L’engouement des jeunes malgaches pour le journalisme puise ses sources dans la levée de la censure le 19 février 1989. La censure, une entrave érigée contre la liberté d’expression pendant la deuxième République (1975 1991) a découragé plus d’un jeune. Mais comme la nouvelle génération n’a pas vécu les cauchemars de la censure, elle veut maintenant embrasser le métier de journaliste pour d’autres raisons. Côtoyer le microcosme politique, frayer avec les gros bonnets du milieu économique, vivre intensément la vie socioculturelle via les reportages de terrain, voilà les rêves caressés par ces jeunes qui entendent ainsi devenir des femmes ou des hommes publics. Depuis plus de cinq ans, la presse draine ainsi un important lot de jeunes, dont des femmes, à Madagascar. Le journalisme au féminin se traduit par une curiosité aiguisée et par la volonté d’aller plus loin.
L’attrait pour le journalisme traduit un désir de pouvoir chez les jeunes. Celui-ci s’exprime par des aspirations à participer en tant qu’acteur incontournable, aux prises de décisions politiques et socio-économiques ou encore par des aspirations à renverser les tendances. Si certains d’entre eux sont fortement attirés par le journalisme, c’est pour se forger une personnalité mondaine au sein d’un cercle politique, social ou économique.
Depuis la publication du premier journal malgache « Teny Soa » (traduction libre : La Bonne Parole), il y a près de cent quarante ans, le journalisme a été l’apanage des hommes. Aujourd’hui le milieu du journalisme n’est entaché d’aucun comportement sexiste. L’homme et la femme perçoivent le même salaire pour un même poste de responsabilité. Les attaques sexistes ne font pas partie du monde de la jeune génération de journalistes. Au contraire, les deux sexes s’entendent bien et les tournées dans les provinces le confirment. Il leur arrive de louer une chambre pour deux ou trois personnes afin d’économiser sur les per diem. Pourtant les principes culturels à Madagascar plaçant l’homme comme chef de famille restent encore ancrés.
Une femme à la fois écrivain et journaliste, Charlotte Razafiniaina a fait son apparition à la fin des années trente dans la presse radio. Charlotte Razafiniaina a fait partie de l’aile dure du Mouvement Démocratique pour la Rénovation de Madagascar (MDRM), une structure politique qui s’est fortement insurgée contre la colonisation française (1896-1960) et était à la source de l’insurrection sanglante de 1947. Ses écrits et ses articles à la radio ont dérangé le régime français de l’époque et elle a été obligée d’abandonner. Toujours dans le journalisme, les femmes ont refait surface vers le milieu des années cinquante. Résultat : elles essaient de se surpasser pour démontrer à la société qu’elles valent aussi bien que les hommes.
Censées jouer le second rôle dans la société, les femmes essaient de faire leurs preuves dans l’optique de sortir de ce statut apparemment étriqué. Des femmes entrepreneurs et responsables d’ONG expliquent que la femme malgache est une émancipée, contrairement à la plupart des femmes africaines, mais cette situation ne l’incite guère à briguer un poste qui la mette au-devant de la scène. La réponse est du côté de cet inconscient collectif sur les relations homme/femme.
La femme et l’homme journalistes ne se mesurent pas d’une façon formelle. L’homme se montre souvent blasé et rares sont ceux qui acceptent ouvertement d’être conseillés. En revanche, la plupart des jeunes femmes journalistes malgaches sont toujours prêtes à suivre des formations ou à demander conseil auprès des confrères et consurs plus expérimentés. En fait, elles sont plus exigeantes et aspirent à plus de professionnalisme. Résultat : les femmes sont plus entreprenantes. Elles font preuve de rigueur et réalisent par exemple des émissions audiovisuelles très suivies.
Ne pas se cantonner à égaler l’homme mais chercher à faire preuve de plus de professionnalisme et de savoir-faire. Voilà le maître-mot du journalisme au féminin. Pour preuve, des femmes journalistes n’hésitent pas à bombarder de questions les responsables ou les groupes de population concernés lors des reportages sur terrain. Il en est de même dans les conférences de presse.
