Ambiance de guerre civile et renaissance de la chanson fondamentale

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Promoteur de la renaissance de la chanson congolaise, Claude Bivoua dresse ici le tableau d’une résurrection après la guerre autour des hauts lieux de la musique à Brazzaville.

Janvier 1998. Brazzaville est plongée dans une tourmente effroyable. Les faits de guerre fusent dans les conversations. Zao l’auteur du très populaire « Ancien combattant » est en forêt ; Rapha Boundzeki à Mbanza-Ngungu, en République démocratique du Congo. Ceux des chanteurs qui ont pu se retrancher dans Brazza Nord cherchent à se retrouver. La vie culturelle est au plus bas. Plus de spectacles, plus de théâtre, plus de bibliothèques. Tout se passe dans les bars à bière où les boissons de Kinshasa ont trouvé un marché abandonné par les bières locales.
Janvier, février et mars 99 voient monter une angoisse jamais connue dans la cité bruyante et insouciante. Le Centre-ville et Brazza-Sud sont déserts, livrés aux pilleurs de tous âges et tous calibres.
Le plus vieil ensemble de Brazzaville, « Les Anges » fait face à la plus grave crise de ses 40 ans de musique populaire moderne. Clotaire Kimbolo et son frère Gérard se retirent pour former un nouvel ensemble : « L’Académie et caeteri-etcaetera ». Aubin Kimbolo, l’autre frère, ouvre un cabaret : Le Maquis, coin des artistes, 90 rue Mboko, aux abords du marché de Moungali.
Le Maquis draine les artistes et les gens de culture. Gérard Kimbolo, animateur culturel de son état, concocte les projets susceptibles de mieux installer le cabaret dans les esprits congolais. Il peaufine l’idée d’une deuxième édition d’un hommage posthume à Pamelo Mounk’a, décédé de maladie deux ans avant, le 10 mai 1997. C’est Le Maquis qui est tout indiqué pour abriter une bonne partie des manifestations. Expositions de photos, de disques et de coupures de presse sur le créateur de la « pacha-rumba typique du Congo. Pamélo n’est-il pas l’enfant terrible de la rue Batéké, assez proche de la rue Mboko ? Mardi 11 mai, des vedettes en herbe animent une matinée pathétique au Maquis ; jeudi 13 mai, concert de la chorale Arche de Noé à l’Ecole de peinture de Poto-Poto avec de mémorables interprétations des meilleurs refrains de Pamélo. Témoignages et exposés sont au programme. L’itinéraire de cet enfant terrible de Poto-Poto convainc l’assistance qu’il faut créer une fondation Pamelo.
L’inspiration naît en prenant la forme spécifique d’une retrouvaille hebdomadaire de chanteurs : le jeudi des chansonniers au Maquis, coin des artistes. Claude Bivoua et Gérard Kimbolo mettent au point une formule qui privilégie les auteurs-interprètes, acceptant de venir se produire sans autre cachet que la quête auprès de la clientèle. Ainsi se crée le Maquis, cabaret ouvert aux débutants et aux artistes confirmés. De juin à décembre 99, les chanteurs défilent attirant des délégations et des visiteurs de marque, tels certains ensembles venus participer à la deuxième édition du Festival panafricain de la musique en août 99.
J’en assure la présentation et Gérard la coordination. De jeunes talents, jusque là ignorés du grand public, émergent : Kanza Vladimir, alias Kavla se signale comme un dauphin de Zao ou de Youss, Jacky Wham fait des débuts très remarqués, Noura Patche alias Malonga Patchétchée est proposée comme la diva de la chanson congolaise. Tonton Bienvenu excelle dans le style de Lokua Kanza, Blanche Lounana dans celui de la défunte Mpongo Love. Chacun d’eux arrive avec un tempérament et des aptitudes remarquables. Tous sont à la recherche de producteurs et de mécènes.
Une génération de mécènes est née : la génération du Maquis, caractérisée par le dénuement instrumental, mais surtout par leurs voix et leur talent de créateur et d’interprètes. Leur style : la chanson fondamentale de textes satiriques, humoristiques, moralisateurs conçus pour être écoutés et moins pour les spectacles de type « ndombolo » qui envahit le Congo en piétinant la chansonnette dans les médias.
