nouveau regard, Supplément Cahiers du cinéma, Cinéma d’Afrique, Février 2007.
MARCHIVE Jean Pierre, Entretien avec Baba HAMA Délégué général du FESPACO, in Cinémas d’Afrique N°149 Octobre-Décembre 2002, Notre Librairie.
Documentation électronique
BAYALA Laurentine, Cinéma documentaire du Nord et du Sud: quels types de coopération? http://www.grecirea.net/textes/08TexteLaurentine.htmlDIALLO Mamadou Sello, La voix de la lutte ou la situation d’engagement de la nouvelle vague des cinéastes africains http://www.grecirea.net/textes/01TexteSellou.html
WANOU Pascal, Benin : le développement de la culture, une culture du développement, parue le 10 janvier 2012 sur le site de Jeune Afrique
http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2659p132.xml0/
Sites internet de référence
association AFRICADOC BENIN
www.benindocs.org
programme AFRICADOC
www.africadocnetwork.org
association Belleville en Vue(s)
www.belleville-en-vues.org
association Afrique sur Bièvre
www.asurb.com
1. www.benindocs.org
2. in Benin : le développement de la culture, une culture du développement ; tribune de Pascal Wanou parue le 10 janvier 2012 sur le site de Jeune Afrique.
3. Ce programme a été initié par l’association Ardèche Images, dans le cadre du programme de coopération décentralisée entre la Région Rhône-Alpes en France et la région de Saint-Louis au Sénégal.
Plus d’informations sur www.africadocnetwork.org
4. Nollywood est née dans les rues de Lagos grâce au commerce informel des vendeurs de rue à la fin des années 1980. Parler du cinéma Nollywood renvoie à l’importance de l’industrie cinématographique nigériane. Le Nigeria est en effet, la deuxième puissance cinématographique au monde en termes de nombre de films depuis 2009, derrière Bollywood et devant Hollywood. A titre d’exemple, en 2009, chaque mois on comptabilise 200 nouvelles créations. Au format vidéo inondant le marché, le Nigeria comptant en réalité très peu de salle de cinéma.
5. Olivier Barlet, Les Cinémas d’Afrique des années 2000, perspectives critiques, L’Harmattan 2012, p.124.Retrouvez le prochaine édition du festival BeninDocs du 20 au 27 novembre 2013 à Porto Novo (Bénin). Des séances du festival auront lieu hors les murs, du 15 au 17 novembre à Paris et le 22 novembre 2013 à Arcueil (France).
Plus d’informations sur www.benindocs.org///Article N° : 11703