Les articles et autres émissions audiovisuelles réalisés par les femmes sont souvent empreints d’une certaine qualité, voire d’une qualité certaine. Il en est ainsi des émissions de la journaliste de la Télévision Malgache (TVM), Olga Rabenirainy. A travers ses émissions baptisées « Banjina » (ou Vision), « Mihary » (Entreprendre) ou encore « Famoa tsara » (La Bonne Récolte), cette femme journaliste a essayé depuis 1993 d’insuffler l’esprit entrepreneurial tant au niveau des femmes que des hommes. Dans ses émissions, Olga Rabenirainy donne une grande part au côté éducationnel mais elle l’aborde d’une manière pratique à travers des conseils et orientations sur les démarches à suivre : accéder aux crédits par exemple. Grâce à ces émissions, des artisans, des micro-entreprises et des simples citoyens ont contacté Olga Rabenirainy pour en savoir plus et faire évoluer leurs activités. Ainsi, les émissions de cette journaliste répondent à l’essence même du journalisme : être un outil d’aide à la décision et assumer un rôle éducationnel.
Ce genre d’émissions télévisées était rare avant le début des années quatre-vingt-dix, alors que la vulgarisation des notions économiques pour une incitation à l’entrepreneuriat était quasiment nulle. L’initiative d’Olga Rabenirainy a aiguillonné d’autres journalistes et les ont encouragés à réaliser des émissions télévisées dont l’objectif ne se limite plus à l’informationnel. En effet, ces nouvelles émissions versent aussi dans l’éducationnel et dénotent la volonté de fournir des éléments à même d’aider les acteurs de développement dans leur prise de décisions. Actuellement, Olga Rabenirainy réalise l’émission « Zo, Hery, Hasina » (Droits, Force et Dignité). Cette fois-ci, elle adopte l’approche genre, une façon de traduire en acte sa participation à la Conférence internationale sur le genre ou » Beijing plus cinq » à New York en juin 2000.
Le métier de journaliste a d’autres buts dont l’éducation des citoyens, des responsables politiques, socio-économiques et culturels, de la société civile. Dans un pays comme Madagascar, ce rôle de la presse est primordial, notamment dans la presse audiovisuelle, plus accessible à la masse dont plus de la moitié est encore analphabète. En effet, les notions économiques (genre bancarisation, marché financier, privatisation, etc.) et les grandes tendances socioculturelles (comme la lutte contre le Sida, la précocité des relations sexuelles chez les adolescents, les grands projets de protection de l’environnement), gagnent à être vulgarisées dans l’optique de faire participer le maximum de Malgaches au développement. La femme journaliste ne perd pas de vue ce rôle éducateur de son métier. Par le biais de l’Association des Femmes Journalistes de Madagascar (AFJM), elles sont quelques dizaines à écumer le monde socio-économique pour aborder des sujets à vocation éducationnelle et d’avertissement. Il en est ainsi de la série de reportages sur les murs dissolues des adolescentes dans le Grand Sud de Madagascar. D’autres ont intégré Intermédias, une autre association qui se spécialise dans le traitement des informations socioculturelles. Mais dans la presse économique, les femmes journalistes font cavalier seul, ce secteur journalistique étant peu appuyé par les bailleurs de fonds, tant en formation qu’en voyages d’études ou en projets journalistiques comme les reportages ou les enquêtes.
Mais dans ce métier, les femmes ne se contentent plus d’être dirigées par les hommes. Ces dernières années, la presse compte quelques femmes rédacteurs en chef. Il y en a dans la presse écrite et dans l’audiovisuel. Par ailleurs, les femmes sont plus responsables et certains patrons leur confient de bonne grâce les rênes de la rédaction. Mais pour réussir dans leur métier, les femmes journalistes vont jusqu’à se sacrifier. La plupart n’ont plus une vie privée : elles sortent de chez elles dès l’aube pour ne revenir que le soir tombé. Certaines décident même d’avoir leur premier bébé sur le tard. Ce n’est pas par ambition démesurée mais plutôt par manque de temps et à cause du stress presque permanent qui rythme la vie du journaliste. Tous les jours, il faut suivre l’actualité et y déceler des sujets de reportage ou d’analyse. Il faut aussi établir des contacts dans le but de trouver des sujets intéressant les lecteurs, les auditeurs ou les téléspectateurs, sans parler de la recherche documentaire et des recoupements des informations. Les horaires sont très souples et les imprévus n’arrangent pas les choses.