Cette génération interprète les chefs d’œuvre de Franklin Boukaka, de Jacques Loubelo, de Moustaki, de Manu Dibango et de Pierre Akendengué. Elle tire son inspiration des répertoires des groupes vocaux des années 60 et se soucie surtout du contenu poétique.
Son objectif : faire écouter les meilleurs textes et proverbes du Congo contemporain et d’hier.
Ses flèches contre des acteurs de la société ajoutent du piquant à leurs œuvres et le public ravi, voire surpris, redécouvre une sorte de satire populaire qui existe partout. Je m’attache à promouvoir le style qui me rappelle la chanson engagée de langue française et notamment l’immortel répertoire de Georges Brassens et Léo Ferré. J’y vois une occasion rêvée de relancer le créneau ouvert par Zao et Jacques Loubelo en inculquant aux jeunes talents que l’essentiel est dans le texte qui doit être littéraire bien que chanté en langues locales.
Deux pionniers du Maquis ont décroché des prix au Centre culturel français en l’an 2000 : Noura Patche et Kavla, la première pour ses chansons sentimentales et l’autre pour ses satires. La moisson est à ses débuts, malgré les difficultés inhérentes aux instruments et à un encadrement approprié.
En 2001, le Maquis a déposé son bilan, mais la relève s’annonce plus élaborée depuis l’ouverture de La Grotte de Pépette, un cabaret de Brazza-Sud, mieux situé à la célèbre place du Centre sportif universitaire de Makelekele et proprement installé comme restaurant de grillades et mets congolais.
D’autres jeunes talents fréquentent la grotte : le jeune Prince Mayindou, auteur-interprète guitariste, le flegmatique Innocent à la voix attendrissante, le vieux Ngando, ainsi que les ensembles semi-traditionnels Ndouma wa Katchumba et Les Racines.
Aujourd’hui, je totalise près de vingt chanteurs en début de carrière, tous convaincus du choix de leur genre, sans coûteux investissements électroniques et investissements comme ceux des grands ensembles de la génération précédente.
Les jeudis de La Grotte mobilisent de nombreux expatriés et des contacts existent déjà avec des producteurs potentiels ou confirmés.
Ainsi Brazzaville renoue-t-elle avec une catégorie d’artistes décidés à relever le défi après Franklin Boukaka.
Pour soutenir ces artistes en herbe, l’idée d’une association pour la chanson fondamentale fait son chemin. Un comité composé d’autres artistes, des plasticiens, des peintres et des bijoutiers parraine le cabaret et certains chanteurs, dans la même veine que Le Maquis qui aura été une rampe pour la renaissance de la chanson fondamentale mise à mal par le déferlement du genre « Ndombolo » et de la musique prétexte aux spectacles dansants.
Sur le plan financier, les vedettes en herbe songent à une formule d’autofinancement pour les prises de son ou d’images et pour la promotion de leurs œuvres. Ainsi, leurs premiers efforts trouveront certainement des accompagnateurs au sein de la grande famille d’organisateurs de spectacles et de festivals culturels à travers le monde.
Comme j’ai pu le dire lors d’un exposé à la fête de la musique, invité par le Centre culturel français de Brazzaville pour expliquer le pourquoi de mon engagement pour cette forme d’art : « La chanson est cette partie de notre musique populaire, traditionnelle ou contemporaine ; ses refrains rythmés à l’aide des mains, des sanzas, des guitares, plus que la plupart des autres arts touchent toutes les couches de la société et cela à n’importe quel moment, à n’importe quel endroit. Elle est l’expression de la conscience d’un peuple, ses peines, ses craintes, ses réussites, ses exploits. Elle est une partie de la poésie populaire, mise en refrain rythmé destiné à agrémenter les moments de combat, de solitude, de retrouvailles, de deuils, de fêtes. Comment la faire aujourd’hui ? Sans lui faire perdre son fond et sa forme ? Telle est la problématique qui pousse à œuvrer avec persévérance pour sa renaissance ».

///Article N° : 2213

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