En sortie sur les écrans français le 14 janvier 2015, Alda et Maria ne doit pas passer inaperçu dans la masse des sorties : il vaut véritablement le déplacement.
Un film autobiographique est un pari risqué. Alda et Maria (Ici tout va bien) échappe clairement au manque de recul ou au nombrilisme. Témoignage intimiste et sensible, le premier long métrage de Pocas Pascoal est un film attachant sur ce qu’elle a vécu avec sa sur : deux jeunes femmes qui ont précédé leur mère en émigrant à Lisbonne pour échapper à la guerre civile, et s’y trouvent isolées et sans moyens. Leur condition et la fragilité de leur ancrage moral et culturel sera le sujet d’un film sincère qui évite tout effet pour se concentrer sur leur façon différente d’entrer dans l’âge adulte, confrontées aux garçons, à l’exploitation et au racisme alors qu’elles essayent de survivre. La familiarité de la mise en scène, qui adopte alternativement le point de vue des deux femmes, permet de partager leurs craintes, leurs déceptions et leurs espoirs dans la complexité de leur relation.
Alors que Maria s’ouvre au monde qui l’entoure, Alda se referme pour s’en protéger. Les images du Lisbonne touristique du début du film ont vite fait place au quartier Barreiro, cité industrielle inachevée et délabrée, où Angolais, Cap-Verdiens et colons portugais ayant perdu leurs biens se sont regroupés dans les années 70. La grisaille domine les maisons dominées par des usines pétrochimiques presque menaçantes, que l’on entend dans une bande son très travaillée. Le film se veut ainsi réaliste mais se focalise plutôt sur l’éveil des deux adolescentes, leur initiation à l’amour et à la sexualité mais aussi à la rudesse de l’exil et de la vie.
Sa réussite tient à la qualité d’interprétation de Ciomara Morais (Alda) et Cheïla Lima (Maria), qui ont été primées aux Journées cinématographiques de Carthage, actrices amateurs finalement repérées au Portugal après un long casting en Angola. Mais elle tient aussi à la douceur d’une caméra proche des visages et des corps sans être jamais inquisitrice. C’est cette ambiance que l’on retient d’Alda et Maria : elle nous ouvre sans slogans à la perception du vécu immigré, qui donne au film sa pertinence et son actualité. La musique y contribue, et notamment la chanson de Lulendo, qui fut lui-même marqué par la guerre, enfant-soldat en Angola avant de pouvoir se réfugier en France.
Car la guerre civile angolaise reste le hors-champ du film, évoquée par petites touches avec la mère dans une cabine téléphonique qui en devient surréaliste, et de façon peut-être un peu trop explicite sur la plage. Alda et Maria ont fui leur pays tant qu’il était encore temps, pour se retrouver dans un nouvel enfermement et un déclassement social. Loin de baisser les bras, elles mettent leur énergie, chacune à leur manière, dans la survie certes, mais aussi et surtout dans leur recherche de liberté. Le film, à la fois léger et dramatique, est ainsi l’histoire de leur fraternité et de leur émancipation. Tourné avec de petits moyens, il a la beauté des films fragiles dont la production est à l’image de leur sujet et qui réussissent la délicate alchimie de faire surgir de leurs limites l’espace d’une délicate émotion.
N.B. : Le film n’a pas pu être retenu pour le palmarès du Fespaco 2013 car il n’avait pas la copie 35mm encore exigée par le festival mais il y a obtenu le prix de l’Union européenne.///Article N° : 12691