Amina ou la confusion des sentiments

De Laurette Mokrani

Print Friendly, PDF & Email

Voilà une jeune fille de quinze ans qui ne manque pas de caractère ! Elle crève l’écran. Brillante à l’école, bonne comédienne, elle est même embauchée pour jouer à la Comédie française ! Elle jouera Louison dans Le Malade imaginaire de Molière, en 2001 et y revient avec Mina enfant dans Papa doit manger de Marie Ndiaye en 2003. Ce n’est pas par hasard : comme le note le metteur en scène André Engel, la confusion des sentiments qui fait le corps de la pièce répond au sentiment d’exil et de déracinement d’Amina. Rassemblés pour un grand entretien rythmé d’une caméra baladeuse, les témoignages de ses camarades de classe renforcent cette exigence que l’assistant metteur en scène exprime : « Il faut être mieux que les autres quand on vient de loin ! »
Et c’est bien de loin que vient Amina, sa famille s’étant exilée huit ans auparavant après que, comme tant de journalistes, ses deux oncles aient été assassinés par les terroristes. Le retour au pays sera douloureux : Amina retrouve des êtres meurtris par leur lutte contre l’invisible et déchirés par les pertes des êtres chers. Les agressions et les menaces sont encore là. Si les pleurs sont de concert, c’est qu’Amina non seulement partage la mémoire tragique de sa famille mais est aussi travaillée par la culpabilité de s’en être mieux tirée qu’aiguise sa cousine restée sur place. Des chansons mélancoliques, à commencer par la belle voix de Souad Massi, font écho à cette confusion. Amina pleure elle aussi « ce pays où elle a pris conscience », mais elle pleure aussi l’exil : « Je suis beaucoup mieux en France mais il y a un gros truc qui manque ! »
Si l’on ne peut oublier cette ado bourrée de vie, ce n’est pas seulement que sa voix résume la tragédie d’un pays autant que la confusion du ressenti exilé : c’est que cette façon de lui laisser le temps de ses hésitations, de ses humeurs et de ses envies restaure la légèreté de la vie là où le poids du destin aurait pu plomber les choses. Amina pleure souvent, mais ses larmes ne sont pas de crocodile. Ce temps du film mais aussi la façon de toujours l’inscrire dans son environnement lui permettent d’être celles d’une ado à fleur de peau, à la fois incertaine et étonnamment mûre. Avec elle, on embrasse humainement le drame des années noires et le vécu de l’exil, lorsque le regard des autres vient durcir le sentiment d’être étranger.

///Article N° : 7497

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article





Laisser un commentaire