Récemment, deux jeunes femmes de la trentaine, Léa Ratsiazo et Symonette Fanjanarivo, journalistes depuis sept ans chez le journal économique « Dans les Médias Demain » (DMD), ont poussé l’audace jusqu’à créer leur propre magazine économique baptisé « Mada-Journal » avec le précieux soutien du sexe opposé. Pourquoi ce désir d’émancipation ? Les patrons de presse sont du sexe fort et notamment des vieux routiers du métier ou des politiciens. Pour les fondatrices de Mada-Journal, il est question de quitter leur ombre et de relever un défi en devenant les propres patrons de leur entreprise. Il ne s’agit pas d’un désir de pouvoir ou de défi vis-à-vis des hommes, mais plutôt de donner un sens à leur existence en gagnant leur vie et surtout, en livrant aux lecteurs un autre aperçu de l’information qui contribue au développement du pays.
Frustrées par l’inertie de la plupart des patrons face aux informations plutôt laconiques récoltées par leurs journalistes, des informations loin des soucis quotidiens et des perspectives des acteurs de développement (opérateurs économiques, bailleurs de fonds, société civile, milieu universitaire,
), les promoteurs de Mada-Journal ont l’ambition de livrer des informations qui vont servir d’instrument d’aide à la décision socio-économique. Ce magazine est un hebdomadaire indépendant d’analyses économiques.
L’approche de ses fondatrices ne correspond pas forcément à une vision féminine de l’information à Madagascar. Certes, elle se rapproche de la vision de certaines femmes journalistes qui privilégient le vécu et les informations de proximité, mais elle donne aussi une place importante au développement et à la connexion des informations sectorielles aux informations macroéconomiques, afin de jouer pleinement le rôle éducationnel de la presse, notamment dans la vulgarisation des notions économiques.
Contrairement aux femmes de plusieurs pays du continent africain, la femme malgache est, par ailleurs, libre d’entreprendre. Il est vrai que l’ouverture d’un compte en banque sans l’autorisation du mari ou des parents est très récente. Les crises économiques des années quatre-vingt, ont changé le paysage du travail à Madagascar. Sous la révolution socialiste, le pays a vécu des pénuries en série. Si auparavant, la femme s’est contentée des revenus de son mari, elle a été obligée de trouver des revenus d’appoint.
Plus du tiers des ménages malgaches ont maintenant comme chefs de famille une femme(1). Ces femmes se substituent à l’homme pour faire vivre leur maisonnée. Elles s’investissent dans le petit commerce, l’artisanat, la production d’alcool artisanal, le petit commerce ambulant qui nécessite parfois une marche à pied de plusieurs dizaines de kilomètres, obligeant les hommes à chercher d’autres professions. Les uns, quand ils ont le diplôme requis, choisissent d’entrer dans la Gendarmerie ou dans l’Armée. Les autres optent pour les travaux de bureau ou le transport terrestre, un des rares domaines réservés aux hommes et où la femme malgache n’a pas encore fait une incursion.
Même si la loi sur la vie familiale n’a guère changé et donne toujours à la femme une place de second rôle, celle-ci acquiert de plus en plus d’autonomie vis-à-vis de son conjoint. l’entreprenariat. Le monde des micro-entreprises dominé par l’artisanat, le petit commerce et les activités agricoles comme l’aviculture, l’apiculture et la culture maraîchère, est leur domaine de prédilection. Les économistes et opérateurs affirment d’ailleurs que le développement du pays dépend largement de cette micro-économie parce que les grandes entreprises sont en nombre limité pour permettre un décollage rapide et une répartition équitable de la croissance économique.
Dans la presse, cet investissement féminin s’observe sous des angles différents. Pour Olga Rabenirainy de la Télévision Malgache par exemple, ses émissions l’ont propulsée en femme publique. A travers ces dernières, elle dégage chez l’opinion une image favorisant la participation des citoyens et notamment des micro-exploitants agricoles et des artisans au développement. Elle a aussi milité pour la promotion de l’AFJM. Même si elle a accepté le jeu de l’alternance et a cédé la place de présidente à une autre femme, bon nombre de personnalités politiques et du milieu socio-économique la considèrent toujours comme telle. Et elles la sollicitent pour réaliser des émissions sur des sujets tant sociaux qu’économiques ou pour participer à une campagne de communication.
Dans un autre registre, la fille du Président de la République, Sarah Ravalomanana met son empreinte sur l’empire audiovisuel dénommé Malagasy Broadcasting System (MBS), et maintenant sur « Ny Vaovaontsika » (en traduction libre : « Notre Bulletin ») un nouvel hebdomadaire d’informations générales. Elle n’y joue pas un rôle de journaliste mais de patronne. La radio tout comme la chaîne télévisée et cet hebdomadaire ont chacun leur rédacteur en chef mais Sarah Ravalomanana supervise tout. Encore inconnue du grand public, elle n’en donne pas moins une certaine image au sein de cet empire. Les journalistes et les employés savent ce qu’est la discipline.
Contrairement aux émissions d’Olga Rabenirainy, l’empire médiatique de la famille Ravalomanana peut être classé dans les médias d’opinion, même s’il a été créé avant la tenue du scrutin présidentiel. Le but était de faire gagner Marc Ravalomanana, le maire de la capitale d’alors aux présidentielles du 15 décembre 2001. Par la suite, cet empire médiatique composé de stations radio et de chaînes de télévision implantées dans la capitale et disséminées dans les provinces, a beaucoup travaillé pour clamer la victoire au premier tour de Marc Ravalomanana contre l’Amiral Didier Ratsiraka. Il a exhorté la population à appuyer cette victoire. Au cur de la crise post-électorale, deux stations radio MBS de province ont été pillées et fermées par des éléments de l’Amiral Ratsiraka, sans parler des brimades et tortures infligées à des journalistes et à un cameraman de la MBS.
Après la crise post-électorale qui a ravagé l’économie du pays en six mois, l’empire médiatique Ravalomanana dirigé par sa fille, ne donne pas vraiment l’image d’un outil d’aide à la décision. Il donne l’impression de répéter les mêmes erreurs que la télévision d’Etat, TVM, du temps de Ratsiraka, la censure en moins. Cet empire fait la propagande du régime actuel et livre à n’en plus finir des informations à caractère religieux, le Président de la République étant connu pour être un fervent protestant. Si certains téléspectateurs suivent encore assidûment les informations de MBS, d’autres préfèrent se tourner vers d’autres chaînes comme la Radio Télévision Analamanga (RTA) ou la radio privée Antsiva, plus objectives dans leur traitement des informations.
Chez Marthe Andriambelo, à la tête du groupe Midi Madagasikara, un autre empire médiatique vieux de presque vingt ans, l’orientation commerciale prend une place plus importante, même si la norme exige de consacrer seulement 30% de la surface d’un journal aux insertions publicitaires. Tous les samedis, plus de 70% de ce quotidien sont remplis de publicités et de petites annonces. Certes, avec un autre quotidien en malgache Gazetiko, la radio Ma-FM et la chaîne Ma-TV, l’empire Andriambelo n’oublie pas l’information. Mais avec une position tantôt d’opposition, tantôt de sympathisant du régime en place, il perd de sa crédibilité en tant qu’outil d’aide à la décision et d’éducation.
Sur le terrain homme et femme sont confrontés à la même opacité au niveau de certaines sources d’informations. Mais sans monopoliser le milieu de la presse, la femme malgache y apporte sa vision orientée beaucoup plus vers le professionnalisme et le pragmatisme. C’est probablement pour cette raison que certaines d’entre elles sont sollicitées par des organismes de développement pour réaliser des émissions spéciales ou participer à l’amélioration de leur système de communication. Néanmoins, il ne faut pas se voiler la face. Toutes les femmes journalistes n’ont pas la même vision. Certaines d’entre elles préfèrent la routine. La plupart du temps, ces femmes-là n’ont pas « le virus » du métier. A la moindre occasion, elles sont prêtes à se reconvertir dans une autre profession beaucoup plus lucrative et moins contraignante.
1. source : Institut national de la statistique///Article N° : 2957